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Un auteur
algérien, par ailleurs homme politique fameux sur les deux bords de la
Méditerranée, a récemment publié, sur un quotidien national, un long article
traitant d'évènements importants de l'Histoire contemporaine de l'Algérie.
Dans cet article, cet auteur écrit, entre autres: «L'histoire de la Guerre d'Algérie est décidément un butin trop précieux pour être restitué au peuple.» A première lecture, une observation banale et sans originalité Rien qui ne soit pas anodin dans cette affirmation prise dans son ensemble. En fait, cet homme politique ne fait que reprendre une critique, tellement répétée qu'elle a perdu toute originalité et ne suscite même plus la polémique tellement sa vérité est reconnue de tous, y compris de ceux qui se placent dans les rangs de «l'alliance présidentielle», quel que soit le sens donné à cette expression. Proclamer que notre Histoire, et en particulier celle des quelque soixante-quinze dernières années, est devenue la propriété exclusive des autorités publiques et ne qualifie même plus à l'appartenance à l'opposition au pouvoir, tellement ce fait est connu et reconnu. L'Histoire de l'Algérie, une grande inconnue pour le peuple algérien Rien ne vaut l'examen des livres d'Histoire mis entre les mains des esprits encore en phase de formation, pour avoir la mesure des distorsions introduites en le récit des évènements particulièrement cruciaux, dans la compréhension des tenants et des aboutissants de la lutte de libération nationale. Ainsi, pendant longtemps, le seul homme politique qui trouvait grâce aux yeux des pouvoirs publics était le Cheikh Abdelhamid Benbadis et l'Association des Oulémas qui luttait pour le renouveau culturel, moral et religieux, et qu'il avait fondée en 1936. Il n'est évidemment nullement question de minimiser le rôle crucial de cet homme et de son organisation dans la revivification des assises autant culturelles et morales que linguistiques de la Nation algérienne. On ne saurait trop insister sur sa place et son influence multiforme dans la mobilisation du peuple algérien autour des thèmes centraux de la lutte de libération nationale. Mais, paradoxalement, les acteurs centraux de la Guerre de libération nationale, dont pourtant les hommes au pouvoir prétendaient tenir leur légitimité, avaient été effacés. On ne parlait ni de Krim Belkacem, ni de Mostefa Ben Boulaïd, ni de Ferhat Abbas, ni évidemment de Abdelhafid Boussouf, de Abdallah Bentobbal, de Abane Ramdane, ni même de Amirouche. Evidemment, même les institutions que le leadership de la Guerre de libération nationale avait mises en place étaient effacées de la version officielle de cette partie axiale de notre Histoire. On ne mentionnait aux enfants en âge de fréquenter les collèges et lycées ni les membres du Conseil National de la Révolution Algérienne, ni ceux du Comité de Coordination et d'Exécution, encore moins du Gouvernement Provisoire de la République Algérienne, dont on sait que chacune de leurs personnalités a été non seulement soumise à toutes les invectives publiques les plus humiliantes, mais également placée en détention et même privée de ses biens personnels et interdite d'activité sociale ou économique. Bien sûr que toute référence aux partis antérieurs à la fondation du FLN/ALN était interdite. Ni l'Etoile Nord Africaine, ni le Parti du Peuple Algérien, ni le Mouvement Pour le Triomphe des Libertés Démocratiques, ni même l'Union pour la Démocratie et le Manifeste Algérien n'ont trouvé de grâce dans la perspective historique officielle présentée aux générations montantes. L'Immaculée conception comme explication de l'Histoire contemporaine de l'Algérie ! Quant à Messali Hadj, dont le rôle central dans le réveil du sentiment national dans notre pays ne peut être trop souligné, c'était devenu un crime d'Etat plus grave qu'un acte de trahison au profit d'une puissance étrangère que de mentionner ne serait-ce que son nom. Pourtant, dans ce flot continu