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Une
virée entre Alger et Oran, via Chlef et Mostaganem,
où l'on attend que passe vite le rendez-vous du 4 mai. Comme une libération
d'un poids supplémentaire à celui d'un vie quotidienne
déjà stressante.
Avril annonce la qualité des moissons. Selon qu'elles s'annoncent abondantes ou maigres, les gens de la terre font avec et ne regrettent jamais le dur labeur des labours et semailles sous le ciel orageux de l'automne précédent. C'est de la générosité du ciel que dépend la récolte espérée l'été venu. Pour l'heure, c'est encore avril, ses habits de fleurs et ses promesses. Comme pour toute promesse, «l'Attente» est source d'inquiétudes. Telle est la loi de la nature. Ainsi, l'Algérie présente en ce mois d'avril un visage de lassitude, impassible, parfois triste, trahissant une sorte de fatalité vécue de l'intérieur de chaque Algérien pauvre ou riche. «Je commence à regretter de m'être porté candidat à cette législature» me dit Mohamed, député sortant de la circonscription de Chlef et tête de liste d'un parti politique qui compte bien se placer à la future Assemblée nationale. «N'était-ce les besoins impérieux de la ville de Chlef en matière de développement, je ne me serais jamais aventuré à la députation», m'explique-t-il. Et de dire sa colère de ne pas voir le projet de tramway aboutir à Chlef comme à Sétif, Oran, Annaba...d'autant plus que la géographie facile et l'étendue de la ville facilitent en termes de coûts la réalisation d'un tel projet. Mohamed affirme haut que la seule raison de sa nouvelle candidature est de servir les citoyens de sa région. Une nuée de ses sympathisants l'entoure du matin au soir. «Je ne suis pas naïf. La présence de tous ces gens à mes côtés ne garantit pas leur vote en ma faveur». Ce doute chez lui rejoint la certitude d'un vote manipulé que croient jeunes et moins jeunes dans la ville de Chlef. «Je ne crois pas une seconde à des élections transparentes et honnêtes», déclare Abdelkader, retraité qui passe plus d'heures sur la terrasse du même café de Hay Bensouna. Le même discours anime les cafés et rues de la ville. Certains parlent de quotas de députés choisis par le pouvoir et son administration. D'autres croient dur comme fer que les candidats fortunés ont déjà «acheté» leurs sièges de député à coûts de milliards de centimes. «Que vaut un milliard aujourd'hui chez ces gens-là?» m'explique Mustapha. L'on me cite des appartements vendus à 1,5 milliard, des maisons à 3 milliards. L'argent, sa valeur, son utilité occupent une bonne plage horaire dans les discussions dans les cafés toujours bondés de monde et les rues qui étouffent sous la foule grouillante et bruyante. L'argent étant le nerf de la guerre, la banane est citée en exemple. Personne ne sait son vrai prix puisqu'elle est passée en un mois de 800 DA le kilo à 350 DA. Quant à la pomme de terre vendue à 80 et 70 DA, elle a créé l'événement en cette mi-avril. Le wali de Chlef s'est déplacé en personne au marché de la ville pour soutenir l'initiative de marchands proposant le tubercule à 40 DA, ce qui attira une foule nerveuse où il a fallu la présence de la police pour garantir l'ordre. «Tu te rends compte? Le wali qui s'occupe de pomme de terre sur un marché et filmé par la TV Ennahar. «C'est sidérant !, me dit Salah qui a vécu la scène, moi j'ai préféré débourser 70 DA et éviter une telle humiliation : la chaîne, le bâton du policier et la caméra TV». Beaucoup de gens à Chlef croient à une malédiction de leur ville depuis le terrible séisme qui a rasé le 10 octobre 1980 El Asnam la Coquette. Le traumatisme est toujours aussi douloureux malgré le temps et la «décennie noire». Si tel est le cas, pourquoi ce n'est pas si différend dans d'autres villes du pays? A Alger, le pessimisme sur l'utilité des élections législatives est aussi tenace qu'ailleurs, sinon plus marqué. La surenchère d'Alger Comme toute capitale, Alger se veut être le symbole et la vitrine de la nouvelle Algérie. L'inconvénient est que tout se passe à la périphérie de la ville. Elle s'étend aux quatre points cardinaux dans un mouvement qui semble incontrôlable, frénétique. Jusqu'où s'arrêtera Alger? A Blida? A Tipaza? A Boumerdès? Elle suit inexorablement l'étirement des autoroutes à l'Est comme à l'Ouest. Cités, lotissements privés, villages et quartiers nouveaux, hôtels de luxe, supermarchés, sont nés ces dernières années donnant à Alger des tentacules gigantesques. Cette progression urbanistique rapide d'Alger qui se veut un signe de développement et de modernité génère en contrepartie de gros soucis de gestion de l'espace urbain et de la vie sociale : Alger s'étrangle et souffre de son surpoids. L'arrivée de dizaines de bretelles de l'autoroute vers le centre-ville fait d'elle un énorme entonnoir où se déversent quotidiennement des milliers de