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«Quand le chemin
est difficile, c'est la difficulté qui sera le chemin». Ernesto
Guevara, révolutionnaire cubain (1928-1967)
La tendance générale est au pessimisme car après l'euphorie des révolutions, le monde arabo-musulman découvre à sa grande surprise que le pari populaire sur l'élan démocratique n'est pas tout à fait gagné. L'archétype révolutionnaire en tant que paradigme socioculturel figé s'est avéré au grand malheur de la plèbe, une variable changeante. On est bien loin de cette image de «Cité vertueuse» (Al-Madina Al-fadhila» qu'avait décrite le penseur musulman Al-Fârâbî (872-950). Ainsi ceux qui ont jadis planifié et résisté à la monstruosité des tyrannies pourraient-ils se transformer facilement aujourd'hui en zélateurs du despotisme. En ce sens, le luxe et la fascination du pouvoir sont bien pires que l'humiliation que celui-ci aurait fait endurer à ceux qui lui avaient, des années durant, manifesté une attitude distante, voire un rejet catégorique. Les masses populaires tombent de ce fait à pic sur tout autant le cauchemar de l'usurpation de leurs acquis politiques que de la confiscation de leurs conquêtes révolutionnaires, et les nouvelles formations politiques, très longtemps confinées dans «l'oppositionnel» et enferrées dans leur quête illusoire d'alternative pacifique, se retrouvent du jour au lendemain en train de «parrainer» des modèles révolutionnaires qui, de loin, dépassent leur capacités de perspectivisme, de prospectivisme et de projection dans l'avenir. Pour preuve, le dernier scénario égyptien laisse plus d'un perplexe, «la grande muette», source de tous les pouvoirs depuis Nasser (1918-1970), agit en sous-main, le Maréchal Tantawi en sa qualité du chef du conseil suprême des armées tire les ficelles à l'intérieur du sérail. Son attitude de «neutralité suspecte» durant les événements du Caire et son «réordonnancement» douteux de la maison égyptienne désordonnée sous le regard complice et accommodant de l'Occident n'est cependant pas passé inaperçu. Les secrets hermétiques dont s'est entouré le régime d'antan sont actuellement des vérités en porcelaine. C'est pourquoi, le peuple égyptien désabusé a peur que le fleuve du sang versé à la place Al-Tahrir (plus de 800 victimes) ne soit détourné de son droit chemin vers une démocratie réelle et authentique. En vérité, l'Égypte, ce géant africain est en ce moment sous la coupe et l'influence de marchandages régionaux, les américains et les Occidentaux «néo-impérialistes» tentent de combiner leur double stratégie de «normalisation» politique avec le voisin sioniste et de «pacification» sociale du bellicisme et de l'entrisme électoraliste des Frères Musulmans. Ces derniers seraient, en l'absence de «stratégie salutaire» en provenance des masses conscientes et de société civile «progressiste» afin de confronter les nouveaux défis qui les attendent, une force de proposition non négligeable sur l'arène politique égyptienne voire un danger probable à moyen et long terme pour toute la stabilité régionale. En effet, l'Islamisme politique a, de tout temps, été dans le mouvement général des sociétés arabo-musulmanes beaucoup plus «une voie de garage» qu'une stratégie de ralliement citoyen véritable. Songeons un peu au cas typique de l'Algérie des années 90. Peu avant Octobre 88, la crise économique de 1986 a déchiré et sapé les segments sociaux de notre pays, jusque-là unis et solidaires. Les citoyens, face à la tyrannie du «Parti Unique» n'ont trouvé rien de mieux que d'adhérer à un vaste projet islamiste et global aussi bien contre «le Pouvoir-État» incarné à l'époque par le F.L.N et l'institution militaire que contre l'Occident «judéo-chrétien» en tant que référent psychologique obsessionnel chez des élites «aliénées», synonyme à leurs yeux d'oppression et du colonialisme «impérialiste». Les «réformettes» politiques «placebo» conçues alors comme «antidépresseur» social sont venues très tardivement et ont trop desservi un régime déjà à la peine. Le désastre de la «guerre civile» (1992-2000) fut en vérité une erreur impardonnable voire «un crime cruel contre notre peuple» dont les effets déprimants sur la société se font ressentir jusqu'à l'heure présente. Ce faisant, le régime a sacrifié l'avenir de toute une génération et les masses, faute de vision cohérente et surtout d'espoir, ont élu «l'Islamisme» politique comme «père adoptif». Le panorama politique de l'actuelle Égypte n'est en ce point guère différent du nôtre au début des années 90. Il est inutile de le rappeler, la phase de transition démocratique du Caire risquerait bien de déraper s'il n'y a vraiment pas de volonté politique pure et profonde de la part de l'institution militaire de céder