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«Nous sommes tous
les témoins passifs d'une barbarie, sans cesse renouvelée» Günter Grass, écrivain
allemand
Si la barbarie a un sobriquet, on le nommerait sans l'ombre d'un doute Al-Assad. Du sang des Syriens, il s'en est délecté, s'en est nourri, se l'est incorporé et s'en est donné à coeur joie de défier, après coup et toute honte bue, tout le monde: la communauté internationale, les résolutions onusiennes, la Ligue arabe, la société civile syrienne, les opposants au régime et en fin ses plus loyaux affidés. Onze mois sont déjà biens consommés dans la répression en huis clos durant lesquels les hordes du régime baasiste du Damas n'ont pas manqué ne serait-ce qu'un instant de sévir au plus haut degré dans la chair des masses qui manifestent à mains nues. Mais de cette extrême sauvagerie, Al-Assad en a t-il sérieusement pris acte? L'odeur du souffre l'a-t-il en fin de compte convaincu d'aller sentir dans les rues de Hama et de Homs, les deux villes martyres de la rébellion, les traces du sang qui ont fui les treillis de ses «snipers» et jonchent encore le sol comme uniques témoins d'une barbarie sans nom et d'un dogmatisme sans panache? En d'autres termes, Al-Assad aura t-il dans un proche avenir tout aussi le courage que la stature d'un sage dirigeant qui va se débarrasser du voile des certitudes de tyran sanguinaire et d'oligarque sans charisme qui l'habitent jusqu'ici et céder de la sorte à la volonté populaire par l'abandon définitif de ce «koursi» de tous les malheurs ou continuera-t-il par contre d'incarner ce rôle sordide et à la limite de l'ubuesque du sauveur de la nation et surtout des siens à l'image du «Dernier des Mohicans» du roman de l'écrivain américain James Fenimore en blanchissant sous le harnais de l'idiotie? Rien n'est moins sûr d'autant plus que le clan dirigeant aurait, une fois de plus rejeté le plan de sortie de crise suggéré par la Ligue arabe et qui prévoit à terme le départ de son chef des affaires. En effet, ce qui ressort nettement de «la tragédie syrienne» actuelle est qu'en dépit du bilan macabre du génocide humain qui avoisine les 5000 victimes selon les statistiques des organismes des droits de l'homme rattachés à l'O.N.U ( plus que celui de 1982, presque 3000 morts), les milliers d'images, de vidéos, de commentaires et de tags sur le net qui attestent de la férocité et de l'inhumanité de la répression, le régime baasiste persiste et signe ses dérives suicidaires. En effet, les tentatives répétées et insistantes du clan d'Al-Assad d'imposer un embargo médiatique sur leur propre pays en passant sous silence les événements qui s'y déroulent et en faisant du monopole de l'information, une arme psychologique à double tranchant (les manifestants pacifiques seraient considérés comme des fauteurs de troubles sans projet politique ni buts pratiques et même accusés à tort d'être de fanatiques islamistes), ne cessent d'accréditer la thèse d'un complot ourdi à partir de l'étranger, et pour solde de tout compte de réhabiliter le mythe de mercenaires à la solde de l'État hébreux et de sionistes en général. Il est certain que par-delà tout pronostic, fiction ou réalité, mensonge ou vérité, fausse propagande des médias occidentaux ou silence complice de ceux de Damas, la répression qui fait rage actuellement en Syrie inquiète trop et l'on s'interroge fort si le pragmatisme et la « Real-Politik» propres à la diplomatie vont l'emporter au final sur le cynisme et la démagogie, spécifiques aux régimes totalitaires et de surcroît mégalomanes. On serait vraiment tenté d'y croire si l'on voit apparaître quelques signes d'apaisement de la part du régime sanguinaire du Damas. En vain, point d'espoir, d'hésitation en reculade, du mépris de la volonté populaire en entêtement paranoïaque, de précipitation en veulerie, Al-Assad, héritier dynastique de son père, aurait joué tous «les jokers» de tergiversations disponibles en sa main en vue d'écraser le souffle citoyen pour la démocratie. En revanche, ceux-là se sont révélés jusqu'ici aussi inopérants qu'inefficaces. Car, l'amertume des frustrations crachées à bout portant par la rue n'a d'égal que la laideur de la nomenclature qui les a, des décennies durant, fomentées, cultivées et entretenues sans nuances ni