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Maestro Amine Kouider, avec l'art et la manière

par Mohammed Beghdad

Quelques jours avant mon arrivée à Paris en ce mois printanier de mars, j'avais envoyé un mail à mon ami d'enfance et de classe Daoud l'avisant de mon passage dans la capitale de l'hexagone pour le lundi 19 mars. Aussitôt, il répondit à mon message en m'écrivant qu'il me réserverait une agréable surprise si je lui confirmerais ma venue en cette journée si spéciale.

Tout de suite, la date du souvenir du 19 mars revenait dans ma tête, je pensais peut-être assister à une conférence sur le thème ou à quelque chose qui a trait à cette date mémorable pleine de souvenirs historiques pour les deux rives de la méditerranée. J'ai alors renvoyé un autre mail à mon ami pour en savoir plus sur l'évènement mais il ne m'en dira pas plus sinon la surprise perdrait de son sens. Je commençais à imaginer ce que devrait être mais jamais je n'ai pu imaginer la chance qui m'attendait en cette belle soirée.

Arrivé le jour J, le rendez-vous avec Daoud fût pris vers 20 heures. Plus exactement à l'arrêt du métropolitain «Miromesnil» tout juste après la station «Saint-Lazare» en arrivant dans le métro de la ligne bleue claire du numéro 13. J'arrivais presque trois quarts d'heure avant mon ami accompagné des siens qui étaient coincés avec sa voiture dans les embouteillages de Paris à cette heure-ci de grande pointe juste à la sortie des bureaux des parisiens travaillant ou résidant dans le cœur de la ville.

Arrivé donc en avance sur mon ami, j'attendais incessamment au carrefour entre deux rues dont je découvris les noms que sur place sur les lieux du croisement entre une rue et un boulevard. Le boulevard est coupé en deux et porte deux noms : la fin du boulevard «Delcassé» et le début de celui de «Percier». Quant à la rue qui les scinde en deux, eh bien c'est la rue de la ? «Boétie» ! C'est donc ça la «rue de la Boétie» dont mon ami m'avait fixé le rendez-vous dans son premier mail et plus exactement au numéro 45.

Sur le coup, je ne me suis pas rendu compte qu'à la lecture de la plaque située au coin de ce carrefour. Il ne me restait qu'à chercher l'emplacement du bon numéro qui se trouvait juste à quelques mètres de là. En se rapprochant un peu plus, je m'apercevais que c'est une salle de spectacle et qui s'appelle «Gaveau» (1). Tiens ! Tiens ! Un autre nom qui ne m'est pas totalement étranger pour l'avoir entendu se prononcer à plusieurs occasions dans les médias français. Une salle mythique et centenaire qui se trouvait en plein centre du 8ème arrondissement et à peine à quelques jets de pierres des Champs Élysées.

Tout de suite, j'ai imaginé la cérémonie à laquelle mon ami Daoud m'a conviée en discernant les instruments de musique qui sont exposés sur les vitrines juxtaposant l'entrée principale. C'est donc à un concert de l'orchestre symphonique Algéro-Française dont Daoud insistait sur ma présence et à laquelle il m'en avait parlée au cours de son dernier séjour en été au bled. Il m'en avait même laissé une copie du dernier spectacle du maestro Amine Kouider (2), puisqu'il s'agit de lui, et qui m'avait réellement séduit. Pour la petite histoire, cet orchestre est composé de musiciens algériens et français qui travaillent ensemble depuis plus d'une dizaine d'années et qui est dirigé brillamment par notre héros du jour.

Après l'émigration de nos élites scientifiques, voici venue celle de notre élite culturelle, à leur tête notre désormais représentant national de la musique universelle qui l'une des rares exceptions qui se comptent sur les bouts des doigts au niveau du monde arabe. C'est vrai que faire de la musique classique en Algérie n'est pas aussi évident que ça au vue de la dégringolade culturelle où même la musique «chaâbi» ne trouve pas sa place d'antan face à la musique «raï» qui est très prisée et indétrônable surtout parmi les jeunes, du moins lors de ces 30 dernières années. Alors faire de la musique pure et raffinée, autant aller sous d'autres cieux plus cléments sans omettre d'autres facteurs décourageants.