en urgence les clefs du pouvoir détenues depuis 1952 aux civils. Par ailleurs, le monde arabo-musulman est à quelques exceptions près et depuis la période de la décolonisation, habité par cette dimension conflictuelle (Orient-Occident) que le legs orientaliste et les visions «néocoloniales» étriquées ont réussi à fortifier et à encourager dans ses plis et replis par la suite. En ce contexte précis, l'utopie «indépendantiste» s'est confronté tout logiquement à la chimère islamiste, les discours des deux camps puisent aux sources de la négation et de l'exclusion systématique de l'autre afin de le stigmatiser et de le dénigrer au regard des masses. Au Maghreb, «l'Islamisme» politique fut rejeté par les anciennes élites nationalistes car celles-ci voient en lui, une pure soumission à «l'idéologie moyen-orientale», importée en grands renforts par les tendances conservatrices de la société. Cette approche à la fois dépréciative et dénigreuse de «l'Islamisme» se retrouve d'autant plus revigorée, vérifiée et soutenue qu'elle est devenue au fil du temps un «autoritarisme répressif» surtout lorsque l'on perçoit l'adoption de l'idéologie «Baasiste» comme instrument de gestion politique et d'endoctrinement social par «les Rais» juste après l'indépendance (Ben Bella, Bourguiba). Ainsi les références à «l'arabité» comme vecteur identitaire privilégié ont-elles pendant longtemps mis de l'ombre à «l'Islam» comme dimension «ontologique» des peuples maghrébins. Un choix qui est, conviendrait-il encore de mentionner ici, fait non par conviction politique mais uniquement par une sorte de défi voire de volonté de contournement et d'écrasement de la tendance islamiste. Personne ou presque ne croit désormais à l'angélisme ni à l'idéalisme ni encore moins au perfectionnisme du langage révolutionnaire des premiers temps. Les mots fraternels et solidaires d'hier seraient-ils les mêmes au lendemain de l'orage insurrectionnel? Rien ne le garantit puisqu'à bien y regarder, l'expérience historique a prouvé qu'indépendamment du contexte politique et social dans lequel elles se situent, les révolutions sont souvent sujettes à la falsification, à la manipulation et au détournement de la part de forces centrifuges, rétrogrades et réactionnaires. Bien évidemment, l'idéalisation de «la période prérévolutionnaire» pourrait en être le mobile dans certains cas de figure, le déséquilibre des forces entre progressistes et conservateurs dans d'autres et «le parasitage» des appareils étatiques et les structures dirigeantes la plupart des fois. A titre d'exemple, en Libye, «la paternité» de la révolution poserait sûrement problème dans les jours à venir, les rebelles de Benghazi et de Misrata se sont déjà parés des nouveaux oripeaux de martyrs du régime d'El-Gueddafi et de meneurs invétérés du grand printemps libyen. En Tunisie, les islamistes d'Al-Ghanouchi essaient tant bien que mal de mettre en saillie «cette image d'Épinal» de frondeurs, familiers de la torture, des cellules froides et de «la gégène» sous les régimes de Bourguiba et Ben Ali. En Syrie et au Yémen et presque un peu partout dans la sphère arabe, des scénarios pareils sont en train de se concevoir dans l'imaginaire des «révolutionnaires». On est, semble-t-il, en pleine période d'«hiérarchisation des douleurs et des tragédies», c'est-à-dire que l'on fait véhiculer à dessein un poncif fort efficace en de pareilles circonstances, allant en faveur de la revalorisation du martyre et du dévouement des uns et le rejet d'avaliser comme donnée réelle la souffrance et la douleur des autres, la machine révolutionnaire marche au gré des vainqueurs et des faiseurs d'opinions. Lesquels, s'ils manquent de patriotisme ainsi que de sensibilité citoyenne et c'est généralement le scénario le plus courant, désacraliseraient le mythe nationaliste et nieraient le sacerdoce démocratique pour s'installer définitivement au pouvoir comme des castes dynastiques. Le cas de l'Iran en est des plus aberrants, l'éviction du Shah en 1979 par des révolutionnaires islamistes ahuris a débouché quelques années plus tard sur une déception des plus lamentables, régression démocratique tout azimuts, pouvoir tout aussi théocratique qu'héréditaire et sous-développement économique (disparition de la classe moyenne). Ainsi la Perse, naguère pays de civilisation et de culture plus que millénaire, aurait sombré sous l'apocalypse de l'intégrisme religieux des «Ayathollahs» au sommet du trône. En ce sens, la dictature du Shah, malgré ses vices opératoires et ses tares rédhibitoires, aurait modernisé le pays (ouverture sur l'Occident, consolidation des droits civils et de la femme, instauration de discipline) et s'est posé comme un pion stratégique et un interlocuteur privilégié de la