que sont les évènements historiques, ne pas parler de Messali Hadj pour expliquer comment le FLN/ALN a paru sur la scène politique et a acquis le monopole du leadership de la lutte de libération nationale c'est un peu comme affirmer qu'un être humain peut exister sans être jamais né. Même Jésus-Christ, supposé être, pour les tenants d'une certaine religion, Dieu descendu sur terre, et dont il est cru qu'il a été le fruit de l'Immaculée Conception (conception sans le péché de chair) s'est d'abord développé sous forme de fœtus dans la matrice d'une femme et est né dans les mêmes conditions naturelles que tout autre enfant ; il est passé par les phases d'âge naturelles, bébé, puis enfant, puis adolescent, puis enfin adulte, avant d'être crucifié, sur ordre du Sanhédrin de Jérusalem par les autorités romaines, selon la version de cette religion. On a voulu faire de la fondation du FLN/ALN un acte divin coïncidant avec la création de l'Humanité, suivant la formule coranique : «Qu'il soit, et il fut.» Du passé, faisons table rase: une politique délibérément pratiquée En fait, la distorsion de l'Histoire à des fins exclusivement politiques, dont le seul objectif était de prouver que la légitimité des détenteurs du pouvoir avait un fondement quasi miraculeux qui n'avait pas à être justifié par des arguments tirés des évènements précédant leur accès à la puissance politique, a eu pour conséquence de faire perdre aux Algériens les repères historiques qui établissent le lien naturel entre eux et les générations qui les ont précédés. On a finalement poussé les Algériens à considérer comme normale une conception nihiliste de l'Histoire où le passé n'a aucun sens pour le présent, où les évènements qui ont conduit à la situation actuelle n'ont aucun rapport avec elle. Bref, la phrase célèbre d'un chant «révolutionnaire»: «Du passé, faisons table rase» était devenue non seulement le slogan permanent, du reste jamais proclamé publiquement des gouvernants, mais, également, une pratique politique systématique. Des noms propres devenus des noms de lieux sans épaisseur humaine Seuls certains lieux publics rappelaient les hommes du passé récent, mais de manière abstraite. On aurait pu aussi bien désigner les rues, avenues, places, etc. par des numéros, parce que manquait l'épaisseur psychologique humaine individualisée qui est donnée à un nom propre quand on connaît les faits, actes et paroles de la personne citée. Il y avait des dizaines de «Place Emir Abdelkader», «d'avenue Abane Ramdane», de «Lycée Amirouche» et bien d'autres noms, paradoxalement à la fois fameux, car donnés à un lieu public, et inconnus, car le référent descriptif à des personnes en chair et en os derrière ces noms manquait. Mais qui étaient ces hommes et femmes dont les exploits et la vie avaient mérité qu'ils voient leurs noms attribués à des lieux publics et qui ont eu la chance d'échapper à la censure totale imposée sur notre Histoire commune ? Rares étaient ceux qui le savaient. Un peuple privé de son Histoire pendant quatre décennies Pendant près d'un demi-siècle après l'acquisition de l'indépendance, les Algériennes et Algériens ont été tenus dans l'ignorance quasi totale de l'Histoire des hommes et des institutions passées qui ont façonné ce pays tel qu'il est maintenant. Les commémorations de tel ou tel évènement historique, qui ornent les calendriers officiels, ont pris un aspect quelque peu irréel, même fantastique, car les évènements étaient désincarnés ; les personnages y ayant joué un rôle avaient été effacés de la mémoire de ceux qui n'avaient pas vécu ces évènements. Ainsi, on pouvait aller se recueillir à Ifri sans qu'y soit mentionné aucun des noms, passés subrepticement à la trappe de l'Histoire, de ceux qui avaient joué un rôle dans ce congrès, ô combien contesté ! de la Soumman. Il y avait des évènements historiques mais, paradoxalement, une absence totale de personnages historiques, faisant penser à la fameuse évocation, par le romancier américain de Science