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On dit que l'herbe paraît
toujours plus verte ailleurs. Alors, dans mes moments de bougonnerie je vais
souvent consulter la législation d'un pays lointain, qui ne saurait être le
mien car le mien ne peut avoir une telle législation, un pays si gorgé de
soleil dans lequel je suis né.
En lisant leur code civil, dénommé code de la famille, je me dis qu'au fond, c'est tentant. Ils ont peut-être raison après tout, les législateurs de ce pays. À chaque fois, mon regard est attiré par un article numéroté 8 et qui déclare «Il est permis de contracter mariage avec plus d'une épouse dans les limites de la chari'â si le motif est justifié, les conditions et l'intention d'équité réunies». Il me fascine car je me suis toujours demandé quelle peut-être la raison légitime qui autoriserait à prendre une autre épouse en temps partagé avec la première. Et voila que je me mets à rêver. Serait-ce le fait d'être rouspété pour mettre les pieds sur la table, de rentrer un peu plus tard, de passer son temps sur un ordinateur ? Franchement quel merveilleux pays ! Et puis suivent les pensées de l'homo-économicus, propres à la pensée d'Adam Smith, père du libéralisme. Or ce pays lointain et imaginaire est devenu le paradis du libéralisme, cela correspond donc à la démonstration que je vais exposer. En France, chaque année, il faut remplir avec enthousiasme un terrible document qu'ils appellent la déclaration du revenu. Le taux d'imposition est minoré en fonction des parts, le couple en a deux, une pour chacun, et chaque enfant à charge compte pour une demi-part supplémentaire. Vous rendez-vous compte de ma réduction d'impôt si j'épousais quatre femmes, puisque la tradition autorise ce nombre ? Mais en plus, un contrat illimité car assorti d'une garantie solide, quatre à la fois, l'échange standard est permis. Ce n'est plus moi qui devrais payer des impôts mais à l'administration de me rembourser deux fois mon salaire, beaucoup plus lorsque j'avais l'âge d'avoir des enfants à charge, fiscalement parlant. Quel beau pays en considérant que le quadruplement des épouses entraîne une explosion de parts supplémentaires acquises pour les enfants dans un pays où l'avortement est interdit par la loi. Hélas, mes chers lecteurs, ma formation en droit et en économie me pousse instinctivement à aller au-delà de la publicité alléchante pour lire les conditions annexes et surtout faire une étude détaillée des risques financiers cachés. C'est que dans ce pays le coût du mariage a fini par atteindre ceux de l'Aga Khan dans sa splendeur passée. Le ticket d'entrée dans le statut si merveilleux vous ruine déjà avant même d'avoir dit oui au cadi. La lecture rapide et l'enthousiasme ne permettent pas aux négligents de bien prendre en compte la suite, soit «les conditions et l'intention d'équité réunies». Au prix du collier en or, de l'appartement et du véhicule automobile, c'est la ruine assurée pour autant qu'il lui aurait resté quelques économies au pauvre homme après le mariage. Et si le malheureux avait doté la première d'une villa, au temps du premier amour ardent, c'est toute la rente pétrolière du pays qui n'y suffirait pas. Au final, reprenant ses esprits après un moment d'euphorie très bref, l'homme intelligent voit bien que l'herbe verte est celle sur laquelle repose sa vie. C'est d'abord ce merveilleux pays qui l'a vu naître et sa toute aussi merveilleuse Algéroise qui a comblé sa vie durant trente-quatre ans ce que jamais n'auraient pu faire mille autres épouses. Et si nous ne partageons pas les milliards exigés par le code civil de ce pays imaginaire et hors du temps, les deux enfants et leur mère n'ont pas de prix, car tellement élevé qu'il ne se calcule que dans l'ordre de l'infini. Je ne sais pas qui a prétendu qu'une femme était une demi-part dans la législation de ce pays. Sans elle nous valons zéro, elle est donc bien au-dessus de nos pauvres muscles, barbes et voix graves sans intérêt. À cette femme, je dis merci de ma reconnaissance, bien au-delà de la tombe. En 1986, je n'ai pas seulement gagné au loto mais je suis entré au paradis. Une seule aura suffi, car le bonheur est un tout qui ni se divise pas entre plusieurs femmes. L'ordre humain n'est pas celui du troupeau. Je l'aime et tous les lecteurs de ce journal doivent le savoir. Il paraît que le 8 mars ils sont plus attentifs à ce message. J'en profite ! * Enseignant |
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