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65E FESTIVAL DE CANNES : LE PRINTEMPS FRANÇAIS

par De Notre Envoyé Spécial A Cannes : Tewfik Hakem

Rencontre à Cannes avec Benoit Delépine et Gustave Kervern, réalisateurs du « Grand Soir », comédie française originale à caractère social présentée dans la sélection officielle d’Un Certain Regard.
La scène la plus comique vue au Festival de Cannes se passe dans cette France profonde et profondément désindustrialisée qu’on voit rarement sur les écrans. Un quadragénaire vient de perdre son boulot de vendeur. C’est la crise et il n’y a pas d’issue de sortie. Pour lui, le No Futur va commencer. Alors notre chômeur va faire comme Mohamed Bouazizi, il va tenter de s’immoler. Sauf que dans le centre commercial français, personne ne fait attention à la torche humaine et chacun continue à pousser son caddie comme si de rien n’était. Cette tentative de suicide à la tunisienne est une des scènes les plus drôles du «Grand Soir», le film de Benoit Delépine et Gustave Kervern, les deux complices de l’émission Groland sur Canal Plus, par ailleurs réalisateurs pour le cinéma de quelques comédies sociales bien inspirées (dernière en date «Mamouth»).
Comment définir cette comédie totalement foutraque présentée dans le cadre d’Un Certain Regard? Disons que «Le Grand Soir» est un film punk… Les punks reviennent à la mode comme vous avez sans doute pu le constater, et pas seulement en France !
De Beth Ditto, punk lesbienne archi star, à Not, punk à chien de province archi inconnu, ils incarnent en ce mois de renouveau politique français le changement tant attendu. Not ? Mais qui est Not ?
Ce n’est pas le Bouazizi françaoui, campé par Albert Dupontel, mais son frère interprété par l’excellent comédien belge Benoît Poelvoorde.
Le film est donc l’histoire de Not, le plus vieux punk à chien d’Europe et de son frère au bord de la dépression nerveuse et du licenciement économique. Il y a autre chose dans la vie de Not et de son frère : les groupes de punk qui font du bruit la nuit et les chiens qui mordent leurs maîtres le jour. Au fil des tristes jours qui se ressemblent, une joyeuse révolution inédite se met en place…
Le très atypique mais néanmoins mythique duo de la scène musicale alternative française, Brigitte Fontaine et Areski Belkacem, est dans le coup. Brigitte et Areski jouent les parents loosers mais fiers de leurs rejetons indignés. Avec eux, c’est un peu le grand n’importe quoi, mais on aime ça. Surtout quand Brigitte Fontaine beugle en compagnie de Bertrand Cantat: «Je suis inadaptée», ou quand elle chante «C’est le Grand Soir, Allah, Allah Akbar»… «Le Grand Soir » est une bonne comédie de son époque.
Et ici comme ailleurs, avec ou sans la crête, l’époque est aux punks. Rencontre avec les réalisateurs du film. Trois questions, et après, promis craché, on va faire la fête…
- Le Quotidien d’Oran: « Le Grand Soir » est une comédie à caractère social certes, mais est-ce un film engagé qui ne se prend pas au sérieux, ou au contraire un film punk à prendre très au sérieux ?
- Benoît Delépine: «J’étais dans ma cambrousse et Gustave Kervern à l’île Maurice, on ne peut pas dire qu’on a baigné dans la culture punk. Je dirai que Le Grand Soir est un film avec un héros dionysien, et il se trouve que ce héros est le plus vieux punk à chien d’Europe…
- Gustave Kervern: «En écrivant le film, on était imprégnés aussi bien par les révoltes arabes que par les premières mobilisations des indignés à travers le monde.
Le film part de l’idée qu’aujourd’hui, c’est difficile d’exprimer son refus, sa colère, sa contestation. Avant on pouvait faire la grève, mais maintenant que les centres commerciaux ont remplacé les usines, que faire ? On a imaginé des nouvelles formes de résistance, certaines étaient révolutionnaires et radicales comme le suggère la chanson de Brigitte Fontaine composée pour le film, d’autres tout simplement drôles, plus fantaisistes…
- Benoît Delépine: On n’était pas sûrs de nous, on a tenté plusieurs fins possibles. Pour retenir au final une chute humaniste, le grand soir, oui, mais dans la fantaisie, pas dans la fureur. Un film punk anarchiste, de gauche de préférence, prolo au moins ? En tout cas, nos amis punks sont ceux qui occupent les friches de la France post-industrielle et les transforment en lieux artistiques ou lieux de vie alternatifs. Et ils n’ont rien à voir donc avec les gus du revival punk pris en charge par les maisons de disque et les magazines de mode : ce punk tendance ne nous intéresse pas.
-Gustave Kervern: Au début, on voulait mettre dans la B.O. une chanson des Sex Pistols, mais on nous a demandé un fric fou pour ça ! On s’est vite souvenu que notre pote Didier Wampas était peut-être toujours vivant, on a fait appel à lui. Et effectivement vivant, il l’était encore.
- Quotidien d’Oran: Didier Wampas, qui vient de sortir un album intitulé «Punk Ouvrier» et que les lecteurs du Quotidien d’Oran connaissant peut-être, au moins pour les chansons qu’il a composées pour Biyouna, dont un duo iconoclaste «Merci pour tout»… Mais votre film est au moins une comédie engagée, à défaut d’être un brûlot révolutionnaire.
-Gustave Kervern: Oui, un peu…
- Benoît Delépine: Beaucoup quand même, mais pas trop.
- Gustave Kervern: Un peu beaucoup donc…
- Benoît Delépine: Oui, exactement. On va faire la fête maintenant ?