fiction Ray Bradbury, d'un monde sans humains où les machines continuent à fonctionner avec entêtement ! Un seul héros, le peuple, mais où est donc passée l'histoire qui l'a créé! On a même inventé la fiction d'une guerre de libération en autopilotage, sans dirigeants, sans des institutions, sans documents, mais produisant des héros à la pelle et des batailles sans nombre! Essayons d'écrire l'Histoire de la Seconde Guerre mondiale sans faire référence à Mussolini, Hitler, Himmler, Rommel, Eisenhower, De Gaulle, le Mikado Hiro-Hito, Roosevelt, Omar Bradley, le Maréchal Pétain, les tirailleurs algériens, la Résistance française, Staline, le Maréchal Joukov, le Général Timoshenko, le Maréchal Novikov, etc., et on aura l'équivalent de l'Histoire qui a été imposée aux Algériens pendant des décennies ! Quoi de plus logique que beaucoup en soient arrivés à conclure que l'Algérie n'a pas d'Histoire ou que, en supposant que cette Histoire existe, il n'y a rien en elle qui mérite d'être exalté ? Sous le couvert du slogan: «Un Seul héros, le peuple», les dirigeants ont, de manière délibérée, effacé de la mémoire de ce peuple ce qui le différencie des autres peuples, à savoir les évènements et les hommes du passé qui l'ont façonné dans sa personnalité, sa culture, sa religion, ses mœurs, sa diversité linguistique comme son unité nationale. Tout en faisant semblant de hausser le peuple au pinacle, on l'a privé de ce qui légitime son existence en tant qu'entité humaine autonome. On passe sous silence le jeu de mots cruel que beaucoup ont construit sur ce slogan. Mais, Hélas ! Comme nombre de plaisanteries, ce jeu de mots synthétise les centaines d'ouvrages déjà écrits ou à écrire sur notre peuple et son système politique. L'Histoire de l'Algérie, un butin de guerre Donc, l'affirmation avancée par cet homme politique ne peut être qu'approuvée, car elle décrit une réalité qu'il est extrêmement difficile, si ce n'est impossible, de nier. Les Algériennes et Algériens ont été simplement privés de leur Histoire. Et comme elle ne peut ni n'avoir jamais existé, ni avoir complètement disparu, même si le peuple algérien avait été effacé de la surface de cette terre, elle ne pouvait qu'avoir été escamotée au profit d'un groupe. Seuls les tenants du pouvoir avaient la puissance politique nécessaire pour faire de cette Histoire leur propriété privée. Donc, utiliser le terme «butin» n'a rien d'abusif. L'Histoire de l'Algérie est tombée entre les mains de ceux qui se sont emparés, dans les conditions que l'on sait, du pouvoir politique à l'indépendance de notre pays. Il a fallu beaucoup de sacrifices, beaucoup de sang versé pour que l'on atteigne la période bénite actuelle où, enfin, on peut jouir du droit naturel à la connaissance de l'Histoire de son peuple, dans ses aspects les plus nobles, comme les plus sordides, les plus héroïques comme les plus prosaïques, les plus généreux comme les plus cruels. Une tâche incomplète de redécouverte de l'Histoire En tentant de reconstituer la vie de Amirouche, ce héros dont le nom a été popularisé par les centaines de lieux publics à travers tout le territoire national qui le porte, l'auteur a fait œuvre utile. Cependant, les multiples facettes de la personnalité de Amirouche méritaient qu'on les revisite encore et encore. Il est certain que ce ne sera pas la dernière biographie qui sera écrite sur lui. D'autres ont écrit sur ce personnage illustre avant cet auteur, même des compagnons de combat, comme Hamou Amirouche, Djoudi Attoumi et Salah Mekacher, ancien directeur de l'hôpital de Tizi Ouzou jusqu'à sa retraite (voir http://www.fabriquedesens.net/La-Bleuite-ou-l-art-de-la-guerre). Certains même l'ont chanté sans se gêner de mentionner les aspects les plus sanglants de sa vie, comme le regretté Matoub Lounès. On aurait voulu cependant qu'il y ait cohérence entre la finalité du combat de cet homme d'exception, d'un côté, et la présentation des faits et actes par lesquels il a marqué l'Histoire de l'Algérie. La