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En voulant schématiser la
crise de 1962, le commandant Azzedine, lors d'un entretien, déclara : «Deux
personnes ont pris leurs chevaux pour regagner une Halqa
au douar avoisinant. En cours de route, l'un d'eux est tombé de son cheval. Son
compagnon est retourné alerter la maman de son ami. Elle lui répondit :
«J'étais sûre qu'il allait tomber. Déjà, au départ, son cheval était mal sellé.
De dos, il paraissait penché sur le côté». L'officier de l'ALN, ayant vécu le
marasme de l'été 62 avec haute moralité, a résumé l'état conjoncturel avec une
projection future. La réflexion de monsieur Azzedine est un jugement lié à des
faits malheureux pour conquérir le pouvoir au détriment du peuple, seul héros
de la guerre de libération. Depuis, le peuple cherche sa république pour
laquelle il a payé un lourd tribut. Souvent, la morale s'attribue aussi
l'attention sur le mouvement de pratiques, bonnes ou mauvaises, dans une société,
pour élucider l'intérêt dissimulé de la personne ou d'un groupe au détriment de
la bonne foi d'autrui.
La crise de l'été 1962 est le premier coup de force contre l'instauration de la légalité, l'acte fondateur de la république. Un mauvais départ qui justifie l'enlisement politico-social à ce jour. Le 1er juillet 1962, le peuple est sorti en masse pour participer au référendum afin de consolider son indépendance chèrement acquise et voir naître la république populaire. Lors du Congrès de la Soummam, une entité politique est créée, à savoir le Conseil national de la révolution algérienne (CNRA). Cet organe du Front de libération nationale était le seul autorisé à prendre des décisions d'ordre politique, militaire, économique et social. Au cours du même congrès, le CNRA désigne son exécutif à savoir le Comité de coordination et d'exécution (CCE). Il est responsable politiquement devant le CNRA. Il est remplacé en septembre 1958 par le GPRA. Le CNRA se réunit le 27 août 1957 au Caire et approuve le rapport d'activités du CCE. Au cours de la même réunion, le CNRA adopte une nouvelle résolution qui stipule que tous ceux qui participent à la lutte de libération, avec ou sans uniforme, sont égaux. En conséquence, il n'y a pas de primauté du politique sur le militaire ni de différence entre l'intérieur et l'extérieur. Une résolution qui marqua fortement l'accaparation des chefs militaires sur le politique, ce qui empêcha Krim Belkacem d'être à la tête du FLN, et la mise à l'écart d'Abane Ramdane. Le CNRA du Caire à travers ses résolutions a projeté les desseins de la nouvelle république autocratique post-indépendance. Ahmed Ben Bella, tout en étant emprisonné en France, son ombre était présente et pesait sur les décisions prises au cours de la réunion du Caire. Il est considéré comme le leader naturel du FLN. Sa libération, le 18 mars 1962, élargit sa force de mobilisation et son champ d'influence conjugués à sa capacité de domination charismatique. Il faut dire aussi qu'il jouissait de soutiens politiques et militaires au sein du FLN et de l'ALN et d'un prestige sans équivoque au sein de la population et à l'étranger, notamment en Egypte, force de dissuasion politique en Afrique et au Moyen-Orient. Si le Congrès de Tripoli n'a pas réussi à la mise en place d'un bureau politique, Ben Bella, avec l'appui des forces politico-militaires du FLN, a réussi à l'imposer à l'indépendance à partir de Tlemcen dans un climat de distensions qui risqua de fragiliser la mobilisation populaire autour de son indépendance. Dans la douleur, une Assemblée constituante fut élue. Elle désigna A. Ben Bella comme chef du gouvernement et choisit Ferhat Abbas comme président de l'Assemblée. Cette dernière, chargée de préparer un projet de constitution, se trouva marginalisée par le bureau politique. Ce dernier prit l'initiative de rédiger le projet et de le présenter à la base militante restreinte et choisie du parti FLN dans une salle de cinéma appelée le Majestic à Alger, appelée aujourd'hui « Atlas ». Ensuite, il a été soumis du 24 au 28 août 1963 à la Constituante en l'absence de son président démissionnaire, et forte de par sa composante de cadres du parti FLN. Comme prévu par le bureau politique, elle fut adoptée à l'unanimité, approuvée par référendum du 08 septembre et promulguée le 10 septembre 1963. Fatigué des querelles fratricides mettant en jeu l'avenir de l'indépendance chèrement acquise, le peuple est sorti en masse pour la construction d'un Etat sans pour autant connaître le contenu de la Constitution élaborée en dehors de l'institution indiquée à savoir l'Assemblée constituante. Le parti FLN prend une grande partie dans le texte, il en est le cœur même. On peut citer les articles suivants : Article 23 : Le FLN est le parti unique d'avant-garde en Algérie. Article 24 : Le FLN définit la politique de la nation et inspire l'action de l'Etat. Il contrôle l'action de l'Assemblée nationale et du gouvernement. Article 25 : Le FLN reflète les aspirations profondes des masses. Il les éduque et les encadre, il les guide pour la réalisation de leurs aspirations. Article 26 : Le FLN réalise les objectifs de la révolution démocratique et populaire, et édifie le socialisme en Algérie. A la lecture de ses articles, on dénote que la Constitution rédigée au cinéma Majestic sous la conduite de monsieur Ben Bella, sa toile de fond demeure le parti FLN avec son pouvoir dans le fonctionnement des institutions de l'Etat. Il est le moteur. Il donne des consignes pour contrôler l'exécution. C'est le parti qui désigne le candidat à la présidence et les candidats sur les listes uniques des députés (es). C'est de cette façon que monsieur Ben Bella est devenu le premier président de l'Algérie indépendante