Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

La Fed devrait attendre

par Joseph E. Stiglitz1 Et Dean Baker2

NEW YORK - Le conseil d'administration de la Réserve fédérale américaine se réunira à nouveau les 20 et 21 septembre. Bien que la plupart des analystes prévoient une nouvelle hausse importante des taux d'intérêt, il existe de solides arguments en faveur d'une pause dans le resserrement agressif de la politique monétaire de la Fed. Si ses hausses de taux ont jusqu'à présent ralenti l'économie - en particulier le secteur du logement - leur impact sur l'inflation est beaucoup plus incertain.

La politique monétaire affecte généralement les performances économiques avec des décalages longs et variables, en particulier en période de bouleversements. Compte tenu de la profondeur de l'incertitude géopolitique, financière et économique - notamment en ce qui concerne l'évolution future de l'inflation - la Fed serait bien avisée de suspendre ses hausses de taux et d'attendre qu'une évaluation plus fiable de la situation soit possible.

Il y a plusieurs raisons d'attendre. La première est tout simplement que l'inflation a fortement ralenti. L'inflation de l'indice des prix à la consommation (IPC) - la mesure la plus pertinente pour les ménages - était nulle en juillet, et il est probable qu'elle ait été nulle ou même négative en août. De même, le déflateur des dépenses de consommation personnelle (DCP) - une autre mesure souvent utilisée et basée sur les comptes du PIB - a baissé de 0,1 % en juillet.

Certains seront tentés d'attribuer à la politique monétaire restrictive cette victoire apparente sur l'inflation. Mais cet argument commet le sophisme post hoc ergo propter hoc (supposer que parce que A est arrivé avant B, A doit avoir causé B) et confond corrélation et causalité. En outre, la plupart des principaux facteurs à l'origine de l'inflation actuelle ont peu à voir avec la réduction de la demande. Ce sont des contraintes du côté de l'offre qui ont fait grimper l'inflation et ce sont encore des facteurs liés à l'offre qui font aujourd'hui baisser l'inflation.

Certes, de nombreux économistes (y compris certains à la Fed) s'attendaient à ce que les interruptions du côté de l'offre dues à la guerre de la Russie en Ukraine et à la pandémie soient surmontées très rapidement. En l'occurrence, ils se sont trompés, mais uniquement sur la vitesse à laquelle les conditions se normaliseraient. Une grande partie de cet échec était compréhensible. Qui aurait pu penser que la légendaire économie de marché américaine serait si peu résiliente ? Qui aurait pu prévoir qu'elle connaîtrait des pénuries critiques de lait maternisé, de produits d'hygiène féminine et de composants nécessaires à la production de nouvelles voitures ? S'agit-il des États-Unis ou de l'Union soviétique dans ses derniers jours ?

De plus, avant que le président russe Vladimir Poutine ne commence à masser des troupes à la frontière ukrainienne à la fin de l'année dernière, personne n'aurait pu prédire qu'il y aurait une guerre terrestre majeure en Europe. Aujourd'hui, personne ne peut prédire combien de temps durera cette guerre, ni combien de temps il faudra aux dirigeants politiques pour mettre un terme à la flambée des prix qui y est associée (dont certains sont simplement le résultat de prix abusifs, c'est-à-dire de «profits de guerre»).

Pourtant, l'histoire globale de l'inflation est simple : bon nombre des facteurs liés à l'offre qui ont poussé les prix à la hausse au début de la reprise sont en train de s'inverser. Notamment, l'indice CPI de l'essence a chuté de 7,7 % en juillet, et les indices privés suggèrent une baisse comparable en août. Là encore, cette inversion des prix était prévisible et prévue ; la seule incertitude concernait le moment.

Les autres prix suivent une tendance similaire. En juillet, l'IPC de base (qui exclut l'énergie et l'alimentation) a augmenté à un taux relativement modeste de 0,3 %, et le déflateur de base de l'indice des prix à la consommation n'a augmenté que de 0,1 %. Cela suggère une réduction de l'arriéré de marchandises importées - le problème à l'origine des rayons vides des magasins et des perturbations commerciales au début de la pandémie.

Des données récentes confirment cette conclusion. L'Indice de pression sur les chaines d'approvisionnement mondiales développé par la Banque fédérale de réserve de New York a fortement baissé par rapport aux sommets atteints l'automne dernier et se situe juste au-dessus de ce qu'il était avant la pandémie. Bien que les coûts de transports soient encore largement supérieurs à leurs niveaux d'avant la pandémie, ils ont diminué de près de 50 % par rapport aux pics de l'automne dernier et devraient continuer à baisser. Après avoir grimpé en flèche pendant la pandémie et les premiers mois de la guerre en Russie, les prix d'un large éventail de matières premières sont retombés à leur niveau d'avant la pandémie. L'Indice Baltic Dry Goods, par exemple, est désormais inférieur à son niveau moyen de 2019.

Les constructeurs automobiles ont également surmonté les problèmes créés par la pénurie mondiale de semi-conducteurs. Selon l'Indice de production industrielle de la propre Fed, la production de véhicules à moteur était en fait supérieure à son niveau pré-pandémique en juillet.

Après avoir reçu pendant un an beaucoup de mauvaises nouvelles sur l'inflation et les facteurs liés à l'offre, nous commençons maintenant à recevoir beaucoup de bonnes nouvelles. Et, si personne ne suggère que la politique monétaire doive reposer sur des données de deux mois seulement, il convient de noter que les attentes en matière d'inflation se sont également modérées, l'Indice du sentiment des consommateurs de l'Université du Michigan et l'Enquête sur les attentes des consommateurs de la Fed de New York ayant tous deux légèrement baissé en juillet.

La justification habituelle du resserrement de la politique de la Fed est qu'il est nécessaire pour empêcher un cycle d'attentes auto-réalisatrices, les travailleurs et les entreprises en venant à s'attendre à une inflation plus élevée et à fixer les salaires et les prix en conséquence. Or, cela ne peut se produire lorsque les anticipations d'inflation sont en baisse, comme c'est le cas actuellement.

Certains analystes ont suggéré que les États-Unis ont besoin d'une longue période de chômage élevé pour ramener l'inflation au niveau cible de la Fed. Mais ces arguments sont fondés sur les modèles standard de la courbe de Phillips, et le fait est que l'inflation s'est éloignée de la courbe de Phillips (qui suppose une relation inverse directe entre l'inflation et le chômage). Après tout, la forte hausse de l'inflation l'année dernière n'était pas due à une baisse soudaine et importante du chômage, et le récent ralentissement de la croissance des salaires et des prix ne peut s'expliquer par un chômage élevé.

Au vu des dernières données, il serait irresponsable de la part de la Fed de créer délibérément un chômage beaucoup plus élevé, en raison d'une foi aveugle dans la pertinence permanente de la courbe de Phillips. L'élaboration des politiques se fait toujours dans des conditions d'incertitude, et les incertitudes sont particulièrement grandes aujourd'hui. L'inflation et les anticipations inflationnistes étant déjà en baisse, la Fed devrait accorder plus de poids au risque négatif d'un resserrement supplémentaire, à savoir qu'il ferait entrer en récession une économie américaine déjà malmenée. Cela devrait être une raison suffisante pour que la Fed fasse une pause ce mois-ci.



Traduit de l'anglais par Timothée Demont

1- lauréat du prix Nobel d'économie - Professeur à l'université de Columbia et membre de la Commission indépendante pour la réforme de la fiscalité internationale des entreprises.

2- codirecteur du Center for Economic and Policy Research à Washington, DC