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Depuis qu'il a fait son come-back politique et pris part à
l'élection présidentielle de 2014 pour laquelle il a mené une campagne
électorale de haute facture qui lui a fait engranger un capital sympathie lui
permettant de créer et de structurer un parti, «Les Avant-gardes des libertés»,
avec lequel il faut désormais compter, Ali Benflis ne doit plus être perçu
comme l'un de ses «intermittents» de la politique dont tout le programme
consiste à rappeler de temps à autre qu'ils existent et sont des «recours»
naturels. L'homme est incontestablement mû par l'ambition de servir le pays
mais pas autrement qu'en lui proposant une alternative réfléchie au système et
à la gouvernance qui l'ont conduit aux impasses dans lesquelles il se trouve.
C'est pour expliciter ses visions en la matière que le Quotidien d'Oran lui a
ouvert ses colonnes. Ce qu'il a fait sans recourir au discours oppositionnel
convenu.
Le Quotidien d'Oran: Beaucoup de citoyens vous ont accordé peu de chance de recevoir l'agrément du parti politique que vous avez créé dans la foulée de l'élection présidentielle de 2014. Comment expliquez-vous que le pouvoir vous ait accordé ce qu'il a arbitrairement refusé aux personnalités de premier plan telles que vous, notamment MM. Taleb El Ibrahimi et Sid Ahmed Ghozali ? Ali Benflis: Ils avaient raison. Je dois vous avouer que même dans nos rangs certains partageaient ce mauvais pressentiment. Il faut dire qu'au vu de toutes les épreuves, les unes plus dissuasives que les autres, il fallait avoir la foi du charbonnier pour parier sur l'agrément de notre parti. C'est que le régime politique en place dans notre pays sait y faire quand il s'agit d'empêcher l'exercice des droits politiques. Dans de telles situations, il dispose de ressources inépuisables et il fait montre d'une imagination sans limites. La loi organique sur les partis politiques a été taillée à sa mesure pour lui permettre de donner libre cours à ses abus de position, d'autorité et de pouvoir pour peser de tout son poids sur la création des partis politiques. Je ne suis pas dans le secret des pensées de ce régime pour connaître les véritables raisons qui l'ont amené -et peut être même contraint- à reconnaître à Talaie El Hourriyet le droit d'agir comme nouvelle formation politique. C'est donc à lui qu'il faut demander les raisons de sa décision. Ce que je sais, quant à moi, c'est que l'appareil politico-administratif a pris quatorze longs mois avant de se résoudre à accorder l'agrément à Talaie El Hourriyet. Vous êtes un observateur averti de la scène politique nationale et vous connaissez tous les obstacles dont-il a jalonné notre parcours. Il a parié sur le fait que nous n'aurions pas le souffle long, une patience inentamable et une résolution sans failles et que, de guerre lasse, nous finirions par nous résigner à l'abandon de notre projet politique. Si tel était le pari -et j'ai la certitude que c'en était un- il a été lamentablement perdu. J'ajouterai que l'appareil politico-administratif est un bon comptable. Il sait parfaitement qui pèse quoi. Il a une claire perception de notre base politique et sociale et mieux que quiconque il a pris la mesure de son étendue et de sa force. Il ne pouvait, dès lors, accepter de courir le risque de priver d'un cadre d'action politique une base politique et sociale à laquelle il a frauduleusement concédé 12% des votes lors du dernier scrutin présidentiel. Je conclurai, enfin, en observant que notre régime politique n'est ni étourdi ni insensible. Il sait qu'il est désormais sous haute surveillance interne et externe quant à ses manquements aux droits de l'homme et aux violations qu'il leur fait subir avec une rare constance. Je vous concède que la surveillance interne ne lui fait ni chaud ni froid. Par contre, la surveillance externe lui importe beaucoup. Il se révèle toujours chatouilleux et irritable à son égard. Or, coup sur coup, l'été dernier, il a été confronté quasi-simultanément à deux rapports sur la situation des droits de l'homme en Algérie, le premier émanant de l'Union européenne et le second du département d'Etat américain. Nos gouvernants, croyez-moi, ont perçu ces deux rapports comme autant de coups de semonce. Alors imaginez un peu l'inconfort dans lequel ils se seraient trouvés aux yeux du monde s'ils avaient persisté à rejeter l'initiative de création d'un parti politique prise par celui que même la fraude a placé à la seconde place lors de la dernière échéance présidentielle. Q.O : Pourquoi avoir dénommé votre parti les «Avant-gardes des Libertés» est ce à dire que ceux qui l'ont rejoint se distingueraient par un plus dans la défense des libertés que l'on ne retrouve pas chez ceux qui appartiennent à des formations de l'opposition professant elles aussi leur attachement aux libertés ? A.B : Vous savez bien que cette dénomination n'était pas notre premier choix. Dans le premier dossier déposé auprès du ministère de l'Intérieur nous avions retenu l'appellation de «Front des Libertés». Cette appellation originelle prenait en charge votre remarque pertinente. Elle considérait les libertés comme un patrimoine commun dont la défense relève d'un front aussi large et aussi rassembleur que possible. Or, le ministère de l'intérieur nous a dénié le droit d'user de cette appellation au motif qu'elle était celle d'une formation politique existante, ce qui était inexact. Et c'est dans ces circonstances que nous avons été contraints à modifier la dénomination de notre parti de «Front des Libertés» à «Avant-gardes des Libertés». Mais même cette appellation n'implique en rien une prétention à détenir le monopole de la défense des libertés. Je le répète avec force et conviction : les libertés sont un patrimoine commun et leur défense une responsabilité collective. En conséquence, dénommer notre parti «Talaie El Hourriyet» ne procède aucunement d'une recherche de l'exclusivité. Cette dénomination n'est absolument pas la revendication d'un monopole mais seulement une localisation politique : le nom de notre parti veut simplement dire que nous nous situons clairement