scrupules. Ce qui est certain par-dessus tout, est que toute vérité qui sort d'une eau opaque doit être prise avec d'infinies précautions. L'imbroglio syrien n'échappe aucunement pas à cette réalité. Plus qui est, il est un marasme à rajouter au répertoire des tragédies du Moyen Orient. Mais pourquoi ces dictateurs arabes sont-ils si têtus au point de tomber sous le panneau de la niaiserie, de la couardise et de la traîtrise en refusant de laisser respirer leurs peuples? Y-a-t-il vraiment encore quelqu'un qui pense que le régime de Damas se dresse en un puissant rempart contre l'hégémonie des géants impérialistes du Nord. Autrement dit qu'il est anti-impérialiste, anti-occidental et anti-américain? Trêve de plaisanterie, ces stériles racontars, les peuples les ont mâchés, avalés, ruminés sans répit et au jour d'aujourd'hui ne sont, au grand malheur de tous les oligarques arabes, que des excréments charriés par les égouts. Ceux-là mêmes où ces derniers se terrent lorsqu'ils s'épuisent de la rue qui les oblige à prendre une retraite anticipée alors que, eux, par une malsaine stratégie d'autodéfense et d'auto-offensive, continuent de battre en retraite tout en mijotant à petit feu des plans de survie et de sauvetage in extremis de leurs «systèmes» autoritaires en perpétuelle agonie. Le comble du malheur est que Al-Assad s'obstine à méconnaître la grogne de son peuple en attisant les feux croisés d'une «haine et suspicion confessionnelle» entre les chrétiens minoritaires et les musulmans majoritaires. Et le plus grave encore est cet étrange sentiment de «magnanimité» et de tolérance que son clan, du reste, largement détesté par la population, diffuse parmi les grands segments de l'opinion publique nationale et internationale, sentiment selon lequel le maintien en place du régime serait une garantie de la paix inter communautaire. Les membres de la minorité alaouite, eux aussi, sont terrifiés à l'idée d'être pris en cas de chute du régime, dans une spirale impitoyable de vindicte populaire, de lynchage et de purification extrajudiciaire à l'encontre de Al-Assad et ses nervis à l'image d'El-Gueddafi, ce qui les rend très enclins à bien huiler et confirmer cette fausse thèse. De même les milieux d'affaires, acquis aux idéaux de libéralisation économique, entamée dès le début des années 90 par feu Hafez Al-Assad ne sont pas prêts à lâcher prise, le départ ou la chute imminente de l'actuel Rais est très mal vue et pourrait gâcher tous les pactoles. Il est vrai que le soutien passif de ces ensembles est la raison principale de la résistance d'Al-Assad aux pressions des contestations populaires qui le visent en personne. Les tiraillements machiavéliques du pouvoir d'Al-Assad entre l'endoctrinement médiatique, la langue de bois, et les manoeuvres politiciennes ont prolongé la durée de la crise. Par ailleurs et coïncidant avec ces jeux de passe-passe, la commission d'enquête déléguée par la Ligue arabe est un autre alibi politique sinon un quitus sous seing d'hypocrisie en faveur de la barbarie baassiste. En ce sens, ladite commission n'est que la cerise sur le gâteau qui aurait fait ameuter davantage beaucoup d'essaims de curieux «médiatiques» plus qu'elle n'en a dissipé. Échec procédural dans les préparatifs, manipulation politique sur le terrain et une concession des plus démagogique qui soit à l'autisme pervers du régime. La Ligue arabe qui se noie dans l'illégitimité populaire et dans un certain manque de légalité institutionnelle a encore enfoncé le clou dans ses contradictions. La première de ses failles a trait notamment à la non-représentativité réelle des pouvoirs qui la composent, la deuxième en est liée au principe du «vote de consensus» qui est on ne peut plus un pur résidu de la culture tribaliste de ses dirigeants et pire encore, une sérieuse embûche à son bon fonctionnement. Dans cette perspective, il n'est plus exagéré d'affirmer que toute décision qui émane de ladite organisation porte en ses gènes les saveurs de la suspicion. Outre ces failles, la Ligue arabe est incapable de peser de tout son poids sur le plan géostratégique d'autant que la Syrie est un enjeu primordial dans le fameux triangle chiite (Syrie-Hezbollah-Iran), suspect et accusé par l'Oncle Sam et ses alliés d'être à l'origine de la déstabilisation