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A l'occasion du 3 mai, proclamée en 1993 Journée mondiale en faveur de la liberté de la presse par l'Assemblée générale des Nations Unies, il importe de souligner l'importance de la liberté d'expression et de dénoncer les principaux obstacles à son exercice. Les atteintes à la liberté d'opinion et de pensée ont toujours été d'actualité, même après le 26 aout 1789, date à laquelle ces libertés ont été affirmées par la déclaration des Droits de l'homme et du citoyen. Entre les mains des puissants, les moyens d'information et de communication sont devenus redoutables. Non seulement, ils hiérarchisent et classent les nouvelles selon leur bon vouloir, mais en plus, ils agissent sur notre perception du monde en usant et en abusant de prismes déformants. Par petites doses, nous sont distillés des modes de pensée et des modèles de comportement qui progressivement s'affichent comme des comportements modèles. Réputée libre et indépendante en Occident, la presse écrite et audiovisuelle masque mal ses stratégies de manipulations pour qui tente d'en dévoiler les mécanismes. En temps de crises ou de guerre, ces outils d'information se transforment en de redoutables matrices idéologiques. Plus aucun scrupule pour hiérarchiser les nouvelles, masquer des faits importants ou mettre en exergue les épiphénomènes ! L'accessoire se trouve alors privilégié au détriment de l'essentiel. Les journalistes liges trient, sélectionnent et mettent en valeur, selon le bon vouloir des décideurs, l'ordre du jour de la planète en faisant subir à l'information de rudes entorses. Faux scoops, non-dits, désinformations, font subir de graves distorsions aux règles élémentaires d'éthique et de déontologie. Au concret, cela se traduit par un traitement partiel et partial des informations, sans effort d'analyse ou de synthèse, sans mise en contexte et sans commentaire critique. Le sensationnalisme primant sur l'essentiel, le journaliste, à défaut d'une véritable information, collecte des intuitions, des émotions et des colères. Pour attirer un regard, capter une attention, retenir le lecteur ou le téléspectateur, les journalistes versent vers l'événementiel et la surenchère, dramatisant ici à l'excès, accentuant là des tensions. Dans leur désir de séduction, ils n'hésitent plus à franchir le rubicond, en offrant une vision éthérée complètement irréaliste du monde avec comme menu quotidien, des accidents effroyables, des épidémies horribles, des tremblements de terre, des inondations terribles et des guerres médiatisées à outrance. LES DEBATS ET POLEMIQUES ACTUELS SUR L'INFORMATION ET LES MEDIAS A TRAVERS LE MONDE SONT-ILS LES VRAIS DEBATS ? NE MASQUENT-ILS PAS, AU CONTRAIRE, UN MALAISE PLUS PROFOND ? Qu'on le veuille ou non, nous sommes tous, bien qu'à des degrés divers, manipulés, conditionnés et en permanence sous emprise médiatique. D'une décade à l'autre, on se rend compte, que la guerre de l'information a pris une ampleur démesurée. Elle a aujourd'hui ses stratèges, ses guerriers et ses réseaux. Elle phagocyte le politique, l'économique et le social. Chaque jour, en guise d'information et d'objectivité, on dramatise à l'excès, on minimise des événements graves, on en occulte d'autres. Une gigantesque entreprise de désinformation et de manipulation a fini par voir le jour à l'échelle mondiale. Tels des gaz chimiques, les instruments censés nous informer, nous anesthésient, nous troublent et nous perturbent. Ils en arrivent même parfois à « fabriquer » l'événement en élevant le mensonge manifeste au rang de vérité. Les dérives médiatiques sont devenues choses banales. Les grands networks internationaux, qui ne cessent de donner des leçons d'éthique et de déontologie, constitue l'exemple type de manipulation et de perversion de l'information à l'échelle planétaire. Jouant de main de maître, le jeu de la transparence opaque, ils inondent le monde d'écrits, d'images et de sons soigneusement canalisés, triés et aseptisés. Ils ne sont cependant pas les seuls. Se focaliser sur les dysfonctionnements des médias occidentaux en dénonçant leur inconscience, voire leur mégalomanie, ne peut en aucune manière masquer nos erreurs et nos lacunes. La désinformation, la manipulation et la rétention de l'information existent sous tous les cieux. Comment ériger un pluralisme médiatique en absence de démocratie véritable, de liberté d'opinion, d'association, de réunion et de manifestation ? Comment oser se réclamer de la démocratie tout en en interdisant son exercice ? Est-il concevable, qu'un peuple qui a mené un combat héroïque pour sa liberté et son indépendance, soit privé d'un Etat de droit ? Dénoncer avec virulence les cabales médiatiques contre l'Algérie et au même moment empêcher l'exercice de la pensée libre, revient à leurrer les citoyens qui ont payé un lourd tribut pour pouvoir s'exprimer librement. Si nul ne peut nier l'inquiétante dégradation de l'exercice du métier d'informer dans notre pays, rares sont ceux qui perçoivent les pressions, les contraintes visibles et surtout invisibles, qui s'exercent au grand jour sur les organes de presse et les journalistes, mettant à rude épreuve l'indépendance éditoriale et escamotant tout velléité de débat démocratique. A l'heure ou la dilapidation des deniers publics prend une dimension alarmante, à l'heure ou des milliers de faux