dans le camp des défenseurs des libertés où qu'ils se trouvent et que nous entendons être à leurs côtés aux premières lignes de ce camp. Q.O : Pouvez-vous expliciter les considérations qui vous ont d'abord fait adhérer en 1999 à la candidature de Bouteflika puis celles qui vous ont conduit à rompre avec lui en 2003 ? A.B : Avant de connaître l'homme, j'ai connu les idées qu'il prétendait porter. Ces idées m'ont été présentées dans une profondeur et une ampleur réformatrice insoupçonnées. Elles m'ont séduit car elles correspondaient en tous points à mes propres convictions et mes propres choix politiques. Elles étaient en parfaite conformité avec tout ce que je souhaitais pour notre pays, c'est-à-dire son entrée dans la modernité politique, économique et sociale. J'ai été le coordinateur de la rédaction du programme politique en ma qualité de directeur de la campagne présidentielle de 1999. Ce programme a fidèlement reflété toutes ces idées que je croyais réellement partagées. Je vous invite à relire ce programme et vous mesurerez de vous-même le fossé abyssal qui sépare les intentions déclarées des amères réalités d'aujourd'hui. Souvenez-vous de l'euphorie réformatrice qui s'était emparée du pays sur tous les grands sujets se rapportant à l'Etat et à la société : un grand nombre de commissions ont été ainsi installées pour ouvrir les vastes chantiers de la réforme de l'Etat, du système éducatif, de la justice et de l'économie. Que sont devenues les recommandations de toutes ces commissions qui ont été saluées en leur temps comme annonciatrices d'avancées prometteuses pour notre pays ? Aussitôt ouverts, ces chantiers ont été promptement refermés. Candidat, l'homme avait mis l'habit de grand réformateur ; devenu président, il n'était plus qu'un homme de la stagnation et du statu quo. Avec cet homme de pouvoir que je découvrais, que découvriront plus tard et que découvrent jusqu'à ce jour tous les Algériens, je ne partageais plus la conception de l'Etat, la manière d'exercer le pouvoir ou la façon de diriger les hommes et les guider. Je m'étais mis à ses côtés pour faire bouger les lignes et non pas pour les figer à jamais. Et j'ai réalisé progressivement que le changement promis n'a jamais relevé d'autre chose que d'une vaste campagne publicitaire trompeuse tout juste bonne à servir efficacement une campagne électorale. Le but atteint, les promesses de réformes sont devenues un fardeau et une contrainte dont il fallait se débarrasser au plus tôt. Ce qui a été fait. Et c'est ainsi que le pouvoir personnel s'est préparé à faire insidieusement et subrepticement son long chemin avec tous les ravages dont nous sommes témoins aujourd'hui et au prix exorbitant que nous nous apprêtons à payer maintenant. La réforme de la justice et la loi sur les hydrocarbures qui ont été les deux causes directes de mon départ du Gouvernement n'auront été que deux gouttes d'eau qui ont fait déborder un vase qui avait atteint son trop-plein depuis bien longtemps. Quant à moi, mon plaidoyer pour le changement en 1999 n'a pas changé d'un iota. Les mêmes rêves que j'avais alors pour mon pays, les ambitions que je concevais comme dignes de lui et tous les changements que je considérais comme indispensables pour lui ouvrir, enfin, la voie de la rénovation et du progrès sont toujours là, avec moi, intacts et bien vivants. A chacun sa place et à chacun sa destinée ; les miennes, j'ai toujours tenté de toutes mes forces de les dédier à la rectitude, à la parole tenue et à la fidélité à ce que je crois. Le reste, tout le reste, n'est que vicissitude de la politique que chacun est libre de concevoir à sa manière. Q.O : Vos adversaires vous accusent de naïveté pour avoir été candidat contre Bouteflika en 2004 et 2014. Ils prétendent que dans les deux cas vous avez été l'objet d'une manipulation qui a permis au pouvoir de créer l'illusion de scrutins pluralistes et d'élections présidentielles ouvertes. Ont-ils totalement tort selon vous ? A.B : J'ai librement choisi d'être un homme public. J'en accepte donc volontiers toutes les servitudes. J'ai l'esprit large et le cuir bien tanné. Pour moi, toute critique est constructive qu'elle soit fondée ou infondée. Si elle est fondée elle aide à corriger ; si elle est infondée elle appelle un surcroît d'explication qui est toujours utile. Mes adversaires politiques sont donc libres de leur jugement et ils ont parfaitement le droit de me reprocher la prétendue naïveté de la décision que j'ai prise de participer aux dernières élections présidentielles. Je suis aussi dans mon droit de leur dire que leur jugement est hâtif et que leurs critiques sont primaires et superficielles. Je souhaite rappeler à tous ceux-là que lors des dernières élections présidentielles, j'ai ressenti l'impérieux devoir d'informer l'opinion publique de toutes les raisons qui m'ont amené à conclure à la nécessité de ma participation à cette élection. Je vous invite comme j'invite l'ensemble des critiques à relire cette longue lettre rendue publique dans la presse nationale, car elle reste instructive jusqu'à cette heure. J'ai loyalement joué le jeu de la transparence et je n'ai rien caché des raisons de ma participation à cette échéance électorale. Ceux qui me reprochent une naïveté en cette affaire ne retiennent que l'écume et ne voient pas la vague. Alors aidons-les à oublier l'écume et à diriger leurs regards sur la vague, car il n'y a qu'elle qui importe. Ai-je servi de caution ou de stigmate à ce scrutin ? Je vous laisse juge. Sans ma participation, notre régime politique se serait dispensé de tout recours à la fraude. Et c'est ma participation qui a contraint et forcé notre régime politique à ne trouver refuge et salut que dans la fraude à laquelle il a donné des proportions inégalées dans l'histoire politique de notre pays. Faisons donc bien nos comptes. La fraude massive à laquelle j'ai obligé le régime a permis à nos concitoyens jusqu'à quelles extrémités choquantes elle était capable d'aller ; elle m'a permis de produire un Livre Blanc à son sujet qui a eu à l'intérieur et à l'extérieur du pays l'écho que vous savez et qui est