Ben Ali est parti, vive Ben Ali. La Tunisie, née des décombres
de la Révolution du Jasmin, a redécouvert le visage de l'ex-dictateur déchu au
bout des matraques qui se sont abattues sur leurs cadavres ambulants lors d'une
marche commémorative à l'occasion de la «Journée des Martyrs».
Ben Ali, qui n'est pas encore dans sa tombe, a dû bien
rigoler aux images de la répression policière qui a répondu aux manifestants
venus défiler sur l'avenue emblématique Habib Bourguiba. Tout un symbole
puisque, à peine 15 mois après le renversement du clan Ben Ali-Trabelsi, les
uniformes de l'Intérieur continuent de taper dans le tas, chargeant, à moto ou
en camion, des Tunisiens sortis réclamer leur «indépendance» spoliée. Comme au
bon vieux temps, des policiers casqués, armés de matraques et vaporisant la
foule au gaz lacrymogène n°5, s'en sont donné à cœur-joie, libérant leur
amertume et leur frustration d'avoir trop longtemps gardé leurs matraques dans
leurs fourreaux. Si la colère était visible chez ces Tunisiens qui revendiquent
la Révolution, le temps semble s'être brusquement arrêté et, pire, faire marche
arrière pour voir le ministre de l'Intérieur interdire, depuis le 28 mars,
toute marche sur l'avenue Bourguiba. Une .avenue qui longe son siège quadrillé,
surveillé et synonyme d'un Etat policier quelles que soient l'identité et la
couleur politique qu'on donne au gouvernement en place. Il n'y a qu'à flâner
sur cette avenue pour voir le clivage qui sépare les policiers, patrouillant
toujours en groupe, et le reste de la population. Un fossé qui les sépare et
qui renseigne admirablement sur cette notion erronée d'êtres supérieurs parce
que enfants chéris de tout système en place. Les islamistes, qui ont gagné les
premières élections libres de Tunisie, et après avoir rassuré le reste du pays
quant à l'exercice démocratique, sont en train de virer salafiste pour imposer
à ce reste du pays sa vision «progressiste» du quotidien des Tunisiens. Ben Ali
viré, c'est une nouvelle menace dictatoriale qui se met, doucement, en place,
menaçant les libertés et les croyances individuelles. Une dictature verte qui
s'installe insidieusement sous couvert démocratique et de promesses
républicaines. La Tunisie n'est pas un cas à part dans la région puisque tous
les Etats arabes sont contaminés, à des degrés différents, et l'Algérie qui a
déjà un vécu en la matière n'est pas à l'abri d'un tel déferlement. Le 10 mai
prochain, les législatives, nos législatives, vont accoucher d'une nouvelle Assemblée
et les islamistes sont déjà convaincus de leur victoire alors que le ministre
de l'Intérieur assure tout le contraire. Des prévisions qui donnent des sueurs
froides et qui poussent à réfléchir puisque, une fois au pouvoir, nos
islamistes, au lieu de s'attaquer aux fondements mêmes de la corruption et des
maux de l'Etat, vont se contenter de grignoter les derniers vestiges de la
liberté d'expression et de la liberté individuelle déjà mise à mal. Le
programme des islamistes, où qu'ils soient, est connu avec leurs offensives
contre l'alcool et les femmes, à croire que pour eux, le mal d'une société
passe par ces deux routes.