moudjahidine vivent dans la sérénité la plus totale, à l'heure du grand pardon à ceux qui ont mis le pays à genoux et enfin à l'heure de l'amnistie/amnésie qui s'annonce, comment concevoir le tir groupé contre ceux dont le devoir est d'informer, « coupables » de dire, haut et fort, ce qui ne va pas. En quoi un article qui critique tel ou tel abus ou dysfonctionnement peut-il constituer une menace plus grande que le meurtre d'innocents, pour la stabilité du pays? Les harcèlements, les procès et les arrestations, pour des peccadilles parfois, font douter de l'impartialité du pouvoir exécutif et de l'autorité judiciaire. Ces derniers semblent se mêler les pinceaux dans des batailles burlesques où règne la confusion la plus totale. L'autocensure répondant aux pressions, le citoyen qui désire s'informer se voit obligé de surfer sur des sites alternatifs, pour mesurer la température dans son propre pays, dans sa propre ville. Cela est d'autant plus regrettable, qu'il n'y a pas si longtemps, la presse algérienne était citée en exemple pour son libre et ses critiques acerbes touchant à tous les domaines, sociaux, économiques et même politiques, sans aucun tabou. Cette récréation de liberté fut malheureusement de très courte durée. Faire couler de l'encre sur un papier est devenu un métier à risque, un sacerdoce face aux hérauts du jour qui se prennent pour des messies. Certes, des abus il y en a eu, beaucoup même. Des dévoiements et des dérapages aussi. A l'instar des parasites des autres professions, il existe aussi dans le milieu de la presse des « journaleux » incapables, des paresseux et des parasites. Mais est-ce une raison pour généraliser le port des muselières et jeter l'anathème sur toute une profession? Aujourd'hui, les journalistes ne savent plus à quels saints se vouer. Refrénant leurs ambitions certains s'interdisent d'aborder des sujets scabreux, sulfureux ou simplement à risques (corruption, fuite des capitaux, rente, passe-droits, faussaires, usurpateurs, terrorisme, faux repentis, faux moudjahidine, chômage, dérives bureaucratiques, etc.). LA LIBERTE DE LA PRESSE N'EST PAS SEULEMENT LE BAROMETRE DE LA DEMOCRATIE, ELLE EST LA DEMOCRATIE Sachant que l'essentiel des principes vertueux de la communication publique repose sur la transparence, il importe donc de mettre à la disposition des citoyens des éléments objectifs d'appréciation sur tous les sujets délicats qui les concernent. C'est probablement le seul moyen de réduire l'écart entre les gouvernants et les gouvernés, entre l'information et la désinformation, et de laisser prévaloir la raison surtout lorsque les sujets deviennent passionnels. Se pose donc la question de la vérité et du mensonge, du dit et du non dit, et donc, du crédit que l'opinion publique accorde au discours politique. Le manque d'intérêt pour la communication officielle traditionnelle, et le scepticisme à l'égard des partis et des leaders politiques s'expliquent aisément. Les politiques se rendent-ils compte que c'est l'absence d'explication sur le choix d'une décision politique, et l'absence de connaissance à propos d'un sujet déterminé, qui alimentent l'incompréhension et génèrent les conflits. En développant une stratégie de méfiance généralisée face à la presse, les pouvoirs publics ne font qu'exacerber les passions. Les décideurs doivent cesser les effets d'annonce en guise de réformes. Ils doivent s'atteler à une refonte radicale du champ médiatico-politique qui s'impose aujourd'hui plus que jamais. Le verrouillage de la parole publique n'est plus concevable après cinquante années d'indépendance. La profession, qui a payé un lourd tribut en Algérie durant la dernière décennie, ne mérite ni le mépris ni le harcèlement. L'occasion était belle en 1988, d'assainir le fonctionnement des médias, de permettre le développement d'un secteur privé et d'entreprises de radio et de télévision authentiquement indépendantes et de consolider un pôle audiovisuel public aujourd'hui en pleine déconfiture. Cette occasion a été perdue. L'information est un bien public qui n'est la propriété de personne. Elle n'appartient, pas plus au journaliste qu'à l'homme politique. Le journaliste active pour ceux auxquels il s'adresse. Ces derniers sont des êtres intelligents et doués de raison. Ils veulent être considérés comme tels. Ils veulent être informés sans ambages et attendent donc des nouvelles, mais surtout des faits bruts. Ils. Ils veulent comprendre les raisons d'une décision politique, les causes d'une situation, les effets d'un choix. Le journaliste qui livre des faits, livre aussi ses doutes et ses interrogations. Il n'est ni juge, ni bourreau. Il est seulement le témoin lucide, qui doit éclairer les citoyens en rapportant des faits sans esprit de parti pris. S'il pratique la rétention de l'information, s'il manipule les données dans un intérêt personnel ou catégoriel, il doit être sanctionné par ses pairs et non par une quelconque tutelle. Il y va de la crédibilité de la profession. D'où la nécessité d'un véritable civisme de l'information car, au-delà des aspects institutionnels et/ou législatifs, il s'agit bien d'un enjeu civique concernant tous ceux qui veulent être acteurs à part entière d'une démocratie véritable, sans laquelle, il n'y a pas d'information libre et pluraliste, il n'y a pas de médias libres. |
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