pour éviter de dire de la République algérienne démocratique et populaire. Les militants du parti FLN étaient choisis au niveau des franges de la société. Le congrès s'est tenu en avril 1964. Parmi les résolutions du congrès, le président affirmait qu'il n'est responsable ni devant le parti, ni devant l'Assemblée nationale. Une situation qui précipita le coup d'Etat du 19 juin 1965, c'est-à-dire la dissolution d'un régime en marche solitaire. Néanmoins, l'Assemblée nationale n'a pas été dissoute, ni aucune élection n'a eu lieu. Quant au parti FLN, le bureau politique s'est fait remplacer par un secrétariat exécutif. Il a publié le 12 août 1965 un plan d'action approuvé par le Conseil national de la révolution (CNR) qui a refait surface, présidé par le colonel Boumediene et dont l'état-major général de l'ALN occupait une place prépondérante. Dix ans après, en 1976, l'avant-projet de la nouvelle Constitution est soumis à la discussion sous l'égide du parti FLN. Toutes les réunions se sont tenues sous les auspices des instances du parti, de la cellule du quartier à la kasma. C'était au bureau de la mouhafadha de faire la synthèse à l'échelle de wilaya. L'élite était absente. La Constitution, approuvée par référendum le 19 novembre 1976, instaura un régime nettement présidentiel dans le cadre d'un parti unique, le Front de libération national, ni populaire ni démocratique. La république énoncée dans la Constitution de 1963 reprit sa place en 1976 sans pour autant briller dans les principes universels des droits de l'homme. Elle avait une saveur nuancée avec l'Europe de l'Est de goût socialiste et le Moyen-Orient au goût baâthiste, brandissant le nationalisme arabe. Dans la Constitution de 1976, le système institutionnel reposait sur le principe du parti unique. Sur proposition du parti, Boumediene candidat unique, fut élu président de la République. Même scénario de 1963 se reproduisit en 1976. La deuxième Assemblée nationale fut élue en 1977. Les listes des candidats étaient établies par le parti FLN. Même scénario pour les présidentielles de 1979. Chadli Bendjedid, candidat unique du parti FLN, fut élu président de la République. Les évènements d'Octobre 1988 ont poussé le pouvoir à apporter des amendements à la Constitution de 1989, en introduisant le paysage de la démocratie universelle, à savoir la participation de la société civile à travers la création d'associations et partis politiques. L'islamisme des éprouvettes, déjà prêt à agir, s'organisa dans la légalité constitutionnelle pour mettre le pays à genoux. Qui était responsable de cette situation ? L'ombre de F. Mitterrand était présente. Après la décennie noire, la situation politique n'était pas en faveur du parti du FLN. En 1996, la Constitution subit des amendements. Elle renforce considérablement les pouvoirs présidentiels (septennat) et instaure un Parlement bicaméral, le Conseil de la nation, organe de modération. Il repose sur un mode de désignation mixte (suffrage indirect et nomination présidentielle) et dispose d'un pouvoir de blocage absolu de la procédure législative. Aussi, Il fallait reconstruire le parti FLN pour endiguer les forces démocratiques. Alors, il a subi une mitose, une division cellulaire qui consiste à créer deux cellules filles à partir d'une cellule mère en conservant à chaque fois l'information génétique d'origine. Le RND (Rassemblement national démocratique) est enfanté pour assurer une majorité en compagnie du parti FLN dans toutes les instances élues, notamment les deux chambres parlementaires. En conséquence, et à ce jour, les deux chambres sont verrouillées par la majorité FLN/RND et le tiers présidentiel. Aux deux chambres qui ont permis au président démissionnaire d'assurer un troisième et quatrième mandat, en apportant par deux fois consécutives des amendements à la Constitution, le nouveau projet pour une nouvelle Algérie leur est soumis. Et pourtant, elles sont impliquées dans tous les maux qu'a connus notre pays ces vingt dernières années. Encore une fois, le même scénario du cinéma Majestic refait surface. Si l'on veut en faire du mouvement Hirak l'âme de la Constitution pour une nouvelle Algérie, l'une de ses principales revendications était la dissolution du Parlement. La première Constitution de 1963, qui a donné naissance à la première République indépendante, a été étouffée dans son œuf dans la précipitation dans une salle de cinéma avec la complicité du parti FLN en l'absence d'une base militante évidente. Si la République doit être réhabilitée à travers une « nouvelle Algérie », elle ne doit pas être soumise à la majorité FLN/RND de l'actuelle Assemblée rejetée par le peuple. La précipitation n'a jamais été une arme efficace dans la construction d'une société. Seul le temps dans toute sa plénitude, conjuguée aux forces sereines et crédibles, peut mettre en valeur une République algérienne démocratique et populaire, c'est-à-dire une « nouvelle Algérie » qui récupère sa première république. Comme cela, le cheval sera bien sellé pour une chevauchée républicaine au-dessus de tout soupçon. Notes : - Crise de l'été 1962 - Algérie, juillet-septembre 1962. B. Stora/A. Ellyas - Les institutions politiques de la République algérienne - Article H. Michel. (Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée). 1966 - P. 135-169 - L'Assemblée nationale constituante algérienne 1963. Anisse Salah Bey- Annuaire de l'Afrique du Nord - CNRS-Paris. P 115-125 - Constitution algérienne du 10 septembre 1963 - Constitution algérienne de 1976 - Constitution Algérienne de 1989 - Constitution algérienne de 1996 *Auteur - Libre penseur - Militant des droits de l'homme Site : drissreffas.com |
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