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Les médias français et la guerre d'Algérie : l'image édulcorée du colonialisme !

par Ould Said Abdelkrim*

L'Histoire est une galerie de tableaux où il y a peu d'originaux et beaucoup de copies. Alexis de Tocqueville

Plus qu'un souci de restituer des faits vécus ou de témoigner sur l'Histoire, les documentaires diffusés sur France 2 et LCP ne sont pas innocents, ils s'inscrivent dans la logique de la présidentielle en France. Nous n'allons pas nous immiscer dans les affaires internes de la France, cette campagne intéresse les Français, sauf qu'à bien méditer le contenu et la manière dont ces documentaires ont été présentés aux français et aux algériens, nous sommes en droit de nous interroger sur les soubassements idéologiques qui animent les médias français en ce moment même.

D'abord, nous semble ?t-il, il y a ce besoin conjoncturel de capter un lectorat qui pourrait-être potentiel pour le président Sarkozy, constitué des pieds-noirs, Harkis et des ultras de l'Algérie française, très actifs en ce moment et ayant des ramifications au plus haut de l'Etat français. D'autant plus qu'ils (ultras) participent à l'écriture de l'Histoire de la guerre d'Algérie, bien sûr, à partir du prisme déformant de la mission civilisatrice de l'ex-colonisateur. Un fantasme qui s'avère vieux, mais qui continue d'alimenter l'amalgame et la manipulation de l'Histoire.

Outre ces visées inavouées, cette campagne médiatique, menée tambour battant, se propose de séduire quelques adhérents du FN, les plus sensible au passé des colonies françaises, qui affichent une position hostile aux étrangers, mais surtout, glorificatrice de la nation française dans toute sa grandeur d'ex-colonisateur ? C'est une bonne opportunité pour capter l'audience de cette frange de population qui compte en son sein les nostalgique de l'Algérie française.

Ceci dit, ces documentaires sont provoqués et conçus selon une logique de séduction qui fait vibrer le pathos et ressuscite la mémoire de ceux-là même qui s'estiment lésés par l'indépendance de l'Algérie. Les images diffusées par ces chaînes s'appuient sur des faits réels sous le label de Document «inédit» et ce pour se projeter dans un vécu lointain duquel les partisans de l'Algérie française ont été bannis. Mais notre propos ne se focalisera pas sur ces aspects techniques qui échoient aux spécialistes de la communication. Nous parlerons plutôt de l'origine de cette falsification des faits Historiques qui transforment le bourreau en victime sur laquelle tous les supplices du monde ont été pratiqués (décapitation, assassina à l'arme blanche, viol, bombe) etc. Le message de ces chaînes à rhétorique fallacieuse sous-entend cela : «Nous sommes venus en Algérie en pacificateurs, fédérateurs et civilisateurs, mais les valeurs humanistes que nous exportons ont été anéanties par les «rebelles» du FLN.». Discours sophiste emprunt de dénégation et de mystification ! Celui qui défend sa terre est qualifié de sauvage, de personne méchante qui mérite une correction sévère, comme le recommandaient les lois de la république conçues pour les autochtones. Si l'on se réfère à cette logique : pourquoi la France a combattu le Nazisme jusqu'à enrôler les indigènes d'Algérie dans une guerre qui ne les concerne pas ? Ou alors dans la logique de l'ex- colonisateur : le colonisé est bon pour être sacrifié ! Cela n'étonne personne puisque cette vision du colonisé sauvage et de la violence morale dont il a été victime remonte à Alexis Tocqueville et Louis Bertrand qui en ont fait leur thème de prédilection. Ces chantres qui ont répandu la thèse du peuplement de l'Algérie, cette terre peuplée de farouches, ont mis en place le substrat idéologico-culturel qui a fait le lit du colonialisme. Cette image dévalorisante de l'autochtone a donc pris racine au début de la colonisation en 1832.

LE DISCOURS DE LA VIOLENCE A DEBUTE AVEC LA COLONISATION

Au regard de cette offense historique, il apparaît que la violence physique et morale pratiquée contre les Algériens a débuté bien avant 1954. En effet, le voyage «en pays sauvage» a commencé avec les lettrés français, lors de l'Expédition d'Alger. La violence dont s'est rendue coupable la colonisation est certifiée par ces déclarations recueillies par Hugo, auprès d'un exilé républicain, ancien membre de l'armée d'Afrique.