communauté internationale au Moyen Orient. L'exploitation de la foi a toutefois enterré le rêve du progrès en dehors du créneau religieux. Résumé en d'autres termes, l'aspiration citoyenne à l'émancipation des griffes des dictatures s'est brisée fatalement sur la bassesse des intentions des leaders politiques. Dans presque toutes les révolutions qu'a connues jusqu'à présent le monde, les élites avant-gardistes et les masses sont le plus souvent mises en quarantaine dès l'aboutissement de celles-ci. Le volontarisme et le baptême du feu ne suffisent pas pour tenir les rênes des nouveaux régimes, la ruse et le machiavélisme sont les attributs primordiaux et vitaux dont les populations doivent s'investir. En France, pendant les révolutions de 1789, 1830, et 1848, la plèbe comme cheville ouvrière des remous sociaux fut sacrifiée sur l'autel de l'indifférence et du mépris par les bourgeois et les aristocrates. La lutte prolétaire préfigurée par le philosophe allemand Karl Marx (1818-1883) en toute l'Europe, fut un cuisant échec pour les masses populaires. Ce qui avait obligé les nouveaux empires, monarchies et royaumes à se lancer dans «une entreprise colonialiste» d'envergure en Afrique et Asie sans commune mesure dans toute l'histoire. Dans la sphère tiermondiste, la révolution algérienne de 1954, en dépit de l'éclat et du panache dont elle s'est auréolés, fut un désastre psychologique pour les classes urbaines défavorisées et la paysannerie en raison du grand désenchantement qu'elle avait suscité en amont au cœur des anciennes élites tôt engagées dans la lutte anticoloniale et les souffrances qu'elle avait provoquée en aval dans la chair des bas-fonds de la société «clochardisés» pendant un siècle et demi de «méconnaissance» historique et de déstructuration politique tout azimuts (acculturation/ déculturatio/enculturation et déracinement). En toile de fond se niche la plus grande des déceptions nationales, la jeunesse, «cette génération perdue» qui ne connaît rien ou presque à l'histoire nationale et qui, de surcroît, sombre dans le délire de l'exil à tout prix. En Algérie, on assiste à une large opération de «dénationalisation du patriotisme», l'utopie indépendantiste a scellé a jamais les mentalités dans le moule stéréotypé d' «éternel colonisé» ou de «colonisable potentiel». Cinquante ans après l'indépendance, les deux tiers de la jeunesse rêvent de quitter le pays coûte que coûte en destination de l'ex-puissance coloniale. Cela dit, le printemps arabe, bien qu'il soit issu de pure source, risque lui aussi de se voir confisquer les fruits par des mains qui n'en ont pas forcément semé les graines. Il va de soi que «le rêve impérialiste» s'est entretenu dans les interstices des révolutions tiers-mondistes. Bien plus, il s'est construit et consolidé la plupart des fois grâce au désenchantement et au défaitisme des peuples. Le discours du Caire du président Obama en juin 2009 ne saurait-il pas être conçu à ce titre comme une suite logique du «projet néocolonialiste» du (grand moyen Orient) initié auparavant par le courant des colombes à la maison blanche? Le manque de stratégie planétaire de jumelage du progrès social avec un monde multipolaire conforte sans doute le couple «libéralisme-impérialisme». De par le passé, la guerre d'opium (1839-1842) fut elle aussi à, cet égard, un modèle inoubliable de supercherie colonialiste, les anglais avaient profité amplement de la seule carte qu'ils possèdent «l'opium» afin d'endormir sinon assoupir tout le peuple chinois et l'entraîner sous leur férule. Quand une entreprise de libération nationale échoue à atteindre et à parfaire son objectif postrévolutionnaire, elle entraînerait par ricochet une défaite bien plus grave que celle qu'elle aurait pu endosser devant la puissance colonialiste car d'une part, «le processus de construction étatique» est bien entamé et sa paralysie serait à même de déboucher sur des frustrations que les ennemis de la révolution sont capables de galvaniser en vue d'un vaste projet contre-révolutionnaire. D'autre part, les manipulations idéologiques des élites gouvernantes et leurs alliances contre-nature (Laïcisme et Islamisme/ Armée et Frères musulmans) comme en Égypte post-Moubarak, insurrection armée aux saveurs d'Islamisme politique menée par les rebelles libyens, «révolution de velours» à la tunisienne, acquise aux valeurs Occidentales où l'Islamisme politique «soft» et modéré l'a de loin emporté sur les autres tendances libérales et démocratiques surgies des tréfonds de la société, ne seraient pas du tout un palliatif sûr au «démembrement social» que les populations ont subi. La confiscation des vœux populaires est très fréquente voire inscrite à l'ordre du jour des nouvelles expériences démocratiques. Ainsi