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Rencontre avec Philippe Faucon, réalisateur du film français «Fatima»
présenté à la quinzaine des réalisateurs avec Chawki Amari dans le rôle de
l'ex-mari de la protagoniste principale.
Ce n'est pas le chef-d'œuvre du siècle, loin de là, c'est même un petit film (1H19) qui n'a d'autre ambition que de nous raconter une histoire simple (à la manière de Claude Sautet, oui) dans la société française d'aujourd'hui : le combat au quotidien d'une femme de ménage divorcée qui veut se donner tous les moyens pour l'éducation de ses deux filles (15 et 19 ans). Comme le titre le laisse clairement deviner, cette femme de ménage est, comme ils disent, d'origine maghrébine et sa bataille c'est d'arriver à rompre la barrière de la langue qui l'empêche de communiquer avec ses filles et avec les autres. Fatima n'est pas analphabète, elle parle et écrit en arabe, adore des auteurs comme Nagib Mahfouz, Khalil Gibran ou Mustapha Manfalouti, mais elle va se battre désormais pour apprendre le français, ne serait-ce que pour comprendre ce qui se dit dans les réunions profs-parents d'élèves où elle se sent larguée. Ce n'est pas spoiler le film que de raconter sa dernière et très émouvante scène : alors qu'elle sait que son aînée est admise à la fac de médecine, Fatima revient seule pour tenter de retrouver dans les listes affichées le nom de sa fille. Le sourire qui illumine son visage quand elle le trouve, c'est aussi sa victoire. Fatima est heureuse de pouvoir désormais lire en français. Happy-end. On passe au film suivant ? Non, car on a oublié un détail. Accessoirement, et c'est vraiment le cas de le dire, Fatima porte le voile. Comme presque toutes nos mamans. Sauf que, coucou, ça se passe de nos jours et en France. Le voile ici c'est l'hystérie généralisée, les haches de guerre déterrées, la boussole idéologique détraquée. La grande qualité du film de Philippe Faucon est de ne pas sombrer dans cette hystérie, jamais le voile de Fatima ne devient le sujet de son film. Jamais, quel joli mot français quand il signifie un acte de résistance, car oui il faut bien le dire, si on aime profondément le film «Fatima» c'est parce qu'il nous venge de toutes les sottises qu'on n'a pas fini d'entendre sur les histoires de hidjab, de voile et de jupe trop longue. L'autre qualité du film tient à sa modestie, il n'affiche pas son humanisme en bandoulière. On peut également saluer sa douceur. C'est une chronique de la France prolo sans scènes de violence, sans drame, sans mort. Si le racisme dans la splendeur de sa diversité est bien présent dans l'univers de Fatima (racisme intercommunautaire, paternalisme douteux, stigmatisations), cela n'empêche pas de vivre, d'aimer et de pleurer, et les scènes de vie sont bien rendues dans ce film. Notamment quand les deux filles de Fatima retrouvent leur père qui ne vit plus avec elles. Et nous voilà donc rendu à la question que vous vous posez tous depuis de début. A savoir comment est Chawki Amari dans le rôle du père ? Le célèbre chroniqueur d'El Watan, l'auteur de l'excellent «L'Ane Mort» (Barzach) a donc ajouté une corde à son arc pour mieux nous tuer (on est Algérien ou on ne l'est pas, on déteste ceux qui réussissent). El mouhim, comment il est le comédien Chawki Amari dans le rôle du père? Notre professionnalisme fait que même si ça nous troue quelque chose dans le corps de le dire, on est bien obligé de reconnaître qu'il est plus que crédible, il est bon, tout en nuance entre le grave et le cool. Bon comédien, mais sans plus. Faut pas exagérer non plus. Interviewer Chawki Amari à Cannes? Vous n'y pensez pas, nous sommes «Le Quotidien d'Oran», et à Cannes on n'adresse la parole qu'aux réalisateurs. (On est fier ou on ne l'est pas, et on déteste qui vous savez). LE QUOTIDIEN D'ORAN: Comment pitchez-vous à Cannes «Fatima» votre dernier film ? Philippe Faucon: Je dis que c'est un film sur la séparation par la langue entre les parents venus d'ailleurs qui ne maîtrisent pas le français, et leurs enfants nés en France. C'est un film qui raconte le désir obstiné d'une mère qui se bat pour soutenir ses deux filles dans leurs parcours scolaires car elle ne veut pas qu'elles soient condamnées au même itinéraire de relégation sociale. LE QUOTIDIEN D'ORAN: Comment est né le désir de faire ce film ? Philippe Faucon: C'est