«L'armée faite féroce par l'Algérie. Le général Le Flô me disait hier soir, le 16 octobre 1852 : «Dans les prises d'assaut, dans les razzias, il n'était pas rare de voir les soldats jeter par les fenêtres des enfants que d'autres soldats en bas revivaient sur la pointe de leurs baïonnettes. Ils arrachaient les boucles d'oreilles aux femmes et les oreilles avec, ils leur coupaient les doigts des pieds et des mains pour prendre leurs anneaux. Quant un arabe était pris, tous les soldats devant lesquels il passait pour aller au supplice lui criaient en riant : cortar cabeza ! Le frère du général Marolles, officier de cavalerie, reçut un enfant sur la pointe de son sabre, il en a du moins la réputation dans l'armée, et s'en est mal justifié.» Atrocités du général Négrier. Colonel Pélissier : les arabes fumés vifs»1

Effectivement, dès la chute d'Alger, le 5 juillet 1830, les soldats français se sont livrés à des massacres de femmes et d'enfants et à l'annihilation de «nos structures socioculturelles traditionnelles» pour terroriser le peuple et lui faire perdre ses repères identitaires. Il y a à cet égard une violence physique et morale indéniablement inscrite dans l'histoire et dans notre inconscient collectif brutalisé au nom de la supériorité de l'occident.

Non loin de cette vision négatrice de l'autochtone, les écrits des militaires et diplomates français, au début de la colonisation, résonnent comme des récits glorificateurs, au service d'une guerre menée atrocement contre les autochtones, au lieu d'être des témoignages impartiaux et objectifs de la réalité de l'Algérie d'antan. A cet égard, le Général Bosquet écrivait.

« [?] Je trouve que cette guerre est une abominable chose quand j'entends de loin les plaintes et les cris de ceux qui relèvent leurs morts et leurs blessés, cris auxquels se mêlent les plaintes de des femmes et des enfants. Que de veuves, que d'orphelin nous faisons ces jours-ci pour achever la conquête, pour assurer à la France une gloire de plus »2

La colonisation ne s'est pas bornée au simple fait de tuer, de massacrer, d'exterminer les Algériens, elle s'est attaquée à l'islam, à travers les émissaires et leur projet de christianisation des autochtones. Les propos de Louis VEUILLOT expriment for bien ce souhait : «Les derniers jours de l'islamisme sont venus. Alger dans vingt ans n'aura d'autre Dieu que le Christ [?] les Arabes ne seront français que lorsqu'ils seront chrétiens.»

Dans le même ordre d'idée, les écrits de Guy de Maupassant sont d'une violence inouïe à l'encontre des autochtones que l'on désignait à l'époque par le vocable péjoratif de l'arabe. Ce qui nous amène à dire que la culture française et sa littérature n'étaient guerre innocentes. A plus forte raison, sa politique négatrice qui considère comme arriérés, primitifs, les Algériens dont la terre est décrétée abandonnée et sans propriétaires, comme il ressort de ce passage du même auteur, intitulé Au Soleil.

«Les nègres ont des cases, les Lapons ont des trous, les Esquimaux ont des huttes, les plus sauvages des sauvages ont une demeure creusée dans le sol ou plantée dessus ; ils tiennent à leur mère la terre. Les arabes passent, toujours errants, sans attaches, sans tendresse pour cette terre que nous possédons, que nous rendons féconde, que nous aimons avec les fibres de notre cœur humain ; ils passent à galop de leurs chevaux, inhabiles à tous nos travaux, indifférents à nos soucis, comme ils allaient toujours quelque part où ils n'arriveront jamais.»3

On ne peut plus raciste. C'est cette image négative que se faisait le colonisateur de l'indigène «chosifié», dépourvu de sentiments, de capacité à se lier à sa terre, puisque cette particularité échoie aux peuples civilisés, d'où l'argument justifiant la conquête de l'Algérie.

Pourtant, cette Algérie reniée, effacée par les idéologues colonialistes, nihilistes et réducteurs, mutilée dans son histoire, expropriée, violée par les militaires et leurs commanditaires, a bel et bien existé avant l'invasion colonialiste. Même si c'est le colonisateur qui écrit l'Histoire, l'oriente selon son prisme déformant, la censure, il y a, for heureusement, des écrits qui voient juste, une littérature qui témoigne fidèlement, sans ambages, de la réalité des autochtones et de leurs structures traditionnelles qui, même rudimentaires, sont parvenues à maintenir un certain ordre social, une vie au quotidien et à assurer la pérennité de la société algérienne. Il n'est pas besoin de rappeler que les us et coutumes qui régissaient notre société entre 1860 et 1945 contenaient les ferments de la justice sociale, de moralité et une spiritualité sublime, pour reprendre l'idée de Malek Benabi. Ces écrits ont toujours réfuté l'idée du colonialisme positif venu à la rescousse des autochtones qui n'ont ni histoire ni culture. Mostefa Lacheraf s'est ingénue à infirmer ces allégations racistes.