déjà considéré comme un pas important dans la direction du démantèlement du système de la fraude électorale ; l'Union européenne a produit un rapport dévastateur sur la tenue des dernières élections présidentielles et cela a été le facteur déclencheur de tout le harcèlement politique auquel elle soumet depuis lors nos autorités à propos des droits de l'homme ; et pour la première fois les Etats-Unis n'ont pas détourné les yeux et bouché le nez pour adresser un message de félicitations au nouveau non-élu. Si ma participation aux dernières élections présidentielles n'était destinée à avoir pour seul et unique résultat que le début de la mise à mort de la fraude, je m'en contenterai bien volontiers et de tout cœur. Ai-je été un faux témoin en cautionnant un faux scrutin pluraliste ? Je ne le crois pas. Le régime tient aux apparences et avec ma présence ou sans elle, ce scrutin aurait été «pluraliste et ouvert». La vraie question par contre est de savoir s'il y a eu scrutin et élection. Et de ce point de vue, ma participation a servi à démontrer de la manière la plus irréfutable que ce à quoi le peuple algérien a assisté le 17 avril 2014 n'a été qu'une opération politico-administrative de distribution de quotas électoraux affligeante et honteuse. Ma participation a-t-elle servi ou desservi mon action politique ? Sans ma participation et l'engouement réel qu'elle a provoqué, qui saurait aujourd'hui qu'un projet politique de changement est disponible, qu'une alternative politique existe, et qu'il y a autour de moi des femmes et des hommes animés par le sens et la culture de l'Etat pour l'appliquer. Ma participation aux dernières élections présidentielles était patiemment préparée depuis 10 ans. Elle entrait dans le cadre d'une entreprise bien mûrie, bien réfléchie et bien préparée. Toutes ses phases se déclinent devant vous jusqu'à cette heure. Cette entreprise n'était pas destinée à commencer avec l'élection présidentielle et à finir avec elle. Q.O: Pour revenir à l'actualité, l'Algérie est dans une dangereuse impasse économique ; constat que vous-même dressez aussi mais en soutenant que la crise à laquelle le pays est confronté est d'abord politique et qu'il faut, par conséquent, commencer par résoudre ce volet. Expliquez ce que vous entendez par là. A.B : Pour moi, il s'agit là d'une évidence. Ma proposition pour une sortie de l'impasse actuelle porte le titre de «Plan de règlement de la crise globale». J'entendais dire par là qu'aucune des crises actuelles, qu'elles soient politiques, économiques ou sociales, ne recevra un traitement adéquat sans une approche et une démarche politiques. Et je suis bien loin d'être le seul à le penser ou à le dire. Qu'est ce que j'entends par là ? J'entends d'abord dire que par temps calme le régime politique en place a pu gérer la vacance à sa guise. Avec le temps agité qui commence, la donne change du tout au tout. Par temps agité, il faut un maître à bord, il faut un cap, il faut une carte de navigation pour sauver le navire. L'Algérie n'est malheureusement pas dans cette situation. L'extrême gravité de la crise économique qui s'annonce et dont nous ne subissons encore que les tous premiers chocs exige que le chef soit à son poste et prenne les commandes. Or, nous savons qu'il est hors d'état de pouvoir le faire. Une crise d'une telle ampleur ne peut être gérée à des niveaux subalternes par délégation ou procuration. L'absence d'un chef, en ces moments critiques pour le pays, est manifestement un grand problème politique qui ne peut être réglé que politiquement. J'entends dire aussi que cette crise, contrairement à toutes les contre-vérités qui sont proférées à toute heure par nos dirigeants, exigera de la rigueur, de l'austérité et du sacrifice. Demander à nos concitoyennes et à nos concitoyens de consentir à ces exigences requiert la légitimité, la crédibilité et la confiance. Nos gouvernants actuels en sont-ils pourvus ? Nullement, car personne n'est dupe de la fausse légitimité dont-ils se parent. Leur crédibilité, ils l'ont sapée de leurs propres mains ; et la confiance, cela fait longtemps qu'elle n'existe plus que dans leurs rêves. La légitimité est aussi un problème politique et elle ne peut être acquise que politiquement. J'entends dire, en outre, que tous les grands choix économiques du pays sont avant tout des actes politiques forts. La bonne santé d'une économie ou sa faillite sont liées aux choix politiques qui sont faits. Le régime politique en place a eu seize longues années et environ 1000 milliards de dollars entre les mains pour doter le pays d'un modèle économique performant. Il a eu le temps et l'argent pour le faire mais il a failli. La source de cette faillite est politique, car ce sont de mauvais choix politiques qui ont mené le pays vers l'impasse économique actuelle. Les mauvais choix politiques se corrigent, eux aussi, politiquement. Dans n'importe quel pays du monde, les auteurs d'un gâchis aussi lamentable seraient partis d'eux-mêmes en s'excusant et en faisant repentance. Pour faire face à la crise économique actuelle, il faut au pays d'autres choix politiques portés par d'autres femmes et d'autres hommes : une autre politique suppose d'autres acteurs politiques. J'entends dire, enfin, que les auteurs d'un échec économique aussi abyssal dont une grande partie revient à l'absence de moralité et de scrupules dans la gestion des affaires publiques, n'ont absolument aucune crédibilité lorsqu'ils promettent de pouvoir réparer ce qu'ils ont cassé. Le mal est fait et leur crédibilité est en ruine. Et cela aussi est un problème politique dont le traitement relève du politique. Gardons-nous donc des illusions et des faux espoirs. Le pays est confronté à une véritable crise de régime. La prise en charge de la crise économique actuelle n'est pas dissociable du règlement global de cette crise de régime. A une crise globalement politique, le règlement à apporter ne saura être que globalement politique. Q.O : Vous êtes dans l'opposition résolue au pouvoir qui, selon vous, a perdu toute légitimité en se reconduisant par la fraude électorale. Pourquoi alors avoir