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Appeler à
«l'émergence d'une seconde République» apparaît, à la première lecture, comme à
la fois intellectuellement attrayant et comme un projet cohérent, consacrant la
rupture avec les pratiques politiques «patrimonialistes»
qui sont maintenant résolument rejetées, dans leur totalité par la population.
Pour qu'il y ait une seconde république il faut qu'il y ait eu une première république ! Cette proposition a même acquis une certaine notoriété, et devient, pour beaucoup, une revendication qu'ils considèrent comme particulièrement mobilisatrice et digne de constituer un mot d'ordre fondateur pour un nouveau système politique conforme à la volonté populaire. Mais, à l'examiner de près, on constate qu'en fait, ce mot d'ordre ne représente pas une rupture avec le système politique qui sévit dans le pays depuis septembre 1962. On peut même affirmer que, paradoxalement, et contrairement à ce que projettent ses initiateurs, il légitime, a posteriori, les pratiques politiques patrimonialistes actuelles que les Algériennes et Algériens rejettent massivement. En effet, il est fondé sur l'affirmation que, jusqu'à présent, l'Algérie aurait été gouvernée sur la base d'un système politique, défini par une Constitution élaborée par une Assemblée constitutionnelle souveraine, et approuvée par vote populaire, donc choisie librement et sans contrainte par le peuple algérien, fondé donc sur la volonté populaire, exercée de manière inambiguë par ses représentants élus, à tous les niveaux de la prise de décisions, engageant la communauté nationale, délibérant en toute liberté des affaires de l'Etat, et en respect total de la séparation entre les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. Il n'y a pas de première république ! Faut-il vraiment être un spécialiste de la science politique pour constater que l'image d'une première république, à laquelle succéderait une seconde république, est contestable ? En reconnaissant, implicitement, l'existence d'une première république, on réduirait les caractéristiques patrimoniales du système politique, rejeté actuellement, à de simples déviations qui n'enlèveraient pas la validité de la désignation de «république» c'est-à-dire d'un Etat dont la souveraineté appartiendrait au peuple, et sans restrictions autres que la loi fondamentale et ses principes. Tout observateur, un tant soit peu attentif et objectif, ne pourrait que constater qu'il y a des différences majeures entre, d'un côté, le système actuel et de l'autre, le système républicain, pris dans sa forme la plus élémentaire, c'est-à-dire la reconnaissance dans la pratique politique normale, et non pas verbalement ou par écrit seulement, que le peuple exercerait souverainement le pouvoir par l'intermédiaire de représentants élus, et sous le contrôle d'une Constitution émanant, directement, de la volonté de ce peuple. Hélas! On est loin de cette image, - que reflèterait le terme de «république,» - d'un peuple au pouvoir, par l'intermédiaire de ses représentants, à tous les échelons du pouvoir, agissant sous le regard inquisiteur des citoyens, et n'ayant comme autre objectif que de servir les intérêts de la collectivité, Cette «chose publique» que reflète le terme de «république.» Un Pouvoir exercé dans l'opacité la plus totale On constate qu'au cours de ces quelque 57 années, le pouvoir politique a été exercé dans l'opacité la plus totale, que les dirigeants, tout comme les «représentants du peuple élus» ont été désignés sur la base de critères clandestins, et de telle manière qu'ils forment un bloc unanimement au service d'intérêts, plus ou moins privés, et dans la confusion totale entre les trois pouvoirs supposés couvrir tous les aspects de la gestion de la collectivité. Il manque au système actuel l'élément fondamental qui en aurait fait une république, à savoir la participation populaire, pleine et entière, à toutes les phases de la prise de décision politique. Le droit au bavardage n'est pas l'exercice de la souveraineté populaire Le peuple a , en fait, été écarté systématiquement de la vie politique du pays. Sa contribution, depuis la «libéralisation» qui a suivi les évènements d'Octobre 1988, s'est limitée au droit de