parti d'une proposition d'une productrice qui voulait adapter au cinéma «Prières à la lune», un livre de Fatima Al Ayoubi, recueil de pensées, de poèmes et de fragments où l'auteur parle de son expérience de femme marocaine venue en France rejoindre son mari sans parler un mot de français. Et son combat pour apprendre, entre deux ménages, toute seule cette langue. C'est en réalité en rencontrant l'auteur que j'ai eu envie de faire le film. C'est une femme extraordinaire, une battante. C'est un film plus nourri par la vie de l'auteur. Et son histoire ne pouvait pas me laisser indifférent car des «invisibles» comme Fatima j'en ai connu dans ma famille, mes grands-parents qui étaient des Espagnols d'Algérie ne comprenaient pas le français et quand j'étais petit je voyais bien dans leurs yeux à quel point ce handicap pouvait être pesant. LE QUOTIDIEN D'ORAN: Fatima porte le hidjab, ce qui n'est pas anodin par les temps qui court... Si le voile dit islamique n'est pas le sujet du film, il est le débat houleux de ces dernières années, en France notamment... Philippe Faucon: C'est une femme qui a sa croyance. Mais ce n'était pas écrit dans le scénario, d'ailleurs la vraie Fatima El Ayoubi ne porte pas de voile. Mais en cherchant la comédienne pour incarner ce rôle très dense, je me suis vite rendu compte qu'on n'allait pas la trouver en France, en tout cas pas chez les comédiennes. Une comédienne qui fait semblant de ne pas parler en français, je n'y crois pas, ce n'est pas convaincant. On est allé jusqu'à faire des auditions au Maroc. Et puis on a trouvé cette non-comédienne, Soraya Zeroual qui porte le voile. On en a beaucoup parlé ensemble, elle savait que pour les scènes dans la maison elle ne pouvait pas être avec son voile. Elle voulait incarner ce personnage malgré tout, elle en a parlé avec son mari et son père et on a trouvé un terrain d'entente. Elle a proposé de porter une perruque dans le film pour qu'elle puisse enlever son hidjab, on a fait des essais, ça a marché, on a beaucoup travaillé avec la coiffeuse canadienne pour que cela ne se voit pas. LE QUOTIDIEN D'ORAN: Diriez-vous que c'est accommodement raisonnable... Philippe Faucon: C'était en tout cas la seule solution si je voulais tourner avec Soraya Zeroual. Mais elle a accepté de montrer ses bras, son cou, elle a assumé, alors que ça ne devait pas être évident pour elle. LE QUOTIDIEN D'ORAN: Mais tourner avec une femme qui porte le voile c'est aussi un positionnement par rapport aux débats qui font rage en France... Philippe Faucon: Durant le tournage des figurants faisaient des remarques ironiques, et certains ont eu des attitudes bêtes qui témoignent effectivement des incompréhensions ou des crispations de l'époque concernant ce sujet. C'est un film qui essaie d'être en phase avec son époque, d'évoquer les aspects de la société française, qui tente de parler du présent avec ses réalités sociales et politiques. Est-ce pour autant ce film se positionne par rapport à ce genre de considérations politiques ? Sans doute, mais c'est avant tout un film de cinéma. Disons que les personnages comme celui de Fatima sont absents des écrans français, ils font partie des «invisibles», ce n'est pas normal. LE QUOTIDIEN D'ORAN: Comment avez-vous choisi Chawki Amari ? Philippe Faucon: Je l'ai vu dans le moyen-métrage de Karim Moussaoui, «Les jours d'avant». Il a une présence à l'écran, une stature même. Je lui ai envoyé le scénario, il m'a répondu très vite. A mon avis il a un potentiel en tant que comédien. Chawki a une gueule, une vraie présence physique à l'écran, il n'a pas besoin d'en faire des tonnes pour être présent dans une scène. Il est venu 4 jours pour tourner ses scènes, il a été impliqué dans ce que raconte ce film. C'est une rencontre passionnante. Chawki Amari peut avoir un côté provocateur, mais il est très incisif et pointu dans sa façon de décrypter le monde et le pays d'où il vient. LE QUOTIDIEN D'ORAN: Comment ça, vous n'avez pas eu de problèmes avec Chawki Amari, c'est étonnant... Philippe Faucon: Non, aucun problème. C'est naturellement un acteur mais pas un acteur de métier, donc on a un peu travaillé sur ses problèmes d'articulations et d'élocution, et il a vite progressé. Pour le reste il a tout de suite endossé le rôle et plutôt très bien... |
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