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L'appréciation de la monnaie nationale, un «cadeau empoisonné»: Le dinar entre la banque et le marché parallèle

par Salem Ferdi

Face à la polémique entretenue sur le cours du dinar - et sur les réserves de change -, la Banque d'Algérie est encore intervenue sur la scène médiatique à travers un conseiller qui a réaffirmé que le dinar n'a subi ni dévaluation ni dépréciation. L'intervention de Djamel Ben Belkacem a été surtout une réponse à ceux qui demandent une appréciation de la valeur du dinar par rapport à l'euro et au dollar.

Ce serait, a affirmé le conseiller de la Banque d'Algérie, faire un «cadeau empoisonné» aux entreprises industrielles locales. Une appréciation du dinar constituant, selon lui, une incitation à plus d'importations et nuirait fortement à la production locale car l'appréciation du dinar rendrait moins chères les importations pour la «revente en l'état».

Pour de nombreux économistes, cet argument «protectionniste» n'est pas faux, à condition de le relativiser. Une bonne partie des entreprises locales importent des intrants et des matières premières et profiteraient, elles aussi, d'une appréciation du dinar. A contrario, un dinar déprécié affecte aussi leurs équilibres et entraîne mécaniquement une augmentation de leurs coûts de production. Il n'est donc pas faux de dire qu'un dinar déprécié impacte négativement ces producteurs. En clair, une appréciation du dinar profite bien à l'importation «pour la revente en l'état», mais cela vaut également pour les intrants et les matières premières destinés aux entreprises productives. Au mieux, on peut voir dans le maintien d'une valeur basse du dinar une démarche protectionniste assumée qui considère que le produit local est faiblement concurrentiel - pour des raisons de qualité et non de coûts de production - par rapport au produit importé. Sur le fond, la démarche d'un dinar «bas» obéit surtout à une volonté de freiner l'explosion des importations.

L'EXEMPLE DE LA CHUTE DE LA PRODUCTION DU TEXTILE

Le conseiller de la Banque d'Algérie l'admet implicitement en soulignant - et c'est un euphémisme que «dans un pays qui n'est pas tout à fait performant sur le plan économique, comme l'Algérie, où la production du textile locale, par exemple, a été divisée par 10 en vingt-cinq ans : une surévaluation de la monnaie ferait inonder le marché par les importations, ce qui tuerait le tissu industriel local». Il s'agit bien de ne pas encourager les importations.

Car, relèvent des spécialistes, la chute drastique du textile en Algérie ne s'explique pas seulement par les prix de la concurrence internationale. «L'argument est un peu court, la chute de la production nationale tient d'abord dans l'absence d'une politique économique de stimulation et de développement de l'appareil productif national. Mais, effectivement, cela n'est ni le rôle ni la mission de la Banque centrale», estime un ancien directeur de banque publique.

L'intervention de Djamel Ben Belkacem, qui défend la gestion de la Banque centrale, met en exergue la faiblesse structurelle de l'économie algérienne. Soulignant que même la Chine populaire, détenteur de 3.200 milliards de dollars de réserve de change, ne fixe pas son taux de change en fonction de ce matelas. «Comment voulez-vous alors que l'Algérie, où la compétitivité de certaines filiales est en déclin, surévalue sa monnaie ?», s'est-il interrogé.

La Banque d'Algérie «n'est pas sur une île isolée. Elle gère le taux de change du dinar conformément à une approche professionnelle commune dans toutes les Banques centrales du monde», a-t-il rappelé.

S'insurgeant contre ceux qui parlent de «dévaluation en catimini» du dinar, Ben Belkacem a souligné qu'on ne «parle de dévaluation que lorsque le taux de change est fixe, c'est-à-dire qu'il ne varie pas, ni dans la journée, ni dans la semaine, ni dans le mois, à l'exemple de la monnaie chinoise». Selon lui, le dinar est soumis au régime de «flottement dirigé», ce qui veut dire que sa valeur change au moins cinq fois par jour sur le marché interbancaire de change.

Sur le site de Maghreb Emergent, un lecteur connaisseur estime qu'on est dans la langue de bois «quand on dit que la valeur du dinar est fixée par le marché interbancaire de devises, car celui-ci n'existe pas, les banques n'ayant rien à apporter. Dans les faits, c'est la Banque d'Algérie qui fixe le taux. Ce n'est pas le flottement dirigé mais du fixing journalier ou hebdomadaire?».

Un avis conforté par un financier qui note que «quand un institut d'émission modifie la valeur de sa monnaie par rapport aux devises étrangères, il applique une politique de change en usant de son droit régalien.

GARE A LA FAUSSE MEDICATION

C'est d'autant plus vrai qu'en Algérie, le marché des devises ne compte que deux acteurs déterminants, la BA (Banque d'Algérie) et le SPS (Square Port-Saïd). Selon le conseiller de la BA, la gestion du taux de change vise l'alignement du cours «nominal» du dinar sur le taux de change «réel». Ce dernier est en fait le «taux qui permet de préserver la compétitivité de notre économie», explique l'expert. Plus l'économie est performante, plus les salaires sont importants et plus la monnaie est forte. «C'est la performance de l'économie qui fait la valeur réelle de sa monnaie? Le taux de change n'est pas un simple prix comme le prix de la tomate, c'est une variable macroéconomique qui reflète les performances d'un pays», explique-t-il.

Difficile d'être en désaccord avec cette vérité première : la valeur de la monnaie n'est qu'un reflet, l'expression ex-post en quelque sorte de la qualité de l'économie. Or, la réalité algérienne se caractérise par l'extrême faiblesse de l'appareil de production hors hydrocarbures. Les manipulations de change ne changent rien à cette réalité têtue. Le souci de protéger la production nationale n'est pas suffisant pour expliquer la politique de change qui est menée. Cette politique se situe très clairement dans une volonté de ralentir la hausse continue des importations. Un souci on ne peut plus légitime. Mais si elle ne s'adosse pas à une politique économique efficace et performante, cette stratégie du dinar bas serait une fausse médication.