véhicules en provenance de sa gigantesque périphérie et du reste du pays. Les rues inondées par les crues humaines ajoutent à la sensation d'étouffement. Les espaces verts sont très rares. Du coup, la campagne électorale ne fait pas tellement l'événement : les gens, occupés à leurs soucis quotidiens, ignorent les espaces d'affichage des nombreuses listes de candidats. Rue Larbi Ben M'hidi, j'entre chez un opticien pour l'achat d'une paire de lunettes de lecture. J'en profite pour lui demander son avis sur les élections législatives. Il sourit et déclare tout de go : « Vous êtes sérieux? Nous n'attendons rien des députés. Je ne vais pas voter, cela ne sert à rien». Bizarrement, c'est le gardien de parking de la même rue, Larbi Ben M'hidi, qui m'étonnera avec un avis assez singulier : «Ecoutez Monsieur, eux -les partis et candidats- nous promettent que du bonheur ; nous -les électeurs- on fait semblant de les croire. Le vote aura lieu et puis la vie reviendra à son cours habituel et son lot de contraintes et de mal-vie». Il me demande le ticket de parking valable encore pour plus d'une heure. Il le vendra à moitié prix à l'automobiliste qui allait prendre la place que je libérais. Plus loin à Bab-Ezzouar, une halte à l'hôtel Ibis pour une réservation pour la veille de mon retour en Belgique. «Complet jusqu'au 14 avril en raison d'une foire internationale consacrée aux nouvelles technologies», me dit le préposé à la réception. Il me propose de tenter ma chance dans un nouvel hôtel privé, juste en face de l'Ibis. La visite de la chambre et le prix à 8.000 DA me découragent. Le réceptionniste ne s'empêche pas de me lancer: «On loue en général qu'aux étrangers et nous sommes toujours au complet. Je le remercie et quitte les lieux sans lui faire remarquer l'état d'hygiène déplorable de son hôtel. Plus tard, au centre-ville, un autre réceptionniste d'un autre hôtel privé «m'agresse» avec le même argument: «Nous accueillons d'abord les étrangers. Je fais une exception pour vous». Si la chambre que je visitai était convenable, le prix de 1.200 DA la nuit est, effectivement, une exception. Dehors, les gens courent dans tous les sens donnant à Alger l'air d'une fourmilière. Ici comme ailleurs dans les autres villes tout semble complet, débordé, nerveux, pesant: terrasses de cafés bondées, rues grouillantes, flot incessant de voitures, tout est entremêlé, confus, intense, une impression d'anarchie. Parfois des scènes étranges: un jeune homme, crâne demi rasé à la punk, tenant la main de sa compagne abritée sous un hidjab. Un groupe de jeunes filles dont certaines en jeans et les autres en hidjab rient et marchent collées les unes aux autres sous les regards envieux et appuyés de jeunes adossés aux murs. Dans une librairie de la rue Larbi Ben M'hidi, un homme à la barbe hirsute, teintée au henné, gandoura et chéchia sur la tête me conseille des derniers livres arrivés d'auteurs français et traductions américaines de romans de seconde zone. Puis vient une heureuse surprise: le métro d'Alger que je prends pour la première fois. Propre, un personnel serviable, impeccable. Jusqu'aux navetteurs disciplinés et enfin calmes, sereins. Singulière impression que celle de se sentir bien sous terre et stressé dehors dans les rues, à l'air libre. Et la campagne électorale ? Pas le moindre signe d'effervescence. On ne s'attarde pas devant les panneaux qui affichent, eux aussi, des absurdités telles celles de candidates femmes dont le visage est effacé pour ne garder que le voile. Et ce n'est pas un acte de sabotage de quelques adversaires, mais bien l'original de l'affiche ! Je quitte le centre-ville en direction d'El Harrach. Le parcours le long de la route périphérique qui longe Alger-plage présente un autre décor. A gauche, côté mer, un long espace aménagé en promenade pour les Algérois, des panneaux publicitaires de supermarchés, des tours d'hôtels et plus loin des bateaux en rade. A gauche, Alger qui tombe en cascade vers la mer et la fameuse mosquée au plus haut minaret d'Afrique toujours en chantier, plus loin, plus haut, l'imposant Maqam Echahid observe en silence Alger qui attend dans le vacarme une hypothétique bouffée d'oxygène. En cette mi-avril le soleil tape fort sur l'autoroute qui me mène vers Oran. Oran, la métamorphose Après plus de cinq heures de route et 450 kilomètres, Oran surgit avec son air nonchalant, presque insouciant. Après les nombreux ronds-points aux entrées sud et est de la ville passés sans trop d'encombres, la même situation d'étranglement qu'à Alger vous accueille à l'approche du centre-ville. Presque immobiles, les flots de voitures, bus, motos, avancent péniblement. Il faut s'armer de patience pour arriver à la place d'Armes ou sur le Front de mer, promenade préférée des Oranais. Comment y résister à un bol d'air sur le superbe Front de mer, baptisé