choisi d'animer un autre pôle d'opposants que celui constitué en CNLTD dont l'objectif est la constitution d'un front uni de l'opposition. Y a-t-il des divergences de deux pôles. Si oui lesquelles ? A.B : D'abord, trois clarifications s'imposent : En premier lieu, la CNLTD a été créée antérieurement aux dernières élections présidentielles. Elle prônait le boycott de ces élections alors que j'avais décidé d'y participer. Ma décision ne me destinait donc pas à en faire partie. En second lieu, rejoindre la CNLTD après les élections n'a jamais fait partie de mes plans. Car, entre-temps, la Coordination s'était structurée à sa manière, dotée de sa propre feuille de route politique et fixée des objectifs spécifiques. Mes alliés et moi-même avions notre propre démarche pour l'avenir. En troisième lieu, 18 partis politiques ont soutenu ma candidature et mon programme lors des dernières élections présidentielles. Au lendemain de ces élections, certains se sont retirés pour des raisons qui leur sont propres et que je respecte. Avec qui sont ceux qui sont restés ? Nous nous sommes rencontrés à plusieurs reprises pour débattre et décider ensemble du futur de notre action politique et c'est ainsi qu'est née l'idée de la création du «Pôle des Forces du Changement» comme force d'opposition. Ces partis n'ont pas soutenu seulement un homme à l'occasion des dernières élections présidentielles. Ils ont soutenu également un projet politique. Dès lors, il m'est particulièrement agréable de relever qu'au sein du Pôle, nous partageons les mêmes point de vues sur l'ensemble des grands sujets politiques, économiques et sociaux. Ces clarifications faites, je dois ajouter que durant toute cette période, la concertation a été permanente avec la CNLTD. Nous nous sommes mutuellement informés de chacun de nos pas. Et c'est ensemble que nous sommes parvenus à la décision de création de l'ICSO comme cadre plus large de concertation et de suivi des actions politiques communes de l'opposition nationale. L'ICSO représente donc ce front uni de l'opposition avec ces trois grandes composantes : le Pôle des Forces du Changement, la CNLTD et les personnalités nationales. Quant aux différences, bien sûr qu'elles existent. Chacun d'entre nous a sa propre identité et sa propre culture politiques. Mais cela passe au second plan par rapport à la priorité de l'heure, celle du règlement de la crise de régime à laquelle nous faisons face et à l'organisation de la transition démocratique. De ce point de vue, nous nous rejoignons parfaitement sur l'essentiel : et l'essentiel c'est la vacance du pouvoir dont il faut sortir le pays, c'est la légitimité qu'il faut redonner à l'ensemble des institutions, c'est la re-légitimation des institutions qui devra impérativement être soumise au contrôle d'une instance indépendante chargée des élections et c'est l'organisation consensuelle d'une transition démocratique assurant le remplacement d'un système autocratique et d'un pouvoir personnel par un pouvoir démocratique légitime. Voilà les quatre grandes tâches prioritaires du moment autour desquelles l'opposition nationale est parfaitement rassemblée. Q.O : Le programme politique de l'opposant Benflis est connu. Il consiste à prôner le changement d'une façon ordonnée et pacifique en passant par des élections démocratiques et transparentes que garantirait une commission nationale électorale indépendante totalement du pouvoir et de l'administration. En somme, le but est pour vous de rétablir la crédibilité et la légitimité de l'Etat en commençant pas le bas plutôt que par des accords entre pouvoir et appareils partisans ? Le confirmez-vous ? A.B : J'ai consacré à ce sujet une longue réflexion publiée par deux de nos grands quotidiens nationaux il y a presque un an, jour pour jour. S'agissant des formes de transition, j'y relevais que celles-ci pouvaient être de trois ordres : la transition octroyée, la transition cooptée et la transition concertée. L'Algérie a connu une transition octroyée - c'est-à-dire décidée par le régime seul- et reflétée par la Constitution de 1989 ; elle a connu également une transition cooptée -c'est-à-dire décidée par les forces politiques en place mais sans mandat- en 1995 et consacrée à travers la Constitution de 1996. Je pense personnellement qu'il est grand temps de donner sa chance à ce que j'appelle «la transition concertée». J'entends par là, sommairement, une transition conduite par des forces politiques légitimes -donc élues- qui en auront reçu mandat explicite du peuple souverain. Vous avez vous-même consacré un éditorial à ce sujet qui a été pour moi un moment de délectation intellectuelle. Vous y avez posé, avec beaucoup de justesse, toutes les données de la problématique de la «transition par le haut» et de la «transition par le bas». Pour moi l'une n'est pas exclusive de l'autre et l'une ne va pas sans l'autre. Je m'en explique. «La transition par le haut» - c'est-à-dire un dialogue entre le pouvoir actuel et l'opposition- sera un passage obligé lorsque viendra le moment de décider du principe de la transition et des modalités de son organisation. Ce dialogue n'est pas un tabou pour moi. Dès le moment où le régime politique en place serait gagné à l'idée de la nécessité d'une transition démocratique, je serai disposé à parler avec lui -tout illégitime qu'il est et en tant que pouvoir de fait- de la préparation et de l'ouverture du grand chantier de la transition. Mais seulement de cela et de rien d'autre. Dans de telles conditions et si une telle situation se présentait, ce dont je doute sérieusement, il sera nécessaire d'apporter des réponses sérieuses et crédibles aux trois questions capitales suivantes : Qui sera notre interlocuteur ? Quel sera l'ordre du jour précis et limitativement déterminé ? Quels mécanismes et instruments mettre en place pour veiller à la mise en œuvre des accords conclus ? «La transition par le haut» s'arrêtera là pour passer le relais à la «transition par le bas», c'est-à-dire le retour aux urnes sous le contrôle d'une instance indépendante et impartiale pour que soient élues et mandatées les forces politiques