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Avec la rentrée scolaire qui s'est faite
hier on ne peut qu'évoquer l'école de notre enfance et se souvenir des
merveilleuses années qu'on a passées dans ce lieu magique.
Se remémorer l'école, c'est faire marche arrière dans le temps où le savoir était un plaisir pour tout un chacun et l'espoir grand dans des petites âmes qui n'aspiraient qu'à se faire éduquer pour acquérir une solide formation qui pouvait bien nous permettre de rêver, et pourquoi pas, aspirer à de meilleurs jours après de longues nuits de misère. L'école de cette génération qui a dépassé la cinquantaine maintenant a commencé au beau milieu des années soixante, juste trois ou quatre ans après l'indépendance. En ce temps-là, on était bien prêt à relever le défi et montrer à celle qui nous a précédés qu'on était les dignes fils des valeureux pères qui ont rendu la liberté au pays après plus de 130 ans de colonialisme. On était aussi enthousiastes à l'idée qu'on allait enfin lire et écrire et faire sortir nos parents de la misère dans laquelle ils vivaient. On avait tous l'espoir de devenir médecins, ingénieurs ou professeurs. On rêvait de gagner beaucoup d'argent pour se procurer tout ce dont on avait besoin et acheter tout ce que nos parents ne pouvaient, malheureusement, pas nous l'offrir. A cette époque-là, la majorité des villageois que nous étions était pauvres et démunis, mais néanmoins fiers d'affronter le futur avec un certain optimisme. Notre école en ce temps-là n'était composée en fait que de deux ou trois classes en dur, le reste était des baraques héritées de l'époque coloniale. Il y faisait chaud les premières semaines de la rentrée et très froid pendant l'hiver, mais comme elles étaient équipés de poêles, on ne sentait pas vraiment la rigueur des heures glaciales qu'on passait à apprendre à lire et à écrire puisque «Aami Dahmane», le gardien, veillait sur nous en nous ramenant quotidiennement notre quota de bois dans une étonnante brouette à deux roues que seule la commune possédait. La cour ou nous aimions courir et s'amuser était plantée de beaux platanes qui en couvraient la moitié avec leurs ombrages. On aimait bien jouer dessous et faire des rondes tout autour jusqu'à épuisement. Au fond, des lavabos et des toilettes qui nous permettaient de nous soulager en cas de nécessité et juste à côté un grand garage qui n'abritait aucune voiture mais qui nous était bien utile quand il pleuvait. L'école de notre temps n'était pas clôturée de béton et le portail n'était pas en fer comme de nos jours. Le grillage permettait aux passants de voir tout ce qui se passait à l'intérieur. Derrière les classes, quelques orangers et mandariniers offraient volontiers leurs fruits que seuls nos maîtres pouvaient manger. Quant à nous, on n'osait même pas les approcher par peur de subir des punitions. Il faut dire qu'en ce temps-là, ils imposaient le respect, et même en dehors de l'école ; les gens avaient beaucoup d'estime pour eux à cause de leurs savoirs et leur utilité pour la société. Nos maîtres venaient de différents horizons, d'El Asnam (Chlef) comme de Boukadir ou de Mazouna. Il y avait même des coopérants qui venaient d'Egypte, comme le célèbre «Mohamed Taha» qui a laissé des souvenirs mémorables dans notre village tant pour sa forte personnalité que pour sa compétence, son sérieux et son dévouement, bien qu'il fût un peu sévère et brutal. Mais malgré ça, son talent n'a pas échappé aux autorités qui ont décidé par la suite de le transférer au nouveau C.E.M. de Oued Sly qui venait juste d'ouvrir ses portes au début des années 70. On ne peut parler de l'école sans mentionner son directeur. Il s'appelait Boukhedouma. C'était un vieux monsieur qui, malgré son âge, était doté d'une volonté de fer. Il était toujours présent dans son établissement ; il y habitait d'ailleurs. Il portait toujours des ?'golf'', sorte de pantalons courts qu'on trouvait un peu bizarres à l'époque. Il portait aussi un fez qu'on appelait «chachia stamboul» en référence à son origine qu'on pensait être la Turquie. Maîtres, élèves et parents le respectaient et les conseils qu'il nous donnait, les idées qu'il nous inculquait le long de la journée pour nous faire aimer le savoir résonnent toujours dans nos têtes. Quand il nous arrivait de faire des bêtises ou quand on oubliait de faire nos devoirs, il se contentait de nous tirer les oreilles. Comme il connaissait tous nos parents, il ne manquait pas de leur faire la remarque sans les forcer toutefois à nous punir. Il était très gentil et jamais on s'est plaint de lui. Il lui arrivait d'être en colère comme tout le monde, mais ça ne se voyait pas sur son visage car il ne laissait rien apparaître de ses sentiments. Son minuscule bureau