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«Découvrez
Maurice Papon le préfet humaniste». C'est sous ce titre ironique que le journal
en ligne «Rue89» présente un document que le journaliste du Monde, Olivier
Beuvelet, a parfaitement raison de qualifier d'extraordinaire tant il témoigne,
à postériori, de la non moins extraordinaire duplicité du personnage.
Exhumé des archives de l'Institut National de l'Audiovisuel, le document en question est un film de 14m20s sous forme d'une interview de Maurice Papon, donnée sur les lieux mêmes de son travail, à la préfecture de police de Paris. «La France est belle chez elle», écrit Malek Haddad, dans un de ses romans au moment même où la guerre faisait rage en Algérie. Ce 25 novembre 1960, la France filait aussi un temps paisible de fin d'automne, si l'on croit le film de Louis Pauwels qui convie le spectateur à la suivre dans une voiture, escortée par deux motards, pour aller rendre visite à Papon dans son bureau. «Ce n'est pas une arrestation», nous rassure le journaliste. Et de fait, les questions de police, d'arrestation, d'emprisonnement, de répression, de guerre sont totalement évacuées du documentaire au profit d'une discussion de haute voltige sur... la philosophie. Il est vrai que l'occasion en est bien propice, puisque Maurice Papon venait de sortir un livre de philosophie qui porte le titre bien significatif «L'ère des responsables». Et le journaliste justifie aussi le titre de son film : «Un préfet philosophe». Souriant, décontracté, très à l'aise dans ses mots, sa rhétorique; heureux de sa double fonction de policier et de philosophe; conforté par un journaliste de son bord idéologique totalement acquis à ses thèses, Maurice Papon développe sa «philosophie en action». Comme on pouvait s'y attendre, cette philosophie singulière, humaniste de surcroît, a besoin d'un homme exceptionnel, philosophe cela va de soi, pour la concrétiser. Ce n'est point d'un homme lige dont il s'agit, encore moins d'un simple exécuteur des ordres d'un chef, mais d'un philosophe indispensable pour le travail du responsable. Maurice Papon enrobe un tel personnage d'exception d'une périphrase savoureuse «le conseiller de synthèse». Comme son nom l'indique, il éclaire de sa lumière et de ses conseils, le responsable. Il reste que cette interview de Papon du 25 novembre 1960 se situe entre deux dates historiques, comme le note pertinemment Olivier Beuvelet : «C'est donc l'homme des rafles de juillet 42 à Bordeaux, l'homme du métro Charonne et surtout celui «des noyés par balle» du 17 octobre 1961 qu'il voit deviser cordialement, entre ces deux guerres durant lesquelles, à travers lui, l'Etat français a commis ou cautionné des crimes. Dix-huit ans après avoir organisé pour la préfecture de la Gironde la déportation de 1690 juifs de Bordeaux, et moins d'un an avant de briser violemment une manifestation pacifique organisée par le FLN dans Paris, en faisant plusieurs centaines de morts, Papon dit cette phrase extraordinaire : «La resacralisation de l'homme est la condition de sa liberté de demain»». Entre la rhétorique philosophique humaniste et ses activistes répressives, il se dessine dans la trajectoire de Papon la rencontre de deux extrêmes. En rhétorique, cette figure a un nom : l'oxymore, sauf qu'ici la rhétorique est aussi une action. En action! Preuve que «la politique de l'oxymore» (Méheust, Bertrand, La politique de l'oxymore. Comment ceux qui nous gouvernent nous masquent la réalité des choses, Paris, La découverte, 2009) n'est pas seulement un phénomène nouveau, mais était déjà en oeuvre sous la Troisième Républicaine française, au moment du gaullisme triomphant. * Université de Montréal |
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