chargées de donner un contenu à la transition démocratique s'agissant du choix du régime politique, des institutions à mettre en place et de la nature du gouvernement qui sera chargé de mettre en œuvre le contenu de la transition. Dans mon plan de règlement, je propose clairement pour cette phase un gouvernement d'Union nationale, un Pacte de la transition qu'élaborerait une Conférence nationale et qui incorporerait un ensemble d'engagements contraignants mettant la transition à l'abri des dérives et des dérapages possibles, une nouvelle Constitution qu'élaborerait une commission parlementaire élue et un mécanisme de garantie dans lequel l'ANP tiendrait une position centrale. Voilà l'essence de la «transition concertée» que je propose. Comme vous le voyez, elle n'est que la résultante des leçons tirées des limites révélées par la «transition octroyée» et la «transition cooptée» que notre pays a eu a vivre par le passé et qui ont créé une euphorie du changement, mais une euphorie qui n'a pu malheureusement tenir sur la durée. C'est cela que nous devons méditer aujourd'hui pour prémunir notre pays contre la répétition d'une autre euphorie sans lendemain. Q.O : Son programme économique l'est par contre moins. Peut-on en savoir plus sur ce programme et ce qu'il vous amènerait à entreprendre en la matière si vous êtes appelé à assumer la gestion du pays dans le contexte de la crise économique qu'il traverse. A.B : Vous êtes bien injuste. Les deux tiers du programme de 120 pages que j'ai présenté aux dernières élections présidentielles étaient consacrés au développement économique et social. Le programme de Talaie El Hourriyet traite de cette grande problématique dans la même proportion. Et six des dix résolutions sectorielles adoptées par notre parti lors de son congrès constitutif portent sur des domaines économiques et sociaux. Ma vision économique est fondée sur quatre grands constats qui me semblent essentiels. Mon premier constat est que nous n'avons pas une seule économie nationale homogène et cohérente mais plusieurs. Nous avons une économie formelle et une économie informelle presque, sinon plus, puissante que la première ; nous avons les restes de l'économie bureaucratique qui agissent aux côtés d'une autre économie livrée à une sorte de capitalisme sauvage ; et nous avons quelques îlots d'une économie moderne qui opèrent dans le vaste environnement d'une économie archaïque et recroquevillée sur une gestion datant du tout début du siècle dernier. Il y a donc toute une remise en ordre à effectuer et cela n'est pas une tâche aisée. Mon second constat est qu'en matière économique nos dirigeants sont frileux, apeurés et craintifs et ils croient avoir trouvé une porte de sortie en perpétuant l'ambivalence du «ni-ni» : ni économie centralisée ni économie libérale. Mais cette zone grise où ils ont choisi de se poster n'est ni un choix politique courageux ni une solution à cette scène de chaos et d'anarchie qu'est devenue l'économie nationale. Nous ne disposons donc pas d'un modèle économique car le « ni-ni» ne peut pas raisonnablement prétendre servir de base à un modèle digne de ce nom. Mon troisième constat est que face à une situation de rente naturelle, les pays concernés dans le monde se sont divisés en deux catégories s'agissant de la gestion de cette rente : il y a ceux qui ont eu le courage politique et ont été visionnaires en neutralisant les effets rentiers pour s'astreindre à la nécessaire recherche d'autres sources de richesses ; et il y a ceux qui se sont laissés aller à une sorte d'addiction à la rente jusqu'à donner le coup de grâce à toute création de richesses complémentaires ou alternatives. L'Algérie s'est mise, hélas, dans la seconde catégorie et nous voyons bien aujourd'hui ou tout cela a mené notre pays. Il ne sert plus à rien de nous lamenter sur le mal qu'un usage aveuglé et irresponsable de la rente a fait à l'économie nationale. Lorsqu'il en était encore temps, nous aurions pu sortir du cercle vicieux de la rente avec l'aide de l'argent de la rente lorsqu'il coulait à flots. Désormais, il nous faudra apprendre à en sortir sans l'argent de la rente. Cela sera dur mais nous n'avons plus le choix. Mon quatrième constat est que, certes, les grands choix politiques précèdent, en les fixant, les grandes orientations et les grandes déploiements économiques. C'est cela l'Etat stratège. Mais chez nous, l'Etat se complait encore dans son rôle de micro-entrepreneur car mis dans l'incapacité d'assumer les missions stratégiques attendues de lui. De ce point de vue, les interférences politiciennes et les entraves bureaucratiques qui leur servent de support ont eu des effets cumulatifs qui ont fait de notre champ économique le champ de ruines qu'il est devenu. Dans un tel champ, gabegie, gaspillage et corruption se sont donnés le mot et ont eu partie liée pour destiner ce qui nous tient lieu d'économie nationale au triste sort qui est aujourd'hui le sien. L'Etat devra donc revenir à ses véritables missions : celles de formulation des politiques de portée stratégique, de régulation, de veille à la redistribution équitable de la richesse nationale, de garant de la justice sociale et de protecteur vigilant des plus démunis et les plus défavorisés d'entre nous. De ces constats, j'ai tiré quelques conclusions. Maintenant que nous sommes dos au mur, nos dirigeants nous proposent un rapiéçage par ci et un saupoudrage par là. Ils n'ont absolument aucun plan pour organiser la riposte effective de notre pays à la crise actuelle et, au-delà, aucune vision de ce qui devrait être entrepris pour mettre enfin l'économie nationale sur la voie de la performance, de la compétitivité et de la croissance. Ils font des comptes de boutiquiers en tournant en rond ; ils agissent en agents comptables dont l'horizon ne va jamais au-delà de recettes et de dépenses à ajuster ; ils ne se soucient que de la manipulation de chiffres frelatés pour s'épuiser à calmer l'inquiétude qui monte ; ils jouent à vouloir combler les trous béants des déficits comme si la crise actuelle n'était réductible qu'à cela. Nous savons tous que de profondes