ne le gênait pas vraiment. D'ailleurs, il avait rarement le temps d'y rester longtemps tellement il aimait tourner sans cesse dans son école. Son logement étant mitoyen à son bureau, il lui arrivait de temps en temps d'y faire un tour pour boire un café ou un verre d'eau. La rentrée des classes en ce temps-là était toujours programmée pour la dernière semaine du mois de septembre. C'était un grand événement pour nous. On se préparait du mieux qu'on pouvait en mettant nos plus beaux habits. Les quelques enfants issus de familles riches achetaient de nouveaux vêtements mais quant à nous, les pauvres, c'était rarement qu'on mettait quelque choses de nouveau. Néanmoins on était tous heureux de se retrouver dans ce lieu magique du savoir. Les anciens élèves étaient ravis de se retrouver après des mois de vacances et les nouveaux un peu fascinés et curieux de se retrouver dans un tout nouveau milieu dans lequel ils évoluent pour la première fois. Alors qu'on se mettait en rang et qu'on attendait au milieu de la cour, souvent sous un soleil de plomb, nos cœurs battaient la chamade à l'idée de qui pouvait bien être notre maître pour l'année. On appréhendait tous cet instant car bien qu'on fût tout petits, on avait nos propres idées sur tous les enseignants de l'école. Tel maître était sévère, tel autre était gentil. On craignait les uns pour leur brutalité, on aimait d'autres pour leur gentillesse; néanmoins on n'avait pas la capacité de juger de leurs compétences. Une fois en classe, on se bousculait pour prendre nos places dans les rangs. La majorité des élèves préféraient les premières rangées, mais comme il n'y en avait pas beaucoup évidemment, on en venait souvent aux mains pour se faire valoir. C'était donc à nos maîtres de décider qui devait prendre telle ou telle place. Toutefois, chacun de nous avait plus ou moins le droit de choisir le copain avec qui il voulait s'asseoir. Le copain c'était souvent le voisin ou le cousin, mais il arrivait qu'on s'asseyait avec des élèves qu'on rencontrait pour la première fois. Ce n'est plus tard que l'amitié se tissait entre nous et les liens se soudaient pour ne plus se détacher. Pendant la récréation, un bruit assourdissant émanait des centaines d'élèves qui courent dans tous les sens. Les dix minutes que durait cette pose nous permettaient de souffler un peu, de manger les galettes que les enfants ramenaient de chez eux ou de copier les devoirs qu'on a dû faire la veille à la maison, mais dès qu'on entendait le sifflet, on cessait toute activité ; on devenait sages comme des anges. Quand midi sonnait, on nous emmenait au réfectoire prendre le déjeuner. Une fois là-bas, les serveuses s'occupaient de nous en nous faisant asseoir sur de longs bancs devant des tables à huit, puis nous donnait à manger des haricots blancs, des lentilles, des pois chiches mais jamais de frites. Quant à la viande ou au poulet, c'était vraiment dans de rares occasions qu'on nous en donnait. En guise de fruits, on nous servaient des biscuits, des gaufrettes, ou des dattes. Il ne m'en souvient pas d'avoir mangé des pommes ou des bananes. On mangeait à notre faim et les serveuses étaient gentilles avec nous en nous rajoutant des fois des rations quand la nourriture nous plaisait. Quand le repas était fini, on retournait aussitôt à l'école pour jouer en attendant les cours de l'après-midi. Le soir vers 16 heures, on rentrait chez soi. Les gamins qui habitaient loin rentraient chez eux à pied, et il faut dire que c'était pas la porte à côté. Les uns venaient de Maameria, les autres de S'lim ou de Ouled Hadj Abed. Ils devaient tous se taper des kilomètres pour arriver avant la tombée de la nuit, mais en hiver c'était pas évident. Quelques chanceux avaient des bicyclettes, mais la plupart prenaient la chose du bon côté. Mais malgré tout ça, on ne les a jamais entendu se plaindre. La navette était pour eux de la routine et avec le temps ils finissaient par s'adapter. L'essentiel c'est qu'ils étaient prêts à faire beaucoup de sacrifice pour le savoir. Cinquante ans après, en passant près de notre ancienne école, on sent les larmes près de couler tant le souvenir de ces belles années passées dans cette enceinte qui a vu grandir le savoir, l'amour et l'amitié, le tout couvert de cette innocence que seuls les enfants possèdent. A présent, notre école est transférée ailleurs et on a construit à sa place un marché couvert où personne ne se rend. On a démoli la bâtisse, certes, mais on ne pourra jamais effacer son souvenir de nos cœurs. On gardera éternellement cette image de ce merveilleux lieu qui a abrité le temps que dura notre scolarité, un bonheur qu'on aime souvent à évoquer dans ces moments d'adversité. |
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