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L'affirmation que c'est le maire
de la commune de Souagui, Médéa, qui a refusé
l'enterrement de Mohammed Merah, le tueur de Toulouse, dans sa commune a fait
sourire des millions d'Algériens. « Un maire chez nous commande à peine au
distributeur d'eau », comme dira un collègue, voilà qu'on lui donne le poids de
tenir tête à un pays étranger et de décider d'une affaire internationale. C'est
une recette de chez nous que de déléguer les apparences au jeu des institutions
et de garder le pouvoir sous la main, comme dans ce dossier. Dans cette
affaire, le maire a été utilisé comme un artefact parce que les usages
l'imposaient: on ne pouvait pas répondre à un maire de Toulouse par un ministre
de l'Algérie ou même par la présidence (la dernière à avoir décidé le niet).
Donc, comme à l'époque de la guerre, on a envoyé un pauvre maire respectueux en
répondeur automatique. Au-delà de l'affaire Merah, cette recette a fait rire
les Algériens et leur a rappelé leur plus grande énigme nationale : qui est le
véritable maire de Souagui nationale ?
La raison profonde de ce rire d'auto-dérision couleur jaune ? Elle est là : Le syndrome du maire de Souagui frappe le reste du jeu politique algérien depuis l'indépendance : ce n'est pas l'assemblée élue qui décide mais c'est elle qui parle. Ce n'est pas Ben Bella qui commande, mais Boumediene. Et cela remonte d'échelle en échelle: ce n'est pas le ministre qui décide, mais le conseiller à la Présidence qui est délégué à gérer son ministère, en mode occulte. Puis cela remonte encore : ce n'est pas le cercle de la Présidence qui décide, en dernier, mais le frère du Président. Et enfin, cela arrive au centre : ce ne sont pas les milliers de maires de Souagui, ministres de la commune de Souagui, conseillers de la commune de Souagui qui décident, mais le Président. Sauf que le Président a lui aussi le statut du maire de Souagui : c'est lui qui parle, répond à la France, tient tête puis tranche et fait et agit, mais ce n'est pas lui qui décide. Et là, le mouvement entame la descente, au-delà du maquis, des regards et des possibilités d'éclairages. L'auteur de la décision devient flou, indiscernable, sans nom, désigné par un pseudo, un salon ou une région ou un clan. C'est le propre de la dictature molle algérienne. On sait que Souagui existe, qu'elle possède une histoire nationale, du pétrole et du gaz, mais même les plus anciens ambassadeurs étrangers, les plus fins, ne savent pas qui est le véritable maire de Souagui, s'il est élu, tombé d'un avion, ramené de force ou choisi. Du coup, quand le conseiller du recteur de la Grande Mosquée de Paris a expliqué que c'est une décision du maire de Souagui, tout Souagui, toute l'Algérie a eu ce sourire malheureux et entendu des gens prisonniers d'un jeu illégal du politique: ce jeu d'un Pouvoir qui est un clandestin puissant, logé dans la tête d'un Etat qui est une mairie faible. Qui est le véritable maire de Souagui qui a dit non ? Les Algériens aiment murmurer des pseudonymes mystérieux qui excitent la peur et provoquent les démissions délicieuses. Le jour où le maire de Souagui décidera vraiment, lui-même et par lui-même, ce jour-là, on pourra affirmer que les Algériens ont le droit de voter. Et vice versa. |
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