
La maison brûle
et la famille en état d'alerte maximale étale son linge sale en public. Voilà
le piteux décor qui se dessine à touches insistantes dans la Libye
d'aujourd'hui et déteint sur toute la cartographie régionale après les quatre
ans de la chute du dictateur El-Gueddafi. Celui-ci a déjà prévu ce chaos. Mais
à l'époque, personne n'y a cru vu l'immense frustration des rebelles pour la
liberté confisquée durant plus de 40 ans de règne sans partage! Si Bernardino
Léon, le représentant spécial des Nations unies en Libye s'efforce depuis
octobre 2014 à réunir les factions en belligérance pour les mettre autour de la
table des négociations, les autorités, elles, à leur tête Abdallah Thani, ont
sollicité les opérateurs économiques internationaux de traiter désormais avec
l'agence pétrolière sise à Benghazi dont le commandement est basé à Tobrouk,
nouvelle capitale du pouvoir libyen au lieu de Tripoli aux mains des
islamistes!
C'est dire
combien l'incertitude n'est pas près de se dissiper dans la défunte
«Djamahiriya» et que les petits pronostics de la veille pourraient s'avérer
inopérants dès le lendemain en raison de la complexité des enjeux des uns et
des autres. A preuve que le bras de fer engagé entre les milices en présence
tient en haleine et les observateurs et la communauté internationale.
Toutefois, un constat saute clairement aux yeux : loin de se tailler le prestige
espéré du sauveur, le général Haftar, allié inconditionnel de l'Égypte
d'Al-Sissi, n'a fait que précipiter le pays dans une nouvelle tourmente aux
contours d'une guerre civile. A l'annonce de son offensive le 16 mai 2014 sur
la coalition des islamistes, les contre-alliances de part et d'autre se
multiplient. La puissante milice de Zintan qui détient le célèbre fils du
dictateur, Saif-al-Islam est par exemple allée dans son sillage, en donnant
deux jours plus tard l'assaut au siège du Congrès National Général (C.N.G), la
plus haute autorité législative libyenne à majorité islamiste. Ce qui a
compromis en quelque sorte le processus électoral esquissé dans le pays. Et en
représailles, à Benghazi, foyer de la révolution, pourtant stratégiquement dans
la zone d'influence de Khalifa Haftar, les islamistes se révoltent contre la
présence militaire des éléments du pouvoir autoproclamé de Tobrouk sur fond de
contrôle de la rente pétrolière. Entre ces deux positions, une large partie de
l'opinion publique aura suspecté un coup d'Etat du général que les autorités
auraient vite démenti parce que le concerné a écarté toute idée de plan de
carrière derrière cette opération dénommée «Karama» (dignité). A fort ancrage
«bédouinocratique», la Libye s'enfonce dans des affrontements intertribaux. Ne
parlons pas du risque de la contagion aux pays frontaliers et de l'appel d'air
de quelques voix pour une intervention étrangère bis, en principe de l'O.T.A.N
afin d'y rétablir la paix.
Or, qui pourrait
oser relever un tel gigantesque défi? Pas sûr, du moins dans le contexte
actuel. D'autant que l'opération militaire de l'Harmattan fut a posteriori un
cuisant échec. Les «one two three, vive à Sarkozy» déclamés à cor et à cri par
les populations en liesse à Benghazi en 2011 sonnent comme un amer souvenir.
Indubitablement, le désastre libyen a provoqué ça et là des poussées
d'urticaire dans les parages. L'Algérie et l'Egypte sont les premiers
concernés. La première parce qu'une déstabilisation régionale la dessert.
Sachant qu'elle est restée presque muette du début jusqu'au terminus de
l'insurrection populaire de 2011. Une neutralité suspecte et un coup de froid
que les révoltés libyens et même par la suite le Conseil National de Transition
(C.N.T) ont mal interprété, l'accusant à mots à peine voilés d'être un soutien
actif des mercenaires d'El-Gueddafi. Cela s'est compliqué encore davantage
depuis que la nomenclature d'Alger aurait accepté de servir d'asile à la fille
du dictateur et sa caravane en fuite. Or, Alger craint en premier lieu une
intervention étrangère de l'O.T.A.N dont il est peu évident de gérer les
retombées. Ensuite, ce dont il a le plus peur, c'est l'étape
post-révolutionnaire à laquelle il sera d'une manière ou d'une autre convié d'y
participer. A l'impossible nul n'est tenu, dirait le proverbe. Car, l'O.T.A.N
est bien intervenu en Libye, El-Gueddafi liquidé et Alger, jusque-là plus ou
moins à l'écart des remous de la crise, est contraint malgré lui de composer
avec la nouvelle réalité du terrain au côté de l'Égypte. Cette dernière a, il
est vrai, changé le fusil d'épaule au lendemain de l'arrestation de Morsi, son
premier président démocratiquement élu. La hantise de la lutte anti-terroriste,
assimilée dans l'imaginaire des nouvelles autorités à l'anti-islamisme primaire,
a enclenché une dynamique éradicatrice au-delà de ses frontières. Les
Américains, peu enthousiastes au début pour le régime militaire égyptien à
cause de l'évidente illégalité du coup d'Etat, n'en ont rien dit, laissant
entendre à l'opinion publique internationale qu'ils préféreraient l'ordre
militariste à l'anarchie islamiste. Ayant compris la teneur de ce message en
filigrane, Al-Sissi, qui espère reconquérir la confiance des siens, s'évertue à
forger une influence régionale. Daesh et son fameux Etat Islamique est là! Il
lui en a offert la chance sur un plateau d'or, décidément! Ainsi, dans une
relation de cause à effet, les 21 coptes chrétiens décapités en février dernier
auraient-il suscité un vif émoi chez la communauté internationale, le monde
arabe, l'Europe et l'Occident en général. En Egypte, à peine remise des
séquelles de sa post-révolution, ce massacre fut un déclic pour une
redistribution des cartes au niveau régional. Al-Sissi saute sur l'occasion,
remobilise les énergies et attaque. Entre-temps, de l'intérieur, c'est le
profil d'une Libye sous haute tension, divisée, sans assise démocratique et
incapable de maîtriser son destin que l'actualité jette aux consciences.