guerre: un des moyens de la politique C'était un homme qui a acquis la prééminence au cours d'un conflit armé. Nul ne nierait cela. Effectivement, l'expression «conflit armé» est synonyme de guerre. Comme l'a si bien dit le stratège prussien Carl Van Clausewitz, «la guerre n'est que la poursuite de la politique par d'autres moyens». Aucune guerre n'est simplement un ensemble d'actes de destructions, de meurtres et de souffrances humaines, limités dans le temps et infligés mutuellement par deux collectivités l'une sur l'autre. On n'en vient pas aux mains et à la violence totale sans raison. Il n'y a pas de guerre pour l'amour de la guerre. On ne déclare pas une guerre sans raisons; on ne la déclenche pas sans motifs; on ne la poursuit pas sans justifications et on ne la conclut pas sans résultats. La guerre, une entreprise professionnelle pour des objectifs politiques L'expression «la guerre est une chose trop sérieuse pour qu'on en laisse la responsabilité aux militaires» ne fait que souligner le caractère utilitaire de la guerre. Sans résultats positifs attendus, la guerre serait essentiellement une affaire de «guerriers», comme le football est une affaire de footballeurs. Tous ceux qui ne prennent pas directement part à la guerre seraient de simples spectateurs intéressés par le déroulement de ce match sanglant entre deux équipes, tels les spectateurs du match de football. On applaudit aux exploits de son équipe, et on houspille l'équipe adverse lorsqu'elle fait une faute ou marque un but qu'on considère comme volé. Ainsi, dans cette vision, une guerre c'est comme un match entre deux armées, match où le ballon est remplacé par le boulet et les projectiles de toute nature, de toutes formes et tous moyens de lancement, et où le but est marqué quand un des membres de l'armée adverse est mis hors de combat, ou qu'un acte de destruction matérielle lui est infligé. La guerre n'est pas un match de foot armé Ceux qui ne sont pas directement impliqués dans ce match sanglant, quelle que soit l'équipe armée et surarmée qu'ils soutiennent, seraient de simples badauds applaudissant certaines fois, huant à d'autres, pleurant à l'occasion, et riant parfois. Bref, la guerre concernerait les hommes armés et nul autre qu'eux. Suivant cette vision des choses, la guerre serait une affaire de professionnels, entre professionnels dont le seul objectif serait de prouver qu'ils sont mieux armés et plus courageux que la partie adverse. Utiliser l'expression «la Guerre d'Algérie» c'est embrasser cette conception, et, du même coup, rendre quelque peu flou le lien de cause à effet entre Amirouche, en tant que héros, d'une côté, et de l'autre, l'objectif politique du combat dans lequel il était engagé. La guerre n'a de sens que politique Car on enlève toute rationalité politique à cet acte de violence organisé et rationnel qu'est la guerre, pour en faire une simple confrontation entre deux groupes de professionnels qui s'entretuent pour le plaisir de s'entretuer, parce que c'est là le but de la profession de militaire, même exercée à titre d'amateur, comme pour le cas de Amirouche qui n'a jamais reçu de formation militaire et s'est improvisé chef de guerre. C'est la rationalité politique derrière toute guerre qui rend les destructions, les souffrances et les sacrifices qu'elle entraîne, acceptables et légitimes, et qui en fait non une série ininterrompue de crimes de droit commun commis au nom d'une communauté, mais une activité justifiable et moralement acceptable et acceptée. Sans objectifs politiques, qu'ils soient cachés ou clairement exprimés, une guerre se réduit à un simple échange de coups entre professionnels, dont le seul objectif serait que l'un des groupes en conflit prouve à l'autre qu'il est plus fort que lui. Cette conception réduit la guerre à une sorte de bagarre entre forts à bras dans une cour d'école ou de lycée, ou une rixe entre deux voyous dans un marché hebdomadaire ! Guerre d'Algérie ou Guerre de libération: une différence de sens