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5. Synthèse des réunions du
comité intergouvernemental sur les archives :
Après moult tractations, les gouvernements des 2 pays finirent par s'entendre, en 1980, sur la constitution d'un groupe de travail mixte algéro-français, chargé de l'étude de la question du conflit opposant les 2 pays. Celui-ci, comme il est connu, s'est réuni en vain 6 fois depuis sa création jusqu'à sa dissolution : - Quatre fois en 1980 : le 09 janvier, le 10 juin et les 3 et 4 décembre Ces 4 réunions n'ont abouti à aucune issue sauf, à mettre en relief, le caractère passionné des débats, d'un côté comme de l'autre et à attiser la polémique dans les médias qui continue jusqu'à aujourd'hui suite à la visite de M. Emmanuel Macron président de la République française en Algérie du 25 au 27 Aout 2022. Il faudrait signaler, toutefois, qu'aucun des 2 acteurs n'étaient prêt à faire de concessions à l'autre. Chacun campait fermement sur sa position, en faisant prévaloir sa légitimité sur les archives : le premier, en sa qualité de producteur des documents à l'époque de leur production (patrimoine et souveraineté), et l'autre, en tant que propriétaire de droit de ses archives (identité). Cela, a duré jusqu'au jour où feu le président Valéry Giscard d'Estaing prit la décision de clore définitivement les débats en rendant publique, le16 juin de l'année 1980 sa fameuse lettre (49). En effet, lors des comptes rendus qu'on lui faisait après chaque réunion, le président de la République française de l'époque s'est rendu compte selon A. Badjadja : «que la partie algérienne était mieux documentée, et que les transferts avaient concerné massivement les archives dites « de gestion ».(50) Malgré l'interdit jeté par la lettre, et le changement de gouvernement en France, le comité algéro-française, s'est réuni par 2 fois, les 27 et 28 octobre de l'année 1981 mais, sans grand succès, car ni la partie française, ni la partie algérienne n'avait l'intention de changer d'attitude. Et depuis, il n'y eut plus aucune autre réunion de ce comité mais, les contacts entre algériens et français dans le cadre de coopération ou autres n'ont jamais cessé. D'ailleurs, les restitutions d'archives postérieures à ces dates prouvent bien que le dossier est toujours d'actualité. 6. Archives restituées : Années de restitution----Nombre de cartons restitués---Contenu 1967, 1975 et 19812001 (51)-----47 cartons + 153 cartons + 15 cartons-----+ 450 registres relevant de la période ottomane (Beyt al Mal, Beylik, actes d'état civil, etc. )Traités entre l'Etat algérien sous domination ottomane et des puissances étrangères 1981, 1981,1985 et 1987 0-----1 carton24 cartons + 58 cartons(52) +22 cartons-----Séisme d'Orléansville de 1954--Hydraulique/Colonisation française Total : 320 cartons ou 32 ml (1.6 t) sur 8700 ml (435 t.) Octobre 2007----- Les plans de mines posées aux frontières Est (Tunisie= 460 km) et Ouest (Maroc=700 km) de l'Algérie (53) Mars 2008----1862 documents audio visuels-----Images de la télévision algériennede 1942-1962(54) Apparemment, on ne peut que se réjouir d'un tel geste de la part des Français qui distille au compte-gouttes, et quand bon leur semble, la restitution des archives à l'Etat algérien. Mais, force est de reconnaitre que le résultat n'est guère reluisant parce que : - le plus grand lot d'archives restituées est constitué par des documents qui n'auraient pas dû être déplacés en France ! - le dossier du séisme de l'Orléansville/Chlef actuellement, de 1954 aurait pu être utile aux Algériens quand cette même ville fut saccagée par un tremblement de terre au mois d'octobre 1980, s'il n'avait pas été déplacé ou s'il avait été remis avant 1981. - Les dossiers techniques, comme ceux de l'hydraulique n'auraient dû jamais quitter le territoire de leur provenance en raison de leur importance pour la population algérienne. - Les archives restituées représentent 32 ml (1.6 tonnes) sur les 8700 ml (435 tonnes) enlevées. - La remise des plans des mines posées sur les frontières Est et Ouest de l'Algérie durant la guerre de libération 1954-1962 est survenue 45 ans après, soit après que « 40000 Algériens aient perdu la vie, et que 80000 soient blessés » (55). 