Le spectacle auquel j'allais assister devait commencer vers 20h30mn. Une foule commençait à se former bien avant 20 heures pour ces retrouvailles dans le hall situé au rez-de-chaussée de cette salle qui pouvait contenir un peu plus de 1000 spectateurs. Juste avant le début du spectacle, une présentatrice est montée sur scène pour annoncer le programme de la soirée. Un programme consistant, à la hauteur de l'évènement du 19 mars.

Au moment où on remuait les couteaux dans les plaies pas encore cicatrisées, par des émissions dédiées à la guerre d'Algérie dans les chaînes de télévision française, avec un étalage de titres provocateurs dans les unes des journaux et des magazines français, le maestro Amine Kouider et sa troupe ont choisi de commémorer à leur belle manière l'évènement par la musique en prônant un message de paix et de quiétude. Ils ont choisi de ne pas succomber aux tentations de la haine et des remontrances, de ceux qui pensent qu'on est toujours avant 62. Et quelle musique, des tons classiques mixés à des tonalités arabo-andalouses issues du terroir, clôturés par une virée dans quelques cités algériennes, arabes et amazighs.

Amine Kouider, né bien loin après l'indépendance de l'Algérie, était là pour fêter l'évènement sans secouer les couteaux dans ces fractures, non jamais closes par de nombreux nostalgiques d'outre-mer de l'Algérie française qui ont même appelé à manifester leurs mécontentements et leur désarroi à Evian et à Marseille où se tenaient des conférences sur le sujet pour la perte de leur fleuron colonial surnommé à juste titre le paradis qu'était l'Algérie. Amine Kouider, en tant qu'Algérien et en tant qu'artiste de l'Unesco pour la paix, était là pour délivrer un bel exemple de la fraternité et de la solidarité entre les peuples et surtout regarder vers l'avenir sans oublier les mémoires du passé. Il y avait de nombreuses beaucoup de figures connues comme l'écrivain Yasmina Khadra, Malek Chebel, l'ancienne première dame d'Algérie Anissa Boumediene, l'ancien ministre de l'éducation Ahmed Djebbar et tant d'autres figures françaises avec à leurs têtes Hervé Bourges et Jean-Pierre Elkabbach, qui ont honoré de leur présence ce gala qui a marqué les esprits avec cette douce et angélique musique qui nous a adouci les mœurs.

Sans être fervent de la chose, j'avoue que c'est la première fois de ma vie que j'assiste à un concert de musique classique, qui m'a réellement transporté dans un monde merveilleux que j'ignorais totalement. Sans être un adepte, je suis sorti totalement enthousiasmé et enivré par la classe d'Amine Kouider qui a illuminé par son formidable talent pur cette soirée inoubliable, dans une des capitales les plus prestigieuses, l'une des plus initiées en la matière. Tout le mal que l'on souhaite au Maestro Amine Kouider, c'est de continuer dans cette belle voie pour donner une autre image de l'Algérie dont moi-même le premier a été surpris par un tel artiste dont le nom grandit de jour en jour dans les cieux parisiens.

Au cours cette commémoration du «jour du cessez-le-feu» ou de «la fête de la victoire», il a su utiliser l'art en profitant de cette opportunité historique avec une aisance incroyable et un don avéré dont il a les secrets sans choquer ni indisposer personne au moment où les voix des mélancoliques s'agitaient dans tous les sens comme si le temps s'était arrêté il y a 50 ans. Au contraire, par la voix des airs de son orchestre symphonique, il saurait rallier tout le monde à sa belle et noble cause qu'est la paix.

Références:

- (1) http://www.sallegaveau.com/la-salle/historique

- (2) http://www.aminekouider.com/