fondamentale La référence au lieu transforme la vision de la guerre comme une série d'anecdotes sanglantes dont le déroulement a été soumis au hasard des rencontres entre groupes armés antagonistes se battant pour le plaisir de se battre. La guerre, qui s'est déroulée entre le Premier Novembre 1954 et le 19 Mars 1962 «s'est», pour ainsi dire, «tenue en Algérie». Pourquoi là plutôt qu'ailleurs ? Simplement parce qu'un groupe armé, composé essentiellement «d'indigènes», a confronté un autre groupe armé composé essentiellement «d'émigrés» étrangers. Cette Guerre d'Algérie aurait aussi bien pu se nommer «guerre de France» car, alors, l'Algérie était «légalement» française. Refuser de donner à la guerre son sens et ses objectifs politiques revient en fait à adopter l'analyse et la narration historique des fanatiques du système colonial français qui continuent à répéter, à juste titre techniquement, que la France a gagné la guerre. Effectivement, à faire le décompte des morts et des destructions, à établir un inventaire des destructions subies et des souffrances, dans cette conception nihiliste de la guerre, où la guerre est menée pour le plaisir de la guerre, l'ancienne puissance coloniale a marqué suffisamment de points pour qu'un arbitre impartial la déclare victorieuse et lui remette la coupe de la «meilleure armée» face à l'ALN. La seule victoire qui compte: la victoire politique Mais, hélas ! Et tous les stratèges connaissent cela depuis que Sun Tzu(http://artdelaguerreselonsuntzu .ifrance.com/) a écrit son fameux ouvrage, court mais plus instructif que des milliers de manuels de réflexion stratégique, la guerre n'est qu'un moyen, parmi tant d'autres, d'imposer sa volonté politique, c'est-à-dire ses propres objectifs politiques, à la partie adverse. Tel est le cas pour la guerre qui s'est déroulée en Algérie et a permis à Amirouche de révéler ses qualités de chef de guerre. Une «guerre gagnée militairement et perdue politiquement » est un non-sens ; la seule victoire qui compte dans la guerre est la victoire politique. Et la seule raison d'être de la guerre est le gain politique qui en est attendu par l'une ou l'autre des parties en conflit. En refusant d'utiliser le terme «Guerre de libération» au lieu de «Guerre d'Algérie», l'auteur en cause embrasse, qu'il le fasse consciemment ou inconsciemment-et il n'est nullement question de lui faire un procès d'intention, car c'est sa responsabilité propre de contrôler étroitement le lien entre sa pensée et l'expression écrite de cette pensée-et adopte la terminologie propre aux citoyens du pays adverse, qu'ils soient historiens ou autres, terminologie qui charrie implicitement ou explicitement la thèse que l'aspect militaire de la guerre est plus important que son aspect politique, et délégitime en quelque sorte l'objectif de libération nationale pour lequel Amirouche s'était engagé et avait accepté le sacrifice suprême. Des opérations de maintien de l'ordre à la guerre: un délai de six décennies ! La meilleure preuve que le terme «guerre» a un sens politique, qui est prééminent à son sens purement technique de conflit visant à la destruction physique et matérielle de l'ennemi, c'est le temps qu'a mis le gouvernement français pour donner le qualificatif de guerre aux opérations que son armée a menées pendant près de huit années sur le territoire de notre pays. Et c'est une loi, c'est-à-dire un acte législatif suprême, qui a reconnu cette qualification. Comme le rappelle L'Express, hebdomadaire français : «1999, 5 octobre: le Parlement français adopte une proposition de loi reconnaissant «l'état de guerre en Algérie» dans les années 1950. Il aura fallu près d'un demi-siècle pour requalifier des faits jusque-là définis comme des «événements». (cité dans: http://www.aidh.org/faits_documents/algerie/express2.html) Lorsque Amirouche est mort le jour fatidique du 29 Mars 1959, les armes à la main, les opérations militaires coloniales étaient alors qualifiées «d'opérations de maintien de