« [?] la France trouve en face d'elle une société bien organisée, à la civilisation propre, parfois comparable à celle du bassin méditerranéen, peut-être imparfaite dans son développement, mais dont l'amour de la liberté, l'attachement à la terre, la cohésion, la culture, le sens patriotique, les ressources et les idéaux communs à défendre contre l'ennemi national, donnent leurs preuves tout au long d'une guerre de conquête de près de quarante ans. Cette société dont les cadres et les élites de valeur avaient été décimés pour être remplacés par des féodalités mercenaires et dynastiques, est, de plus systématiquement détruite ou appauvrie [?] vers les débuts du XXè siècle, la patrie est gagnée puisque l'extermination, objectif avoué inavoué par lequel le colonialisme visait substituer au peuple algérien un autre «peuple», est conjurée.»4

Il en découle de cette citation que la société algérienne existait avant l'administration française et les bureaux de SAS qui ont cru à leur pseudo politique de pacification et à leur mission civilisatrice.

 Ce sont les susdites valeurs qui ont fait que l'Algérie ait résisté à travers le temps à la politique de déculturation, aux manœuvres de l'OAS et des ultras, pour parvenir enfin à renverser l'ordre colonial.

Dans le même sillage, Jules Ferry n'a pas hésite à déclarer en 1885 que «Les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures». Cette citation fournissait matière à la philosophie de la colonisation mise en place en Algérie. Ou encore cette assertion empruntée au grand chantre de la colonisation, Louis Bertrand, cité par Odette Groinard, lequel disait de l'Arabe, dans son rapport à sa terre, l'Afrique du Nord de l'époque : «L'Arabe ne lui apporta que misère, la guerre endémique et la barbarie». De ce fait, il ne peut pas être l'égal du français. Aussi, d'après Odette Groinard, Louis Bertrand considère l'Afrique du Nord comme un «Pays sans unité ethnique », elle est condamnée donc «A subir l'influence de l'autorité de l'occident latin.». C'est à cette source philosophico-idéologique que le colonialisme a puisé, a raffermi ses idées impérialistes.

DANS LA CONTINUITE DU DISCOURS DE L'OPPROBRE

L'histoire est une continuité, un éternel recommencement. Le génocide de l'armée française occulté par les documentaires de France 2 et LCP sont symptomatiques des années de déculturation, de mutilation de la mémoire collective des algériens, du refus d'admettre la vraie Histoire sujette aux surenchères politiciennes. En réponse à ce déni de l'Histoire, Felix Colozzi, ancien militant communiste, Fidaï et syndicaliste, disait que «la France doit avoir honte de ses méfaits». Plutôt que de jeter l'anathème sur nos combattants et le FLN que l'on accuse de barbarie, les concepteurs desdits documents auraient pu voir la réalité en face, au lieu de se la voiler. La mutilation de notre Histoire continue sous ce regard négateur, condescendant, qui s'entête à montrer la guerre de libération sous un prisme tendancieux et manipulé. De ce fait, la négation de cette histoire écrite avec du sang est un second crime perpétré et perpétué contre le peuple algérien d'abord, et contre sa mémoire ensuite. Il n'est pas demandé au colonisateur de se repentir de ses actes odieux, mais juste de ne pas falsifier l'Histoire, ou tout au moins, de tempérer sa propagande dilatoire à relents politiciens.

En conclusion, l'ex-colonisateur n'arrive pas à se défaire de sa vision réductrice de l'Histoire algérienne qu'il soumit à la surenchère politicienne déloyale. Déloyale parce qu'il s'agit des vies humaines, d'hommes et de femmes exterminés au nom des valeurs républicaines. Mais au regard de ces fourvoiements, de cette histoire estropiée, il est dit que la politique nargue l'éthique à laquelle elle impose son «Conatus», pour paraphraser Hobbes. L'éthique n'a pas droit de chapitre quand il s'agit de faire de la politique une fin. Justement, c'est cette fin qui fait mouvoir ces jours-ci les politiciens, les historiens et les nostalgiques de l'Algérie française, quitte à travestir notre Histoire qui souffre toujours des stigmates d'un siècle et trente deux ans de colonisation !

*Enseignant universitaire

Note :

1- HUGO Victor, Choses vues, ?uvres complètes, Paris, Robert Laffont, coll. Bouquin 1985.

2- BOSQUET Général, Extrait de sa lettre, Beni Amrane, le 21 mai 1881.

3- MAUPASSANT Guy, Au Soleil ? Le Zar'ez, Paris, Pocket classique, p 77.

4- LACHERAF Mostefa, L'Algérie, nation et société, Eds S.N.E.D., Alger, 1978, pp.24-25.

5- Spinoza, ?uvre éthique, Eds Garnier Flammarion Paris 1965.

6- Documentaire de France 2 : La déchirure.