Envoyer à un ami |
Version à imprimer |
Version en PDF
Il y a 40 ans, Mohamed Lakhdar-Hamina
obtenait la Palme d'or au Festival de Cannes pour «Chroniques des années de
braise». Cette année-là Wassyla Tamzali faisait partie de la délégation
algérienne qui avait une certaine tenue (traditionnelle). Souvenirs,
souvenirs...
Nous étions nombreux ce jour mémorable. Nous étions tous avec lui, moi et les amis de la Cinémathèque. Il avait même entraîné une petite vieille dame pied-noir qui lui avait dit quand il passait combien elle était fière de voir un film algérien gagner la Palme d'or. Un premier film arabe, le seul à ce jour. En montant les marches derrière lui j'imaginais l'homme, resplendissant dans sa djellaba marocaine, tenant dans la main une petite fille dépenaillée, les cheveux noirs collés, par la sueur et la poussière, les yeux verts émerveillés et peureux, pieds nus sur le tapis rouge. C'était «Yasmina », le premier visage du cinéma algérien. Une petite fille des camps de réfugiés sortie de la détresse de la guerre par la caméra pleine d'amour de Lakhdar. Son premier film en solo, un documentaire filmé avec la simplicité apparente des œuvres d'art. Une caméra, une enfant, un cinéaste sous l'œil de l'histoire pleine d'espérance qui s'accomplissait : nous allions vers la libération. Un état de grâce. Qui se souvient de «Yasmina » ? Un film disparu, oublié, plus encore trahi par ce qui viendra après, par ces films de propagande qui seront pour longtemps le cinéma algérien. - Mais ne jetons pas la pierre, n'étions-nous pas tous là où nous nous trouvions, en quelque sorte des propagateurs de la Grande cause?- Toutes ces images fausses, truquées sur la révolution algérienne, sur le peuple héroïque, aujourd'hui effacées de ma mémoire par les yeux verts de «Yasmina ». Gros plan sur le visage de l'enfant. Mise en scène efficace, le jeune réalisateur est frais émoulu d'une école d'un pays de l'Est, et pas des moindres, de Tchécoslovaquie. La guerre d'Algérie sera finie depuis longtemps, mais c'est sur elle que reviendront la plupart des cinéastes algériens avec parfois, souvent un imaginaire si pauvre qu'ils ont fini par fatiguer le public et le décourager du cinéma algérien, le cinéma né dans les flammes du nom du film de René Gauthier «L'Algérie en flammes » tourné dans la Willaya 1 et terminé en 1958. Seul Lakhdar Hamina, lui, toujours lui direz-vous, saura après Yasmina revenir sur le sujet sans trop se trahir ni trahir le cinéma. Pour notre plaisir de cinéphile, le réalisateur retrouve sa terre, somptueuse dans son austérité même. Il nous entraîne à la suite d'une mère qui va à la recherche de son fils d'un camp à l'autre. Elle porte une poule qu'elle lui destine, ou qu'elle veut monnayer pour un instant avec lui. La magie du cinéma au service de l'épopée d'un peuple. Comme la beauté, comme la jeunesse, comme la beauté de la jeunesse que nous savons éphémères et dont la perte nous étreint de chagrin, «Yasmina » et «Le vent des Aurès » resteront pour nous des objets de la nostalgie. Le cinéma ça sert aussi à ça. Reste une question. «Yasmina » était en noir et blanc, alors d'où me vient cette conviction si forte que les yeux de l'enfant étaient verts ? Encore un tour de magie du cinéma ? Wassyla Tamzali (article écrit pour le Quotidien d'Oran et repris par les Temps Modernes, 2013) |
|