l'ordre», alors que le leadership, du côté algérien, utilisait le terme de «Guerre de libération nationale». Le terme «Guerre d'Algérie» n'a pas la tonalité neutre qu'on veut lui donner ; il constitue l'expression d'une prise de position vis-à-vis du caractère éminemment politique des objectifs de cette guerre comme de la qualification de ceux qui, du côté algérien, combattaient l'ennemi de l'époque. Et l'histoire de Amirouche racontée dans la perspective de la «Guerre de libération nationale » est différente de celle racontée dans la perspective de la «Guerre d'Algérie». Amirouche : un héros de la Guerre de libération nationale ou un hors-la-loi «abattu les armes à la main ?» Dans le premier cas, son action et sa mort avaient leur justification politique au moment même où il menait son combat, et on était justifié à le considérer comme un martyr de la lutte de libération nationale. Dans le second cas, on le fait agir et mourir comme rebelle, hors-la-loi qui méritait d'être traité en criminel, jusqu'à sa réhabilitation en conséquence de la loi française de 1999, qui en faisait un combattant légitime. Le paradoxe des Accords d'Evian, c'est qu'ils ont été signés entre une puissance qui n'avait pas renoncé à qualifier les combats en Algérie «d'opérations de maintien de l'ordre», d'un côté, et de l'autre, un groupe d'hommes non reconnus comme représentant une entité collective humaine politique utilisant la voie des armes pour parvenir à ses objectifs politiques. Et c'est là que réside l'incomparable victoire politique des dirigeants du GPRA, qui ont réussi à ramener la partie adverse à reconnaitre qu'elle avait gagné effectivement la partie «moyens» de cette longue bataille qu'est une guerre, mais non l'essentiel, c'est-à-dire la partie «fins» ou objectifs politiques. Une contradiction irrémédiable dans la construction biographique On comprend pourquoi il a fallu cinquante-quatre ans à cette puissance pour qu'elle reconnaisse sa défaite politique dans une guerre où elle avait militairement dominé; et on peut lui reconnaître cette victoire finale! Mais, il demeure incompréhensible qu'un auteur algérien, chef d'un parti politique, s'entête à ne pas reconnaitre la victoire politique du peuple algérien, alors que tout le but qu'il avait tracé à son livre était de donner à un héros de cette Guerre de libération une exemplarité hors du commun. N'est-ce pas là la contradiction mortelle, le coup de grâce qu'il donne à son entreprise de récupération de l'Histoire ? Et ne justifie-t-il pas, par là, le fait que le groupe qu'il prétend combattre se maintient légitimement au pouvoir et a donc tout droit d'utiliser ce butin de «guerre» à son gré, puisqu'il l'a mérité par les sacrifices qu'il a consentis ? Ainsi, cette fameuse phrase, que sans aucun doute l'auteur a voulu transformer en une expression-choc de son argumentation, se retourne contre lui et perd de sa force, tout en confortant dans leur légitimité ceux auxquels il croyait avoir délivré le coup de grâce. En conclusion: 1) Ce n'est ni un secret ni une vérité rejetée que les gouvernants ont imposé une vision de l'Histoire d'où avaient disparu des personnes et des évènements essentiels dans la constitution de cette Histoire ; 2) Cette manipulation de l'Histoire est considérée comme une critique banale qui ne soulève plus aucune contestation de la part de ceux qui sont au pouvoir comme de la part de leurs opposants; 3) Une Histoire désincarnée a été imposée aux Algériens, alors que des lieux publics recevaient des noms de personnages historiques dont les actions, les exploits, les paroles étaient passés sous silence ; 4) Les évènements historiques étaient présentés sans référence à ceux qui étaient derrière leur création, et la commémoration de ces évènements prenait une allure surréaliste car non liée à des noms de personnes qui avaient vécu et étaient morts pour une idée; 5) Les Algériennes et Algériens se sont vus confisquer leur droit naturel à une Histoire nationale à laquelle ils