d'Israël. En plus, la proximité de ce pays avec l'Irak et la Turquie, les deux points d'appui de la politique régionale des Occidentaux et ses liens ombilicaux quasi intimes avec le régime théocratique des ayatollahs iraniens, une puissance militaire de taille et un ennemi juré de Tel-Aviv, sont plus qu'une source d'inquiétude. A preuve que les récentes velléités de Téhéran de fermer le détroit d'Ormuz à la navigation ont vite fait de déchaîner toutes les passions, remettre les pendules de la diplomatie à l'heure et susciter de surcroît une espèce de chair de poule tant dans les chancelleries occidentales qu'au sein de toutes les bourses mondiales, contexte économique oblige. En décidant ces derniers jours d'imposer un embargo européen sur le pétrole iranien, effectif dès le mois de juillet prochain, la triade «Sarkozy-Merkel-Cameron» vise plus le fléchissement de la position des ayatollahs en ce qui concerne le contentieux nucléaire que l'assouplissement du soutien logistique de ces derniers aux caciques baasistes de Damas. On aura donc bien saisi le sens des choses, l'Occident joue «le poker» et distribue à sa guise les cartes selon ses intérêts du moment. Les sulfureuses théories des droits de l'homme et des libertés individuelles et tutti quanti auxquelles il se réfère à chaque moment ne sont en fait que de la pure poudre aux yeux. De plus, il n'est plus crédible aux yeux des arabes depuis qu'il aurait cautionné sans ambages l'invasion illégale et en complète violation du droit international de l'Irak de Saddam en 2003 sous le fallacieux prétexte de possession des armes de destruction massive. Qu'attendaient donc les peuples de Sud d'un ensemble de «puissances périphériques» (France, Allemagne, Angleterre) qui font des courbettes aux «voeux expansionnistes et hégémoniques» de «l'hyperpuissance centrale», en l'occurrence, l'Oncle Sam? Lequel instaure cette cauchemardesque loi de la jungle, nommée pour les besoins de la cause et en toute ironie, «droit international». Il va de soi que la politique occidentale au Moyen Orient est empreinte de mensonge et d'hypocrisie. Cela dit, ses élites politiques pensent que frapper le régime théocratique de Téhéran au portefeuille semble être la plus efficace des politiques afin de le ramener sur la table des négociations, leur stratégie pèche par pragmatisme et est on ne peut plus basée sur des enjeux de puissance et non plus sur la base de visées humanitaires (venir en aide aux populations réprimées en Syrie par la réduction des aides iraniennes). Il est à rappeler que 20% de presque 2530 barils de pétrole produits quotidiennement par les persans sont exportés vers le Vieux Continent, un taux, soit dit en passant, insignifiant et qui n'est guère à même d'influer sur le cours des événements. Après tout, Israël qui possède des centaines d'ogives nucléaires est-elle moins dangereuse pour la stabilité géostratégique de toute la zone du Moyen Orient que l'Iran? Pourquoi donc cette crainte impartiale et disproportionnée quand il s'agit d'une puissance militaire «musulmane» et d'autre «sioniste»? Pourquoi cette politique de deux poids, deux mesures dans le traitement des dossiers conflictuels dans le monde? Sans doute, la force dissuasive des milices de Hezbollah et la question de la «sécurité nationale» sont les noires hantises de l'Oncle Sam, les pétromonarchies du Golf qui se repositionnent en tête d'affiche à la faveur de ce printemps des peuples en feignant de prêter main forte à la cause palestinienne enterrée sous le boisseau de l'oubli, ne font en vérité qu'entériner «la politique de spectacle». L'on s'interroge d'ailleurs sur ce retour fracassant de leur diplomatie sur le plan régional (Qatar, Arabie Saoudite et Koweït) et leur sortie quasi indemne des derniers soubresauts populaires. En ce sens, dans cet espace géographique la Syrie demeure l'unique « exception totalitaire» non apprivoisée par les occidentaux. Pareille à la Libye sous l'ère d'El-Gueddafi, la Syrie reste un pion isolé, plutôt dire un électron libre, sans alliances géostratégiques sûres, à cette différence près, que le premier (la Libye) recèle une rente énergétique des plus enviables en Afrique et dans le monde, qui, rappelons-le bien, sans l'intervention de l'O.T.A.N en mars 2011, aurait probablement pu