réformes structurelles sont inévitables. Ces réformes seront dures, difficiles et douloureuses pour la simple raison qu'elles ont tardé à venir et qu'elles n'ont pas été introduites par temps d'aisance financière. Elles auraient eu alors un moindre coût politique économique et social. Ces réformes structurelles à mettre en œuvre sont connues de tous : dépolitiser l'acte économique, débureaucratiser l'investissement, aider les initiatives créatrices de richesse en les libérant, désenclaver notre économie par rapport à son environnement mondial, moderniser en le simplifiant notre outil fiscal, bâtir notre propre marché financier, rénover nos outils budgétaires et revoir de fond en comble un système bancaire qui a servi plus à démultiplier les rentes de situation qu'à financer la création et la diversification des réserves de richesses. Le chantier est vaste mais il n'est pas au-dessus de nos forces, de nos moyens et de nos atouts. Q.O : Vous avez estimé que ce ne sont pas la réorganisation et les changements opérés au sein des services du renseignement et sécuritaires qui posent problème, mais la façon opaque et lourde d'intentions inavouées dont ils ont été opérés. A.B : C'est de cela qu'il s'agit. Le régime politique en place a le souci de l'opacité, de la culture du secret et le culte du mystère bien ancrés en lui et il n'y a pas dérogé au sujet de ces changements. Il n'a rien dit et rien expliqué si l'on excepte l'un de ces représentants qui a osé prétendre qu'il s'agissait de secrets d'Etat. Par contre, ceux qui gravitent dans l'orbite de ce régime se sont laissés aller à expliquer qu'il s'agissait d'une restructuration, d'une mesure de rationalisation, de professionnalisation et d'adaptation au contexte national et régional. Ces explications sont les unes plus embarrassantes que les autres pour leurs auteurs et je reviendrai sur chacune d'entre elles si vous me le permettez. Mais je relèverai d'abord qu'à la différence de tous les autres pays, chez nous le commandant en chef -si c'est bien lui qui a pris ces décisions- agit à sa guise et opère en terrain conquis lorsqu'il s'agit des changements à introduire dans le commandement des forces armées. Dans ces pays, des lois, des règlements et des modalités stricts encadrent l'exercice des prérogatives des commandants en chef. Dans le cas de notre pays, ces instruments ne sont pas tenus en ligne de compte lorsqu'ils existent et lorsqu'ils n'existent pas notre commandant en chef se sent les coudées franches pour faire ce que bon lui semble. Cela constitue une grande anomalie. Il s'agit des forces armées de la République et le commandant en Chef ne peut en disposer selon son bon plaisir. Cette clarification faite, passons à l'argument de la restructuration qui a été avancé pour expliquer ces changements. Si les mots ont encore un sens, la restructuration d'une entité signifie une révision de sa composante, de ses objectifs, de ses missions ou de ses moyens d'action. Or, dans le cas qui nous concerne, ce sont des forces, des unités ou des services qui ont simplement changé de commandement en restant tels qu'ils étaient. Il n'y a pas eu l'ombre d'une restructuration dans cette affaire et tout ce dont il s'agit est un transfert de prérogatives d'un commandement à un autre. L'argument de la rationalisation a également été soutenu. De quelle rationalisation parle-t-on sérieusement ? Voilà que des prérogatives de gestion ordinaire de forces, d'unités et de services sont systématiquement transférées vers un état-major qui est censé être à l'instar de tous les autres état-majors dans le monde -une instance de planification stratégique, d'organisation et de préparation des forces armées et de leur maintien permanent en état de disponibilité au combat. Là aussi, si les mots avaient un sens, l'on ne parlerait pas de rationalisation mais d'incongruité. Plutôt que de rationalisation, n'est-ce pas de perte de cohérence et de rationalité qu'il faudrait plus justement parler ? En outre, un autre argument aussi fallacieux que les autres a été présenté, celui de la professionnalisation en vue de la performance. Mais jusqu'à l'annonce des décisions de changement, nos forces armées ne nous étaient-elles pas présentées -à raison- comme détentrices d'expérience et d'expertise uniques dans la lutte anti-terroriste et comme un modèle qui offre une source d'inspiration à tous les pays du monde confrontés au fléau du terrorisme. «On ne change pas ce qui marche», dit-on. Qu'est-ce qui a bien pu cesser de marcher pour dicter ces changements ? Enfin, le dernier argument brandi -certainement le plus léger- a été celui de l'adaptation de nos forces armées aux nouvelles exigences nationales et régionales. L'environnement national et régional a-t-il connu de brusques mutations qui ont échappé à notre vigilance ? Et quels sont ces développements soudains qui sont intervenus aux plans national et régional sans que nous nous en rendions compte et qui ont requis tous ces changements en cascade ? En vérité «l'adaptation aux nouvelles réalités nationales et régionales «est une formule passe-partout», une «formule fourre-tout» -comme l'ont dit trivialement- à laquelle les politiciens en mal d'inspiration ont recours pour tenter d'expliquer ce qu'ils ont du mal à expliquer. Ce que je sens ce sont des jeux malsains autour de notre armée ; ce que je sens aussi ce sont des mains aventureuses qui se tendent pour l'attirer vers le champ des conflits d'intérêts politiciens qui n'est pas le sien ; ce que je sens, enfin, c'est que la vacance du pouvoir a ouvert beaucoup d'appétits malsains qui mettent les intérêts de pouvoir au-dessus de tous les autres intérêts, l'intérêt national y compris. J'ai déclaré et écrit à plusieurs reprises que ce qui nous reste de régime politique représente la plus grande menace pour notre pays. Je crains que les développements que nous vivons me donnent raison. C'est à cela que nous devons prendre garde. Q.O : Votre parti a maintenant plus d'une année d'existence. Où en sont sa structuration et son ancrage ? A.B : Officiellement, Talaie El Hourriyet n'ont que 18 jours d'existence. En