7. La réalité du contentieux : Il faudrait avouer que la situation du contentieux n'a pas beaucoup changé depuis près de 60 ans, à part les 4 faits notables suivants : -A) La restitution ponctuelle des archives dont il a été question plus haut. - B) Benjamin Stora, en répondant à la question d'un journaliste au Forum du journal « Liberté » qui s'est tenu à Alger, le 21 janvier 2014 : « a assuré que la commission mixte algéro-française sur les archives existe toujours en précisant qu'il a assisté à une seule réunion de cette commission. Il ajoute que celle-ci travaille non pas à la restitution des archives, mais pour la libre consultation des archives ». (56). Si c'est le cas, ce serait vraiment un revirement total dans l'histoire du contentieux archivistique algéro-francais. Puisque, comme l'a souligné Fouad Soufi : « Tout porterait à croire que l'Algérie a décidé de faire le deuil des archives algériennes transférées en France, entre 1961 et 1962 ». (57) En effet, si l'Algérie a accepté cette nouvelle perspective, cela voudrait dire que notre pays a dévié de son principe de base. C) Que dans le cadre de la troisième session du Comité intergouvernemental de haut niveau algéro-francais (CIHN) tenu à Alger le 10 avril 2016 (58), il a été convenu que: 25- Les 2 parties ont exprimé leur satisfaction quant aux résultats positifs enregistrés au cours des discussions dans le groupe de travail sur les archives et ont salué la signature du rapport d'étape ainsi que le cahier des charges qui institue une démarche objective pour le règlement du contentieux archivistique. 26- Les 2 parties approuvent les décisions prises par le groupe de travail mixte sur les archives et appellent à ne ménager aucun effort pour leur mise en œuvre, notamment en matière de coopération et de remise des copies numérisées déjà disponibles. La partie algérienne souligne qu'elle ne renonce pas à la propriété des originaux, principe qu'elle a réaffirmé dans les divers procès-verbaux de réunion du groupe. D) Le 03 janvier 2018, l'Algérie, par le biais de son ministre des Affaires étrangères, a officiellement déposé auprès du gouvernement français une demande relative à la restitution des archives (59). Ce dernier point, comme on peut le constater, interpelle tout un chacun à se poser au moins deux questions: 1- Doit-on conclure avec un certain étonnement, qu'après tout ce temps, la diplomatie algérienne n'a jamais déposé de demande officielle, auprès du gouvernement français, dans le cadre de la restitution de ses archives ? Tout porte à le croire, jusqu'à preuve du contraire. 2- Et puis, à quoi bon formuler officiellement une demande de ce genre, si l'Algérie comme on vient de le voir, a accepté la remise des copies numérisées de ses archives et en sachant que si la France a agi de cette manière, c'est qu'elle n'a pas du tout l'intention des restituer à l'Algérie les originaux !!!!!! Et c'est effectivement le cas si on se réfère au rapport de l'historien B. Stora. Il reste à savoir maintenant, si l'Algérie n'est pas d'accord pour rembourser les frais de numérisation des archives à la France. CONCLUSION : Le contentieux archivistique algéro-francais est un contentieux comme il en existe des centaines dans l'histoire. Il n'a absolument rien de compliqué malgré les passions qui l'entourent et la médiatisation dont il a fait l'objet. Sa seule caractéristique par rapport aux autres demeure la masse des archives transférées, à savoir 435 tonnes d'après notre propre estimation. On voit que, quand il s'agit de décolonisation, les archives sont prises en otage entre, d'une part, «l'identité, le patrimoine et la souveraineté» pour les Algériens et, d'autre part, « la souveraineté et le patrimoine » pour les Français. Qui a tort et qui a raison, devra-t-on se demander quand on sait que les 2 pays en litige partagent une histoire commune vieille de 132 ans et terminée dans le sang ? Tel un enfant dont les parents sont en instance de divorce, les archives sont convoitées par l'un comme l'autre pour de multiples raisons où le subjectif prend trop souvent le pas sur l'objectif (60). Chacun des deux « ennemis intimes » réclame, à cor et à cri, sa légitimité sur la garde de l'enfant, mais aucun des deux ne l'aura, tant que la justice n'aura pas tranché irréversiblement, à qui reviendrait cette garde. Dans les contentieux archivistiques issus de la décolonisation, l'image est presque la même, à cette différence près qu'il n'existe, pour l'instant, aucune justice ou jurisprudence internationale, à même de régler ce genre de litige. A part la Convention de Vienne (1983), qui n'a jamais été appliquée, parce que non approuvée par une majorité de pays et surtout par les puissances coloniales -parties prenantes dans les litiges-, il n'existe aucune autre jurisprudence. C'est justement ce vide juridique qui a fait que ces contentieux relèvent plus d'un rapport de force que de légitimité ou principes archivistiques qu'on peut interpréter selon ses besoins et son poids dans la sphère des Etats comme cela est arrivé, lors du Congrès du Conseil international des archives, organisé en 1995 à Guangzhu (Chine). Le règlement de ce genre de