« Les gouvernements s'entendent, lorsque les peuples les obligent à
s'entendre ». (Albert Schweitzer)
D'étranges événements sont intervenus dans l'actualité des Algériens de
Belgique ces derniers jours. Pour être plus précis, des événements qui ont
provoqué une rencontre du «3e type» entre Algériens et Marocains à Bruxelles. Jugez-en:
fin de semaine dernière, la commune d'Etterbeek organise trois soirées de suite,
un hommage au chanteur belge Jacques Brel. L'organisateur de ces soirées est
l'échevin (adjoint maire) de la culture, Rachid Madrane,
un Belge d'origine marocaine. Les artistes conviés sont venus du Maroc. La
première soirée eut lieu l'inauguration d'une exposition de peinture dédiée, entre
autres, à Jacques Brel. Les œuvres exposées viennent du Maroc. Une affluence
appréciable dès l'ouverture de l'exposition. L'ambassadeur du royaume du Maroc
improvise un discours de circonstance. Suit le rituel du «drink», et c'est à ce
moment que ce qui n'était qu'une impression devient une grosse interrogation: la
grande majorité des visiteurs et invités sont? algériens. Des femmes surtout. A
l'approche des étals qui offraient gâteaux traditionnels, thé et autres
boissons locales, le journaliste du «Quotidien d'Oran» croise Son Excellence, l'ambassadeur
du Maroc. La discussion engagée, si elle ne surprend pas par son contenu, ajoute
un quelque chose à l'étrange situation. «Nous voulons fédérer, rassembler, nous
n'avons pas le choix nous Maghrébins, Algériens et Marocains d'abord et
surtout», lance monsieur l'Ambassadeur. Bien sûr, Son Excellence explique
combien l'ouverture des frontières terrestres est vitale pour nos deux pays. Puis?
vient la question du Sahara occidental et le climat politique entre l'Algérie
et le Maroc. L'ambassadeur, sans doute par défaut diplomatique, esquive la
question: «Laissons la question du Sahara aux diplomates et sa discussion au
sein de l'ONU. L'Algérie et le Maroc ont tant de complémentarités et de liens
que maintenir les frontières fermées est un véritable gâchis pour tous.» Et
d'ajouter «même les Européens ne pourront pas nous imposer des politiques si
nous unissons nos efforts». Soudain, Son Excellence? ose: «Vous savez, le
discours dur et belliqueux de certains médias algériens n'aide pas à
l'apaisement.» Interloqué, le journaliste riposte: «Vous lisez la presse
marocaine au moins ? Du moins celle qui cultive à longueur d'année un discours
de haine et d'agressivité envers les Algériens ? Excellence, comment remettre
un peu de paix et de fraternité dans le cœur des jeunes générations marocaines
et algériennes à la fois, quand elles sont manipulées par tant de calculs
politiciens ?» Etrangement, cette idée réapparut le surlendemain, lors de la
soirée musicale dédiée au chanteur belge. Un duo venu de Casablanca a animé la
soirée en interprétant une partie appréciable du répertoire du grand Jacques. Là
aussi, la salle de l'espace «Senghor», au cœur du quartier européen, était
comble d'Algériens et surtout? d'Algériennes. Les frères marocains qui
assuraient le service en furent touchés. A la pause, à la cafétéria du 1er
étage, au détour d'une conversation, un jeune photographe de presse marocain, lance:
«Il faut en finir avec les deux systèmes, marocain et algérien. Au Maroc, le
mouvement du 20 février n'a pas dit son dernier mot. Il a besoin de l'aide de
la jeunesse algérienne. Il faut une jonction des mouvements de jeunes pour
bâtir le Maghreb du 21e siècle. Libre et démocratique.» A ce moment, les échos
de l'autre soirée, humoristique, animée par une artiste marocaine reprennent
leur sens: elle a ironisé et moqué le machisme des hommes maghrébins dans un
magnifique stand -up. Nos hommes sont ridiculement forts envers les? femmes. Et
ce n'est même pas vrai, tant ils sont malheureux. La salle était remplie par
des Algériennes. Le jeudi suivant, un appel téléphonique de dernière minute de
l'ambassade d'Algérie invite les correspondants de presse algérienne à
Bruxelles à une réception offerte en l'honneur d'un groupe de journalistes
algériens venus du pays. Vers 19 heures, arrive en effet une dizaine de
journalistes venus d'Alger. El Watan, El Khabar, radio? sont présents. L'hôte de la réception, l'ambassadeur
d'Algérie, commence par une interrogation: «Alors, comme ça, vous venez à Bruxelles
sans donner signe ? Comme des clandestins ?» On comprend qu'informé en dernière
minute, l'ambassadeur a sommé ses collaborateurs de trouver le groupe et de
l'inviter pour le thé. Passé l'allusion amicale de Son Excellence, la
discussion a porté sur les relations UE?Algérie. Il a été particulièrement
question sur le pourquoi et comment de la révision de l'Accord d'association. Près
d'une heure de discussion, puis les journalistes venus d'Alger sont reconduits
à leur hôtel. Ils reprennent qui l'avion pour Rome, qui le train vers Paris tôt
le matin. Une heure de débat pour apprendre que les journalistes ont répondu à une invitation de la Fondation
«Thomson?Médias». Ces faits et événements à la périphérie de l'actualité
politique internationale ont-ils un sens ? Peut-être oui, peut-être non. La
seule certitude est que si Marocains et Algériens se regardent en chiens de
faïence dans leurs pays respectifs, ils sont très heureux de se rencontrer
ailleurs et se parlent franchement et sans tabous.