bavarder, oralement ou par écrit. Mais le système politique n'a pas changé d'un iota, tout en modifiant son vocabulaire et sa rhétorique, pour les adapter aux nouvelles données auxquels il était confronté, et dont il devait tenir compte au moins verbalement pour assurer sa survie. Dans la pratique, il a continué à traiter ces expressions «libres» de l'opinion publique comme des bruits de fond, agaçants certes, mais indispensables pour assurer un minimum de légitimité à ses décisions : les «causes toujours tolérées par les autorités publiques justifient leurs décisions les moins en symbiose avec les intérêts du pays, car cela donne l'impression qu'en quelque sorte, la liberté de critiquer équivaudrait au pouvoir populaire de contribuer à la prise de décision politique et de l'influer. Les dirigeants en font à leur tête, et exclusivement à leur tête, et le peuple a le droit de commenter, d'insulter, de critiquer, de révéler, de s'indigner, etc. etc. Les autorités publiques lui laissent la liberté de jouer «la mouche du coche,» car son bourdonnement incessant lui donnerait l'impression qu'il contribue aux prises de décision des autorités du pays. La liberté d'expression autorisée ressortit donc plus du cynisme politique que de la volonté de consolider «la démarche démocratique dans le pays.» Mais les faits sont têtus, et la réalité l'emporte sur la fiction entretenue, d'un système reposant sur la volonté populaire et servant les intérêts de la Nation. Peu à peu, l'écran de fumée que créent le système constitutionnel et la liberté d'expression débridée se dissipe, et le peuple découvre finalement la duperie dont il a été la victime pendant des décennies. Les dirigeants avaient entretenu, en lui, l'impression qu'il vivait dans un système politique lui reconnaissant le pouvoir souverain, alors, qu'en fait, ils exerçaient leur autorité comme s'ils étaient les propriétaires privés du pays. Une Constitution imposée unilatéralement au peuple Il y a, certes, une Constitution, composée de plus d'articles que la Constitution française, dont elle est la transcription plus ou moins fidèle. Mais cette Constitution, rédigée suivant les règles de l'art propre au domaine du droit auquel elle appartient, a été concoctée en cercle restreint, a fait l'objet de consultations limitées à quelques «bienheureux» et pour la forme, et a été adoptée, - sans passer par un débat populaire sans restriction, -par des «assemblées représentatives,» auxquelles manquait la légitimité que donnent des «élections libres et transparentes.» Cette constitution sert aux dirigeants moins de guide dans leurs actions que de justificatif de leur pouvoir. Ce texte fondamental donnait une base légale à leur autorité, mais a été géré de telle manière que son application leur assure un pouvoir sans partage, leur permettant d'agir à leur guise, sans restreinte et sans contre- poids autre que ceux qu'ils voulaient se donner, de temps à autre, pour la forme, comme, par exemple les élections à tous les niveaux des «institutions représentatives» ou du sommet de l'Etat. Ils organisent les élections de telle sorte que leurs résultats ne peuvent, en aucun cas, nuire à leur domination politique, et à leur appropriation privée du pays. «Les hommes qu'ils faut à la place qu'il faut» se traduit par « nos complices et comparses à tous les niveaux de la prise de décision.» Le Conseil constitutionnel, un policier sans sifflet et sans droit de verbaliser Ainsi, non seulement la Constitution ne reflète pas la volonté populaire, mais également sa mise en œuvre pratique échappe totalemen,t au contrôle populaire. Le Conseil constitutionnel lui-même, supposé veiller à l'intégrité constitutionnelle des actes des autorités publiques, est une simple instance de confirmation de ces actes, lorsqu'ils sont soumis à son avis. On l'a encore constaté récemment avec les multiples coups de couteau donnés au texte constitutionnel unilatéral, au cours de cers derniers temps. Le peuple algérien ne se reconnaît pas dans une Constitution qui lui a été imposée Dans ce contexte on comprend pourquoi les Algériennes et Algériens ne se reconnaissent pas dans cette Constitution, dont ils contestent la validité, tout comme les décisions qui semblent être dictées par elle. Le