boulevard de l'ALN ? Il serpente d'ouest en est offrant un magnifique panorama sur le large, le port en contrebas, plus loin Mers El-Kébir. Les couples d'amoureux qui s'y promènent en permanence observent le large et rêvent de voyages et de liberté. Les principales rues d'Oran sont, comme celles d'Alger, surpeuplées, bruyantes. Un avantage pour Oran par rapport Alger, celui du parking: plus facile à trouver un stationnement qu'à Alger où il vous faut des heures de recherches parfois en vain. La ville d'Oran grandit avec moins de nervosité et certainement moins d'anarchie. Des immeubles modernes aux façades en verre à proximité du Front de mer. Hôtels et immeubles administratifs lui donnent un air de mégapole à sa manière. Et puis le tramway d'Oran dont les travaux ont bousculé les habitudes des Oranais est aujourd'hui accepté comme une fierté. Il parcourt Oran du centre et monte vers le haut de la ville, vers M'dina Jdida (La nouvelle-ville). Un climat de sérénité règne sur la ville malgré la campagne électorale, laquelle ne soulève point d'enthousiasme qu'ailleurs dans le pays. Les panneaux d'affichage des listes électorales aux principaux carrefours et places publiques n'attirent pas les passants. Ici comme ailleurs on attend sans grande ferveur le vote du 4 mai prochain. Dans un kiosque à tabac, le jeune vendeur me réplique: «On attend pas grand-chose des élections, on attend que cela passe vite et sans trop de problèmes», alors que je lui demandais son avis sur l'événement politique majeur du pays. Idem au restaurant de l'hôtel El Hadef où je déjeunai: «Je ne m'intéresse pas à la politique. Je n'ai même pas décidé de voter ou pas. De là à vous dire mon avis sur les candidats dont j'ignore tout... !» 2.500 DA le repas dans un cadre rénové et propre. Pas d'autres clients. «On travaille surtout en soirée avec les étrangers qui logent chez nous. Des missionnaires et hommes d'affaires entre autres», tient-il à me préciser. Comme à Alger, encore cette étrange argument des «étrangers». Est-ce l'envie de clamer être au top des standards des pays touristiques ou de justifier les prix souvent pas abordables pour les nationaux, que cette réponse «bateau» dans chaque hôtel ou restaurant dit huppé? Effectivement, seuls les fortunés peuvent se permettre de fréquenter de tels lieux souvent pas si luxueux qu'ils le prétendent. Les Oranais comme les Algérois de condition humble se contentent de petits restaurants ou de gargotes qui pullulent à chaque coin de rue. C'est que le coût de la vie pour le salarié moyen est une véritable bataille de chaque jour. Les prix à la consommation varient du simple au double d'un moment à l'autre. C'est cela qui préoccupe la majorité des Algériens et ils n'entendent pas sa résonance chez les candidats à la prochaine législature. Une impression d'irréalité absurde baigne sur les villes et villages du pays: l'explosion du bâti, immeubles, cités entière, routes et autoroute submergées par un incessant flot de véhicules en tous genres, rues des villes surpeuplées, commerces et cafés inondés de monde...le pays en mouvement perpétuel, dense, fébrile. Tous les signes d'un développement rapide, abondant, riche sous tous les aspects et pourtant une inexplicable sensation d'angoisse, de stress, d'anarchie et d'abandon dans le regard particulier des jeunes. Le bonheur et la joie ne sont donc pas tributaires de l'abondance matérielle. Un effet de loupe trompeur qui rend torse la perception du quotidien. Comme à la sortie de la ville de Mostaganem où je fis une halte sur le chemin du retour à Chlef: les plaques kilométriques entre Mostaganem et Chlef, via la nationale de Sidi-Khattab se jouent du conducteur: 128 kilomètres jusqu'à Chlef. Dix kilomètres plus loin, 132 kilomètres jusqu'à Chlef. Je roule à reculons. Puis c'est le vertige, ça redescend à 102 kilomètres puis remonte à 122...La route serpente jusqu'aux monts de Sidi Khattab avant de plonger dans la vallée immense du Cheliff. Silencieuse et brunâtre, par endroit aride. Terrible contraste entre ces immensités tranquilles source d'abondance abandonnées au soleil blanc et les villes surpeuplées, bruyantes, étouffantes qui cachent les mille et une misères de beaucoup de gens. Espérant rencontrer et sentir l'atmosphère de la campagne électorale au cours de ce périple entre Alger et Oran, c'est l'atmosphère d'un pays en «Attente» de sens et de sérénité qui me saisit. L'après-4-mai y répondra-t-il? Personne ne le sait. Pour l'heure, candidats à la députation et électeurs ne se font guère d'illusions sur l'issue de cette nouvelle législature. Elle passera comme les autres législatures avec ses promesses renouvelées tous les cinq ans depuis bien longtemps. Le pays est dans une attente perpétuelle et continue, mystérieusement, d'y croire. |
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