puissent se rattacher et grâce à laquelle ils puissent se reconnaitre comme membres d'une collectivité nationale ; 6) Peu à peu, beaucoup d'entre eux en sont arrivés à la conclusion que notre pays avait une Histoire qui, tout simplement, ne méritait pas d'être connue, et des hommes historiques qui ne méritaient pas d'être célébrés et pris en exemple, et que leur seule utilité posthume était de donner leurs noms à des lieux publics ; 7) Donc, en écrivant une biographie de Amirouche, suivant en cela des prédécesseurs dans cette tâche qui avaient eu la chance de côtoyer ce personnage historique essentiel, cet auteur a fait œuvre utile et le résultat de son effort doit être reconnu au-delà des critiques qui peuvent lui être adressées; 8) Outre les critiques dirigées contre certaines affirmations qu'il a avancées dans son ouvrage, et sur lesquelles il n'est pas utile de revenir, on constate qu'il utilise, pour qualifier la guerre sanglante qui s'est déroulée dans notre pays entre 1954 et 1962, une terminologie qui passe sous silence l'objectif politique de cette guerre du côté algérien ; 9) Cette terminologie met l'accent sur les aspects géographiques et techniques de la guerre et laisse entendre qu'il s'agissait d'une confrontation armée sans objectifs politiques déterminés; 10) En adoptant cette terminologie, l'auteur prend en charge l'approche de la puissance coloniale qui a mis plus de cinquante ans pour reconnaître la Guerre d'Algérie, partant de la fiction juridique que notre pays était une partie de la France de manière éternelle et indissociable; 11) Au moment de la mort de Amirouche, la version officielle des autorités coloniales étaient qu'elles menaient des opérations de maintien de l'ordre contre des rebelles hors la loi, ce qui faisait de ce dernier un criminel «abattu les armes à la main», suivant la logique de cette approche; 12) En refusant d'associer la guerre à son objectif politique, l'auteur va donc à l'encontre de sa thèse, à savoir prouver que Amirouche était un héros exceptionnel dans une guerre dont l'objectif politique était la libération du pays ; 13) Le traitement de l'histoire de ce héros aboutit, paradoxalement, à la reconnaissance du droit de ceux qui gouvernent l'Algérie de considérer l'Histoire de notre pays, comme de ceux qui l'ont faite, comme un butin puisqu'ils ont conquis le pouvoir par les armes, à la suite d'une guerre pour l'amour de la guerre ; 14) Utiliser l'expression «Guerre d'Algérie» au lieu de «Guerre de Libération» établit un référentiel de jugement des évènements de la lutte armée, qui va non seulement à l'encontre des thèses politiques à usage systémique auquel l'auteur veut donner un support par l'appel à la vie et aux exploits de Amirouche, mais également à l'encontre de la présentation de ce héros comme un symbole de la participation de la région, d'où il est originaire, à la libération du pays ; 15) L'auteur doit mettre en cohérence son vocabulaire avec ses thèses s'il veut qu'elles soient crédibles, au-delà même des critiques qui restent valables pour ce qui est de la présentation de certains évènements cruciaux de la vie de Amirouche, dont la correction devient irrémédiable, qu'il le veuille ou qu'il continue à s'obstiner dans sa position négationniste ; 16) Finalement, toute guerre victorieuse est une guerre où une partie a imposé ses objectifs politiques à l'autre partie. La Guerre de Libération a été victorieuse pour le peuple algérien car il a atteint l'objectif politique pour lequel il s'est battu ; 17) La victoire militaire est une fiction vide de tout sens lorsque l'objectif politique derrière l'effort de guerre n'est pas atteint. C'est pour cette dernière raison que la guerre menée sur le territoire algérien entre 1954 et 1962 mérite valablement le nom de «Guerre de Libération nationale»; 18) On laisse volontairement la partie adverse jouir de sa victoire militaire et continuer à appeler ce conflit «Guerre d'Algérie» ! |
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