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Débat :
Le waqf en Algérie : de la législation rigide à une vision de développement
par Chebli Khaled ![]() De la revitalisation
symbolique à l'activation stratégique
Dans un contexte de transformations structurelles de l'économie nationale et de recherche continue de mécanismes alternatifs de financement, la fondation waqf revient sur le devant de la scène en tant que l'un des piliers historiques ayant contribué à la formation d'une société solidaire et instruite dans la civilisation islamique. Cette institution n'a jamais été marginale; elle a constitué un moteur économique, social et culturel, soutenant des universités prestigieuses comme Al-Qarawiyyin, Al-Zaytuna, et Al-Azhar, ainsi que des hôpitaux et des centres scientifiques. Alors que le projet de loi sur le waqf est actuellement en discussion parlementaire, une question se pose de nouveau : sommes-nous en train de réhabiliter une institution patrimoniale ? Ou bien réinventons-nous un partenariat civil entre l'État et la société sur des bases modernes ? Ce projet de loi ne représente pas simplement une mise à jour technique du cadre juridique ancien, mais il propose un nouveau modèle de développement, fondé sur la mobilisation des énergies communautaires par des mécanismes de solidarité volontaire. C'est pourquoi une analyse approfondie de ce projet est nécessaire, qui dépasse la simple approbation pour se concentrer sur la capacité de cette législation à concrétiser la transformation attendue. Premièrement : Vers une nouvelle compréhension du waqf - de l'éternité à la diversité L'une des nouveautés importantes apportées par le projet de loi est l'extension du concept de waqf, en y incluant le waqf temporaire, mobilier et financier, ainsi que les titres financiers, les droits de propriété intellectuelle et numériques. Cette évolution s'inscrit dans les fatwas modernes, notamment celles du Féqhi Conseil de la conférence des pays islamiques qui ont validé le waqf temporaire et financier, dès lors que les garanties légales et organisationnelles sont réunies. De plus, le critère d'éternité du waqf a été aboli, ce qui ouvre la voie à des formes plus flexibles et adaptées aux besoins contemporains. Ce changement est conforme aux principes juridiques en Islam, comme l'indique le Coran : «Ce qui est donné en charité ne meurt pas, mais il vivifie la communauté.» Deuxièmement : Encourager l'investissement waqf - de la charité à l'exploitation Une autre transformation clé du projet de loi est de relier le waqf à l'économie islamique en introduisant des mécanismes financiers modernes tels que la murabaha, la participation, l'ijara, et le qirad. Cela marque une transition vers un waqf plus productif, plutôt que consommateur. Le loi n°91-10 du 27 avril 1991 avait déjà ouvert la voie à l'investissement des biens waqf, mais ne fournissait pas les outils institutionnels et financiers nécessaires pour le faire de manière systématique. Le projet actuel, quant à lui, renforce cette approche en précisant les conditions de transparence et de responsabilité, ce qui reflète des pratiques réussies observées dans des pays comme la Malaisie et la Turquie, où le waqf est devenu un outil alternatif de financement pour des secteurs vitaux. Troisièmement : Réforme législative - de la fragmentation à l'unité organisationnelle Historiquement, le waqf en Algérie a souffert d'une législation fragmentée, avec des textes épars tels que la loi 91-10 et le décret exécutif n° 98-381 sur la gestion des biens waqf. Ces textes souffraient de manque de cohérence et de clarté, ce qui a entravé l'efficacité de leur mise en œuvre. Le projet de loi actuel propose une législation unifiée, permettant de clarifier les responsabilités, de renforcer le contrôle et d'améliorer la gestion des fonds waqf. Cela s'inscrit dans la ligne des principes de l'article 17 de la Constitution algérienne de 2020, qui stipule : «La propriété publique appartient à la nation, elle est protégée par l'État et doit être utilisée de manière optimale.» Quatrièmement : Gouvernance et transparence - de la gestion chaotique à un contrôle institutionnel Le projet de loi introduit des mesures pour intégrer le waqf dans un système national de gouvernance, en mettant en place : Un système de contrôle interne et externe. Des sanctions juridiques contre les abus liés aux biens waqf. La création d'un registre national des biens waqf, une avancée majeure pour la transparence et la stabilité de l'investissement. Dans le respect des engagements internationaux, notamment ceux du GAFI (Groupe d'action financière), le projet vise à lutter contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme en régulant les sources de financement et en assurant une traçabilité complète, ce qui renforce la crédibilité de l'Algérie sur la scène internationale. Cinquièmement : Implication de la société civile - de la centralisation à la participation L'un des problèmes majeurs des précédentes réformes a été l'exclusion de la société civile de la gestion des biens waqf. Cela a vidé cette institution de son rôle communautaire. Le projet de loi actuel rétablit ce rôle en permettant aux associations et organisations locales de participer activement à la création et à la gestion des waqfs. Cette approche rejoint les principes de l'article 13 de la loi 12-06 sur les associations, qui permet aux personnes morales de la société civile de mener des actions à caractère social et de développement, ce qui garantit une légitimité accrue du système waqf dans la société. Sixièmement : La nécessité d'un organisme national indépendant pour les waqfs Malgré les avancées du projet, il demeure crucial de créer un organisme national indépendant pour les waqfs, doté de pouvoirs exécutifs et de supervision. Cette institution devrait disposer de : Un conseil consultatif scientifique et juridique. Des mécanismes de contrôle financier indépendants. Une capacité d'initier et d'exécuter des projets d'investissement waqf. Un tel organisme permettrait de dissocier la gestion administrative des waqfs de celle du ministère des Affaires religieuses et de promouvoir ainsi l'efficacité institutionnelle et la confiance publique dans le système. Conclusion : Le waqf comme outil de renouvellement du pacte social Nous sommes face à un projet de loi qui ne se contente pas de redonner sa place à une institution traditionnelle, mais qui réinvente la relation entre l'État et la société dans un cadre solidaire et de développement. Ce projet peut devenir un véritable levier pour l'économie solidaire, à condition qu'il soit accompagné par une volonté politique, un organisme indépendant, et une mobilisation communautaire large. L'application effective de cette législation passe par : 1. La criminalisation des entraves à la gestion des waqfs et la mise en place de mécanismes de responsabilité. 2. La numérisation du système waqf via un registre national unifié. 3. Le lancement de campagnes nationales de sensibilisation pour restaurer la confiance publique dans le waqf. Pour conclure, citons à nouveau les mots de Ibn Khaldun : «L'argent donné pour la cause de Dieu ne fait pas mourir les nations, mais il les fait vivre.» Saisissons cette opportunité pour poser les bases d'un système waqf moderne qui redonne à la société algérienne une partie de son équilibre et de sa justice. |
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