peuple algérien se trouve pris dans un jeu dont les règles sont imposées, en dehors de lui, et qui sont appliquées, exclusivement, au profit de ceux qui les ont établies, et qui sortent gagnants, à tous les coups. La masse du peuple a l'impression que, dans le «match de foot» inégal qui les oppose à l'équipe au pouvoir en place, elle est perdante à tous les coups et d'office. La Constitution : «Fréda» de Bouteflika Dans ce système constitutionnel, l'article 102, brandi pour justifier la désignation d'un chef d'Etat intérimaire, apparaît comme simplement partie d'un document testamentaire faisant passer la propriété du pays de Bouteflika à son successeur provisoire, et le gouvernement qu'il a désigné dans le cadre de sa première définition de cette période transitoire, devient l'exécuteur testamentaire de la «fréda» qui est en fait la Constitution. Le peuple n'a pris part ni à l'élaboration de cette constitution, ni à son approbation, ni à sa ratification, est en droit de refuser sa légalité, d'autant plus qu'elle a été mise en œuvre comme la consécration du droit de propriété privée de l'Algérie par ses dirigeants, qui considèrent la période transitoire comme partie du processus d'héritage garantissant au propriétaire de désigner, à l'avance ses héritiers. L'argument constitutionnel brandi par les autorités publiques ne peut pas être utilisé pour justifier, aux vues de la population, une période transitoire qui vise à confirmer le maintien du système politique actuel. Le peuple algérien n'a pas participé à ce contrat «social» qui est la Constitution, qui ne peut donc lui être opposé. L'argument constitutionnaliste brandi par les autorités publiques n'aurait été valide que si la Constitution actuelle avait fait l'objet d'une discussion détaillée, au niveau du peuple, et d'un referendum national. Elle reste un texte n'engageant que ceux qui l'ont établi et imposé au peuple, donc sans valeur autre que pour cette minorité au pouvoir. Conclusion : 1- Le système politique actuel n'a pas la forme républicaine. Il ne peut donc être considéré comme une première république que suivrait, dans le futur, une seconde république. Cette désignation, loin d'indiquer une rupture avec le système rejeté par le peuple, en constitue une légitimation, a posteriori. On ne peut pas, à la fois, rejeter le système et le légitimer en acceptant la qualification de «république», qu'il a décidé unilatéralement de se donner ; 2- Le peuple algérien, supposé être la source de la souveraineté nationale, n'a été ni consulté, ni appelé à approuver la Constitution actuelle ; donc, les autorités publiques ne peuvent pas utiliser, contre ses revendications, la constitutionnalité des décisions qu'elles ont prises pour assurer la transition causée par l'application de l'article 102 . 3- La gestion du système constitutionnel par les autorités en place avait pour objectif d'assurer le contrôle total des institutions par le chef de l'Etat, et la gestion de sa succession. La Constitution, dans la réalité de son application, et plus spécifiquement de l'article 102, apparaît ainsi comme «la fréda» du chef d'Etat déchu, qui transmet, «en héritage,» la propriété de l'Algérie à un homme qu'il a choisi d'avance, et qui charge le gouvernement qu'il a nommé avant sa déchéance, d'en assurer l'exécution. 4- Le malentendu entre le peuple et les dirigeants, de fait comme de droit, risque de durer longtemps, car chacun d'entre eux utilise des termes de référence différents, incompatibles les uns avec les autres. Mais, dans cette confrontation, le peuple a la haute main, et sa position est la plus raisonnable, car ses exigences ne vont pas au-delà de l'exigence d'un référentiel constitutionnel fondé sur la souveraineté populaire, et non sur la perpétuation du système patrimonial qui caractérise, encore, le mode de gouvernance du pays. 5- Dans ce contexte, l'insistance des autorités à s'en tenir à leur propre Constitution, à organiser la période transitoire et précipiter la tenue d'élections présidentielle sur la base de ce texte constitutionnel invalidé par la façon dont il a été promulgué, ne peut qu'aggraver la crise actuelle et en compliquer encore plus la résolution. |
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