mettre la défunte «Jamahiriya» à l'abri des pressions internationales et la seconde, (la Syrie) en est dépourvue bien qu'elle soit fort de l'autre côté du soutien de la Russie et de la Chine, deux puissances titulaires du droit de veto au conseil de sécurité de l'O.N.U. Alors que El Gueddafi aurait nagé comme un trublion esseulé et osé un pari plus que risqué vis-à-vis de l'Occident, les baasistes de Damas pourraient compter sur un «soutien passif» non négligeable de ses «permanents» alliés de l'Est. De même constate-t-on une grande dissymétrie entre le système de fonctionnement des deux régimes, El-Gueddafi s'appuie sur «les comités révolutionnaires», structures paramilitaires peu professionnalisées et sans réelle force d'organisation, Al-Assad, lui, en revanche, possède une armée régulière, structurée et bien entraînée, ayant pour solide armature, l'appareil-fantôme des «al-moukhabarate» (services de renseignements et d'espionnage), capable le cas échéant, de parer à toute agression étrangère et de provoquer des dégâts parmi les forces ennemies. Cela dit, Al-Assad n'a pas autant de chances de survie sur le plan économique que El-Gueddafi mais en a, en revanche, suffisamment d'atouts sur le plan diplomatique et surtout militaire. L'expérience des généraux birmans exposés à un discrédit international mais ayant réussi le pari de la longévité est plus qu'éloquente, les liquidations physiques, les génocides et les tueries collectives sont en mesure d'assommer, d'apeurer, et d'endormir à long terme les masses avec juste un minimum de complicité régionale et internationale vis-à-vis des pouvoirs dirigeants. En effet, si l'on observe bien toutes ces données, l'on se rend facilement compte que les autorités politiques de Damas sont prisonnières d'un dilemme politique insoluble dans la mesure où elles sont incapables de résister à long terme à un embargo économique de longue durée à l'instar du régime déchu de Saddam, et qu'elles sont confrontées à intérieur à une large dissidence citoyenne de plus en plus aguerrie sous la férule du conseil national de transition (C.N.T), organe civil de la protestation se trouvant à l'étranger, avec comme appui indirect, une remuante scission dans l'armée. Ce qui fait que leurs politiques répressives vont battre de l'aile et succomberont tôt au tard au souffle de la révolte. Dans un autre contexte, les masses syriennes, elles aussi, sont dans l'embarras du choix car l'une des ambiguïtés majeures de la résolution onusienne de 1973 est l'impossibilité qu'il y ait à protéger les civils sans que l'intervention militaire ne soit transformée en une tentative de renversement du régime politique en place et pire encore d'immixtion malveillante des Occidentaux dans les affaires de souveraineté de leur État. De ce point de vue, le cadre juridique et politique qui délimite la mission des forces militaires qui interviennent dans des conflits de basse et large intensité pourrait être sujette à mille et une interprétations. Personne n'est en mesure aujourd'hui de garantir que les forces de l'O.T.AN ne se soient pas déployées sur le terrain pour porter secours aux rebelles libyens et affaiblir les unités du colonel depuis mars 2011. C'est dire que le scepticisme et la crainte d'un «marécage libyen bis» en Syrie sont toujours de rigueur. Dans les relations internationales, «le dilemme du prisonnier» est un principe de la théorie des jeux, porté à la lumière par le mathématicien américain John Nash. Incapables de véhiculer une attitude de bienveillance réciproque, les deux prisonniers dont on ne possède pas les preuves suffisantes de condamnation d'un délit mineur qu'ils auraient commis auparavant, se sont réservé une situation d'agressivité réciproque qui l'acculent à choisir entre trois alternatives possibles: soit qu'ils avouent tous les deux le crime et être passibles de 10 ans de réclusion pour attitude coopérative, soit l'un d'eux avoue et l'autre pas, le premier serait libéré et le deuxième condamné, soit aucun des deux n'avoue et ils seraient automatiquement tous les deux condamnés à la réclusion criminelle. Laquelle des voies choisir? Certainement, s'il est un fin tacticien, Al-Assad finirait par sélectionner la moins pénible et la plus rentable. |
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