contentieux relève directement des diplomaties des gouvernements concernés, comme ce fut le cas du Danemark et des îles Féroé. En réalité, ce ne sont pas les solutions qui manquent ! Il suffit juste de jeter un coup d'œil sur les propositions des Algériens et des Français dans le contentieux qui les opposent pour s'en rendre compte. Ce qui manquerait, ce serait surtout, la bonne volonté des uns et des autres. En ce qui concerne le contentieux dont il a été question dans cet exposé, il faut bien que les Français sachent que l'histoire de l'Algérie ne commence pas avec son indépendance, en 1962, mais bien avant, et que de leur côté, les Algériens sachent que la France coloniale partage cette histoire avec eux. Il est temps de trouver une issue à un contentieux qui perdure depuis près de 60 ans. Le moment est venu pour les deux belligérants de tourner définitivement la page, sans pour autant oublier que les archives spoliées par la France entre 1961/1962 appartiennent de droit au peuple algérien et que les Français se doivent, dans ce cas, de se contenter de copies microfilmées ou numérisées des archives qui leur paraissent importantes pour leur histoire, et non le contraire. Et si la France, en 1993 et en 2002, a été en mesure de récupérer les archives et les biens transférés par les nazis, de la France vers l'Allemagne et de Berlin vers Moscou, par les Soviétiques pendant la deuxième guerre mondiale (61), il n'y a aucune raison pour que l'Algérie ne puisse pas récupérer ses archives. *Archiviste /Enseignant retraité de l'enseignement supérieur/Enseignant contractuel - Université d'Oran Ahmed Ben Bella Notes 49 - « Les fonds d'archives conservés dans les différents dépôts des Archives Nationales constituent l'un des éléments de notre patrimoine national, en même temps que de la souveraineté de l'Etat... Il me parait nécessaire de préciser que les pièces appartenant à ces fonds ne sauraient être en aucun cas et dans quelque intention que ce soit, transférées ou remises à un gouvernement étranger, aux institutions qui en dépendent ou à des personnes publiques ou privées. Cette décision n'interdit évidemment ni les prêts de brève durée pour des expositions internationales, ni la remise de copie photographiques pour la commodité de chercheurs étrangers. De telles copies ne devront, cependant, être délivrées qu'en conformité avec les dispositions légales qui régissent la communication des documents originaux ». Publiée par le Monde du 27 juin 1981 50- Abdelkrim BADJADJA. A propos du contentieux algéro-français. Op.cit. p.22 51- ERMISSE Gérard. L'actualité des contentieux archivistiques. Op.cit. p.56 52- Idem p. 57 53 - Madjid MAKEDHI. Paris veut « déminer » : les relations algéro-françaises. p.2 54- STORA Benjamin. Algérie : la mémoire restitué in www.liberation.fr/tribune/2008/03/07/algerie-la-memoire-restituee_6674 [en ligne] le 22/01/2018 55- Madjid MAKEDHI. Idem 56-BENFODIL Mustapha. Benjamin Stora au forum de Liberté : Pour une écriture désidéologisée de l'histoire. p.4 57- SOUFI Fouad. Contribution : Retour sur le contentieux archivistique entre l'Algérie et la France in LeSoirdAlgerie.com.Quotidien algérien indépendant.www.lesoirdalgerie.com/articles /2014/02/05/article.php ?sid=160028&cid=41 [en ligne],consulté le 24/01/2018. 58- Communiqué de presse du Comité Intergouvernemental de Haut Niveau Algéro-Français (CIHN) tenu à Alger le 10 Avril 2016, Hôtel de Matignon, Paris : 10/04/2016 59- Mahdi BOUKHALFA. Crânes de résistants algériens au Musée de l'Homme de Paris : le processus de restitution enclenché. p.4 60- A noter à titre d'exemple que le 30/11/1981 plusieurs centaines de français, environ 600 personnes ont manifesté à Aix-en-Provence, contre le rapatriement des archives en Algérie. Rapportée par le Monde du 1er-2 novembre 1981 61 - « Elles sont constituées par les papiers français, des ministères comme des personnes, des partis ou des associations etc. saisis par les allemands le mois de juin-juillet jus qu'à la fin de l'occupation. Transférées à Berlin, elles furent récupérées par les soviétiques en mai 1945 qui les transférèrent à leur tour à Moscou. Elles furent restituées à la France en 2 tranches : - en 1993-1994 (archives militaires et celles du Ministère de l'intérieur, quelques fonds privés) - 2000-2002 ( suite des fonds publics et majorité des fonds privés) Au total la France a réussi à récupérer 7 kml d'archives. » . Coeuré S. ; Monier F. De l'ombre à la lumière. Les archives françaises de retour à Moscou (1940-2002) in Archives secrètes, secrets d'archives ? Historiens et archivistes face aux archives sensibles. Pari : CNRS Editions, 2003. |
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