le modèle de «l'État-Nation» issu directement du Traité européen de Westphalie en 1648 qui aurait officialisé la fin de la guerre religieuse des trente ans (1618-1648) entre les pays à tradition catholique et d'autres protestante, devrait dans le cas de l'espace arabe en particulier, et des pays africains, de l'Amérique Latine et des États tiers-mondistes en général céder la place au projet ambitieux de la «Nation-État» dans la mesure où «la volonté de vivre ensemble» (Nation), est chronologiquement et objectivement antérieure à «l'obligation à vivre ensemble» (État). Cela exige dans un premier temps la fédération des efforts de synergie et de solidarité au niveau local (sociétés civiles autonomes), puis régional (Nation-États forts) et enfin continental (entités et puissances politico-économiques cohérentes et homogènes) à l'instar de la communauté européenne. Chose qui ne se réalise que par l'effacement définitif des problèmes de frontières hérités de la période coloniale. A cet effet, l'Occident d'aujourd'hui est appelé impérativement à assumer ses responsabilités historiques ainsi que les effets pervers de son projet colonialiste ayant déstructuré les peuples «tiersmondistes».En conséquence, «la triade impérialiste» (États Unis, Europe et Japon) comme le rappelle l'économiste égyptien Samir Amin(1930-2011) qui souffre de nos jours des conséquences désastreuses de la crise économique, avatar logique du traité de «Bretton Woods» en 1944, l'ancêtre du système libéral actuel, ne verrait plus jamais le bout du tunnel si elle continue de s'entêter à nier la force motrice et l'énergie dynamique des dragons économiques de l'Asie du Sud-Est (Singapour, Malaisie ainsi que Birmanie), de la Chine et des économies émergentes de l'Amérique Latine (Brésil, Argentine et Chili). Dans un autre contexte, la résurgence subite de la Turquie laïque, digne héritière du grand Empire Ottoman, juste aux frontières de l'espace arabe va dans une certaine mesure basculer l'équilibre des forces du côté des pays tiers-mondistes. Les syriens seraient prêts à entériner et à digérer en cas de poursuite de la politique répressive de Bachar-Al-Assad à l'encontre des manifestations pacifiques de l'opposition, l'initiative d'une intervention militaire étrangère non des forces de l'O.T.A.N mais de celles la Turquie. Celle-ci aurait subjugué le monde arabe depuis l'abolition de la Califat par Mustapha Ataturk en 1924 et s'est engagé dans une voie moderniste novatrice en créant un espace vital à la charnière de la sphère arabe et de l'Europe. Rôle qui aurait donné à Ardogani aujourd'hui, l'aura mythique d'un nouveau Nasser au lendemain de «la révolution du Jasmin» du 14 janvier dernier. Le «Nassérisme baasiste», avec son substrat laïc, anti-islamiste, anti-impérialiste et profondément tiers-mondiste est mort et enterré officiellement et à jamais avec l'assassinat d'El-Gueddafi à Syrte, son dernier rejeton idéologique alors que ses «cendres conceptuels» sont ressuscités par Ardogan mais cette fois-ci, dans le cadre d'un «projet de leadership et de parrainage moderniste», entriste, anti-sioniste mais surtout diplomatique, pragmatique et tactique. En ce sens, les relations internationales au Moyen Orient sont entrées dans une nouvelle phase politique qu'est «l'évitement des conflits en faveur de la conciliation des intérêts». Le monde arabe est en ces moments un espace vide en leadership politique mais plein en compétences managériales. Ce qui va le reléguer inéluctablement au rôle secondaire de «gestionnaire» de la transition démocratique. A cet effet, la Turquie et l'Iran, deux puissances régionales, l'une ouverte à l'Occident, laïque et moderniste tandis que l'autre, détentrice du nucléaire avec un atout démographique de taille combleraient certainement le «creux arabe». Ce scénario fort probable nous fait remonter dans le temps, plus exactement au congrès de «Bandung» d'avril 1955 où la plupart des pays arabes encore sous la colonisation furent en majorité sous la férule et la caution morale des leaders asiatiques tels que Nehru et Sukarno. Cela dit, le printemps arabe est en son fond même une entreprise de «décentrage-recentrage» du pouvoir décisionnel régional. L'Algérie comme puissance africaine ayant été épargnée par le vent de révolte aurait déclassé l'Égypte comme appui géopolitique désormais fort stratégique pour l'Occident et la Turquie, comme une entité supranationale et extraterritoriale a fait renaître dans les cerveaux des masses arabes l'idée de la «Nation pana-islamique» forte (Dawla qutrya-Umma) et l'aurait remplacé (l'Égypte) à l'échelle pana-arabe comme acteur crédible et privilégié aux yeux de l'Oncle Sam et les européens. |
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