effet, leur date de naissance, celle consignée dans l'agrément obtenu, est le 8 septembre 2015. Mais vous avez raison de relever que cela fait plus d'une année que nous avons entamé la mise en place du dispositif prévu pour le cas où notre parti serait agréé. Un autre dispositif existait également pour le cas où il ne le serait pas. C'est ainsi que dès le 6 juillet 2014, date de la saisine du ministère de l'Intérieur pour le dépôt de la demande de constitution d'un parti politique, j'avais demandé à mes sympathisants et à mes soutiens dans tout le territoire national d'informer notre base politique et sociale de la formalisation de notre intention de la doter d'une formation politique et de la tenir prête pour les échéances à venir. Malgré les 14 longs mois qu'a duré notre attente pour le dépôt du dossier constitutif du parti et l'octroi de l'autorisation de tenue du Congrès constitutif le 21 février 2015, cette base du parti est restée présente et mobilisée. Cela explique comment, en un temps record et avant même la tenue de ce Congrès constitutif nous ayons été en mesure d'installer nos bureaux provisoires dans 47 wilayas du pays et dans les 13 circonscriptions de la wilaya d'Alger ainsi que dans 1250 sur les 1541 communes que compte le territoire national. Durant cette période, nous avons aussi entamé une campagne pour les pré-adhésions et à la date de la tenue du Congrès constitutif nous comptions déjà 30.000 adhérents ; un nombre que nous entendons doubler d'ici la fin de l'année tant l'engouement pour notre parti est réel. Des témoignages convergents ont reconnu le succès remarquable du Congrès constitutif de Talaie El Hourriyet, un congrès qui aurait été autrement plus démonstratif de notre poids politique si l'appareil politico-administratif ne nous avait pas privés de l'utilisation des grandes salles d'Alger. Mais ce dont je suis le plus fier, c'est incontestablement le fait que Talaie El Hourriyet -comme promis- ont réussi à accorder une grande place aux femmes et aux jeunes au sein de leur base militante comme dans leurs structures dirigeantes. Et c'est ainsi que les femmes représentaient 35 % et les jeunes 41% des délégués au Congrès constitutif. Au sein du Comité central, nous comptons cent femmes et 80% de membres de moins de 50 ans. Le Bureau politique comprend 20 membres de moins de 50 ans et 6 femmes. Notre parti se veut un parti moderne et il n'y a pas de modernité qui vaille sans ces vecteurs essentiels que sont les femmes et les jeunes. En tout cas, c'est ma conviction personnelle et, croyez-moi, les femmes et les jeunes savent que je suis de leur côté pour faire en sorte que Talaie El Hourriyet soit véritablement leur parti. Talaie El Hourriyet sont un grand parti d'avenir. Ce n'est pas là un slogan tapageur ou une ambition démesurée. Ceux qui suivent ce que nous disons ou ce que nous écrivons de manière assidue savent que nous avons un véritable projet de société pour le pays, que nous offrons des solutions mûries, crédibles et praticables pour le sortir de l'impasse totale dans laquelle il se trouve et que nous avons une vision claire du chemin à suivre, celui de la modernisation politique, de la refondation économique et du renouveau social. Dans les rangs de Talaie El Hourriyet, il y a des femmes et des hommes qui ont la culture de l'Etat, le sens de l'Etat et le service de l'Etat. Et en cette heure de périls pour l'Etat national lui-même, ce sont des femmes et des hommes de cette trempe qui peuvent faire la différence. Q.O : Vous avez estimé que ce ne sont pas la réorganisation et les changements opérés au sein des services du renseignement et sécuritaires qui posent problème, mais la façon opaque et lourde d'intentions inavouées dont ils ont été opérés. A.B : C'est de cela qu'il s'agit. Le régime politique en place a le souci de l'opacité, de la culture du secret et le culte du mystère bien ancrés en lui et il n'y a pas dérogé au sujet de ces changements. Il n'a rien dit et rien expliqué si l'on excepte l'un de ces représentants qui a osé prétendre qu'il s'agissait de secrets d'Etat. Par contre, ceux qui gravitent dans l'orbite de ce régime se sont laissés aller à expliquer qu'il s'agissait d'une restructuration, d'une mesure de rationalisation, de professionnalisation et d'adaptation au contexte national et régional. Ces explications sont les unes plus embarrassantes que les autres pour leurs auteurs et je reviendrai sur chacune d'entre elles si vous me le permettez. Mais je relèverai d'abord qu'à la différence de tous les autres pays, chez nous le commandant en chef -si c'est bien lui qui a pris ces décisions- agit à sa guise et opère en terrain conquis lorsqu'il s'agit des changements à introduire dans le commandement des forces armées. Dans ces pays, des lois, des règlements et des modalités stricts encadrent l'exercice des prérogatives des commandants en chef. Dans le cas de notre pays, ces instruments ne sont pas tenus en ligne de compte lorsqu'ils existent et lorsqu'ils n'existent pas notre commandant en chef se sent les coudées franches pour faire ce que bon lui semble. Cela constitue une grande anomalie. Il s'agit des forces armées de la République et le commandant en Chef ne peut en disposer selon son bon plaisir. Cette clarification faite, passons à l'argument de la restructuration qui a été avancé pour expliquer ces changements. Si les mots ont encore un sens, la restructuration d'une entité signifie une révision de sa composante, de ses objectifs, de ses missions ou de ses moyens d'action. Or, dans le cas qui nous concerne, ce sont des forces, des unités ou des services qui ont simplement changé de commandement en restant tels qu'ils étaient. Il n'y a pas eu l'ombre d'une restructuration dans cette affaire et tout ce dont il s'agit est un transfert de prérogatives d'un commandement à un autre. L'argument de la rationalisation a également été soutenu. De quelle rationalisation parle-t-on sérieusement ? Voilà que des prérogatives de gestion ordinaire de forces, d'unités et de services sont systématiquement transférées vers un état-major qui est censé être à l'instar de tous les