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A moins d’une semaine des premières élections présidentielles de l’Egypte post-révolutionnaire, tout le monde arabe retient son souffle. C’est au Caire, les 23 et 24 mai (1er tour), puis les 16 et 17 juin (second tour) que tout va se jouer. Contrairement à la Tunisie où les islamistes ont préféré faire élire un président qui n’appartient pas à leur famille politique pour des raisons internes et internationales, en Egypte la confrérie des Frères Musulmans qui au départ ne devait pas présenter de candidat à la présidentielle pour les mêmes raisons stratégiques a fini par faire volte-face. Son candidat officiel Mohamed Morsi n’a pas le charisme d’un Abdel Moneim Abdelfoutoh, ancien dirigeant de la confrérie exclu de la l’organisation en juin 2011 après avoir annoncé sa candidature, il n’empêche que rien n’est joué. Ironie du sort, les libéraux et les forces de gauche vont être obligés de soutenir Amr Moussa, l’ancien ministre de Moubarak, le seul qui peut rivaliser avec les deux candidats islamistes (l’officiel et «l’indépendant»). Si les sondages réalisés au Caire donnent Amr Moussa favori, tous les Egyptiens présents à Cannes cette année soulignent à quel point il ne faut surtout pas se fier à ces études…
Cette année le Festival de Cannes accueille une forte délégation égyptienne, outre l’équipe de «Après la bataille» du réalisateur Yousry Nassrallah, en compétition officielle, plusieurs stars, réalisateurs, et producteurs sont venus faire un lobbying intelligent pour alerter l’opinion mondiale sur ce qui se passe dans leur pays et pour trouver les moyens de relancer une industrie cinématographique en panne sèche depuis le début des révoltes de la Place Tahrir. Les raisons de cette crise sont multiples (la sécurité, les changements dans les structures étatiques, le ministère de la Culture notamment). Mais la menace des intégristes n’est pas la moindre, les procès à la chaîne intentés à la star Adel Imam illustrent la rude bataille que doivent mener les Egyptiens pour sauver leurs industries cinématographiques et musicales. Toute cette intro pour mieux souligner que le film de Yousry Nasrallah, tourné en pleine révolution de la place Tahrir- un peu à la manière de Roberto Rossellini captant l’Italie meurtrie et bombardée de l’immédiate après guerre dans «Rome Ville ouverte»- était très attendu. Un film politique ? Certes mais pas seulement et c’est la bonne nouvelle de «Après la bataille», sans doute le meilleur film de Yousry Nassrallah depuis «Mercédès, ce n’est ni un documentaire ni un réquisitoire mais un vrai film de cinéma, une histoire d’amour contrariée dans la pure tradition du (bon)cinéma populaire misri. Rym aime Mahmoud qui la désire aussi ardemment mais leur histoire n’est pas possible. Pas seulement parce que Mahmoud est déjà marié et père de deux enfants. Non, entre Rym et Mahmoud en plus de la différence de classes ( elle bourgeoise du quartier Zamalek, lui plouc de derrière les pyramides), il y a le fossé creusé par la révolution de la place Tahrir. Rym est évidemment une militante féministe, activiste parmi les activistes éclairés qui sont sortis pour exiger la fin de la dictature et le pauvre Mahmoud le chamelier a été utilisé par le régime de Moubarak pour aller charger les manifestants le 2 février 2011. Sauf que non seulement il a été intercepté par les révolutionnaires et roué de coups mais la scène de cette déchéance a été filmée et mise sur Youtube. Voilà l’idée géniale et humaniste de Yousry Nasrallah, s’enticher de la figure haïe du printemps arabe ( tout le monde se souvient des chameliers et cavaliers envoyés casser les révolutionnaires) pour en faire le vrai héros d’un mélodrame en prise avec l’actualité. Une fois l’histoire d’amour installée, la peur était de voir le film sombrer dans un angélisme douteux ou un paternalisme de gauche, deux pièges que le film évite avec tact. «Après la bataille» est un film chahinien dans toute sa splendeur, c’est le meilleur des compliments qu’on puisse faire à celui qui fut longtemps l’assistant, le bras droit et l’ami du grand cinéaste égyptien. Chahinien dans le sens où le film nous rappelle que les combats pour la modernité et le progrès ne valent que s’ils sont partagés avec tout le monde, pour ne pas dire avec le «peuple». Alors que Mahmoud se rend compte à quel point il a été le bouffon d’un système dictatorial, c’est bien Rym qui amorce une autocritique des pratiques de la bourgeoisie occidentalisée caïrote. L’histoire d’amour est impossible entre Rym et Mahmoud, mais ce sont de vrais baisers qu’ils s’échangent, une vraie rencontre qui se dessine, loin de la censure. Dire que Menna Chalabi est la meilleure actrice arabe du moment n’est pas d’une originalité folle, non, mais la surprise vient de Bassem Samra. Longtemps considéré comme «le populo mignon» repéré et protégé par Yousri Nasrallah, longtemps tenu à l’écart par un star système qui voyait en lui un intru pistonné pour ne pas dire autre chose, il finit à 40 ans par s’imposer comme un acteur à part entière… En conférence de presse un journaliste israélien félicite Yousri Nasrallah et lui tend un piège gros comme un char qui détruit une maison : «Ca vous fait quoi de savoir que votre film a été acheté par Israël ?». Yousri Nasrallah lâche aussi sec : «A titre personnel, tant que les territoires palestiniens sont occupés et les Palestiniens maltraités je ne veux pas que mon film soit vendu à Israël». Les journalistes arabes présents applaudissent et là Yousri Nassrallah sent le piège. Il s’adresse aux Arabes : «Pourquoi ces applaudissements ? Ils n’ont pas lieu d’être, j’ai des amis israéliens comme Avi Moghrabi ou Amos Gitaï, et je suis pour une paix juste et équitable entre Israéliens et Palestiniens». S’adressant au toujours souriant journaliste israélien, le réalisateur égyptien lâche avec une émotion dans la voix «Votre pays a soutenu Moubarak, et pas les révolutionnaires». Trop tard, à la fin de la conférence de presse les agences avaient déjà diffusé la première déclaration de Yousri Nasrallah. Et le film applaudi à sa projection de presse a reçu un accueil mitigé le lendemain. La polémique ne fait que commencer, mais on peut d'ores et déjà décerner la palme de l’honneur à Yousri Nasrallah. Plutôt que d’être politiquement correct, vaut mieux être politiquement courageux. C’est le message du film «Après la bataille» et de la conférence de presse de Yousry Nassrallah. Du coup la pluie peut tomber autant qu’elle veut, on est bien content d’être à Cannes. |
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