autres état-majors dans le monde -une instance de planification stratégique, d'organisation et de préparation des forces armées et de leur maintien permanent en état de disponibilité au combat. Là aussi, si les mots avaient un sens, l'on ne parlerait pas de rationalisation mais d'incongruité. Plutôt que de rationalisation, n'est-ce pas de perte de cohérence et de rationalité qu'il faudrait plus justement parler ? En outre, un autre argument aussi fallacieux que les autres a été présenté, celui de la professionnalisation en vue de la performance. Mais jusqu'à l'annonce des décisions de changement, nos forces armées ne nous étaient-elles pas présentées -à raison- comme détentrices d'expérience et d'expertise uniques dans la lutte anti-terroriste et comme un modèle qui offre une source d'inspiration à tous les pays du monde confrontés au fléau du terrorisme. «On ne change pas ce qui marche», dit-on. Qu'est-ce qui a bien pu cesser de marcher pour dicter ces changements ? Enfin, le dernier argument brandi -certainement le plus léger- a été celui de l'adaptation de nos forces armées aux nouvelles exigences nationales et régionales. L'environnement national et régional a-t-il connu de brusques mutations qui ont échappé à notre vigilance ? Et quels sont ces développements soudains qui sont intervenus aux plans national et régional sans que nous nous en rendions compte et qui ont requis tous ces changements en cascade ? En vérité «l'adaptation aux nouvelles réalités nationales et régionales «est une formule passe-partout», une «formule fourre-tout» -comme l'ont dit trivialement- à laquelle les politiciens en mal d'inspiration ont recours pour tenter d'expliquer ce qu'ils ont du mal à expliquer. Ce que je sens ce sont des jeux malsains autour de notre armée ; ce que je sens aussi ce sont des mains aventureuses qui se tendent pour l'attirer vers le champ des conflits d'intérêts politiciens qui n'est pas le sien ; ce que je sens, enfin, c'est que la vacance du pouvoir a ouvert beaucoup d'appétits malsains qui mettent les intérêts de pouvoir au-dessus de tous les autres intérêts, l'intérêt national y compris. J'ai déclaré et écrit à plusieurs reprises que ce qui nous reste de régime politique représente la plus grande menace pour notre pays. Je crains que les développements que nous vivons me donnent raison. C'est à cela que nous devons prendre garde. Q.O : Votre parti a maintenant plus d'une année d'existence. Où en sont sa structuration et son ancrage ? A.B : Officiellement, Talaie El Hourriyet n'ont que 18 jours d'existence. En effet, leur date de naissance, celle consignée dans l'agrément obtenu, est le 8 septembre 2015. Mais vous avez raison de relever que cela fait plus d'une année que nous avons entamé la mise en place du dispositif prévu pour le cas où notre parti serait agréé. Un autre dispositif existait également pour le cas où il ne le serait pas. C'est ainsi que dès le 6 juillet 2014, date de la saisine du ministère de l'Intérieur pour le dépôt de la demande de constitution d'un parti politique, j'avais demandé à mes sympathisants et à mes soutiens dans tout le territoire national d'informer notre base politique et sociale de la formalisation de notre intention de la doter d'une formation politique et de la tenir prête pour les échéances à venir. Malgré les 14 longs mois qu'a duré notre attente pour le dépôt du dossier constitutif du parti et l'octroi de l'autorisation de tenue du Congrès constitutif le 21 février 2015, cette base du parti est restée présente et mobilisée. Cela explique comment, en un temps record et avant même la tenue de ce Congrès constitutif nous ayons été en mesure d'installer nos bureaux provisoires dans 47 wilayas du pays et dans les 13 circonscriptions de la wilaya d'Alger ainsi que dans 1250 sur les 1541 communes que compte le territoire national. Durant cette période, nous avons aussi entamé une campagne pour les pré-adhésions et à la date de la tenue du Congrès constitutif nous comptions déjà 30.000 adhérents ; un nombre que nous entendons doubler d'ici la fin de l'année tant l'engouement pour notre parti est réel. Des témoignages convergents ont reconnu le succès remarquable du Congrès constitutif de Talaie El Hourriyet, un congrès qui aurait été autrement plus démonstratif de notre poids politique si l'appareil politico-administratif ne nous avait pas privés de l'utilisation des grandes salles d'Alger. Mais ce dont je suis le plus fier, c'est incontestablement le fait que Talaie El Hourriyet -comme promis- ont réussi à accorder une grande place aux femmes et aux jeunes au sein de leur base militante comme dans leurs structures dirigeantes. Et c'est ainsi que les femmes représentaient 35 % et les jeunes 41% des délégués au Congrès constitutif. Au sein du Comité central, nous comptons cent femmes et 80% de membres de moins de 50 ans. Le Bureau politique comprend 20 membres de moins de 50 ans et 6 femmes. Notre parti se veut un parti moderne et il n'y a pas de modernité qui vaille sans ces vecteurs essentiels que sont les femmes et les jeunes. En tout cas, c'est ma conviction personnelle et, croyez-moi, les femmes et les jeunes savent que je suis de leur côté pour faire en sorte que Talaie El Hourriyet soit véritablement leur parti. Talaie El Hourriyet sont un grand parti d'avenir. Ce n'est pas là un slogan tapageur ou une ambition démesurée. Ceux qui suivent ce que nous disons ou ce que nous écrivons de manière assidue savent que nous avons un véritable projet de société pour le pays, que nous offrons des solutions mûries, crédibles et praticables pour le sortir de l'impasse totale dans laquelle il se trouve et que nous avons une vision claire du chemin à suivre, celui de la modernisation politique, de la refondation économique et du renouveau social. Dans les rangs de Talaie El Hourriyet, il y a des femmes et des hommes qui ont la culture de l'Etat, le sens de l'Etat et le service de l'Etat. Et en cette heure de périls pour l'Etat national lui-même, ce sont des femmes et des hommes de cette trempe qui peuvent faire la différence. |
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