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A court terme,
contrairement aux supputations de certains qui versent toujours dans l'alarmisme,
sans analyses, ni propositions réalistes, il n'y aura pas d'implosion sociale
durant cette rentrée sociale 2021. Mais attention, en cas du maintien de
l'actuelle politique socio-économique, les tensions sont inévitables à horizon
2022/2024. Il suffit d'aller enquêter dans les quartiers d'Algérie et de
recueillir les sentiments des citoyens, loin des bureaux climatisés de nos
bureaucrates, pour constater qu'existe un sentiment d'injustice sociale et de
révolte latente surtout d'une jeunesse désespérée de son avenir.
1- Je recense quatre raisons. Premièrement, l'Algérie n'est pas dans la situation de 1986, où les réserves de change étaient presque inexistantes avec un endettement qui commençait à devenir pesant. Bien qu'en baisse, 194 milliards de dollars au 01 janvier 2014, 48 milliards de dollars fin 2020 et 44 milliards de dollars de réserves, l'Algérie possède encore des ressorts comparée à d'autres pays où l'endettement est très élevé. Certes les banques locales dépassent 45% du total de leurs actifs bancaires avec une dette publique par rapport au PIB de 63,3%, prévue en 2021, contre 53,1% en 2020, et la dette publique nette totale représentera 60,5%, contre 50,4% en 2020, mais avec une dette extérieure faible, 3,6% et 5,2% du PIB en 2021 et 2022, contre 2,3% en 2020, les réserves de change, richesses virtuelles qu'il s'agit de transformer en richesses réelles, si elles sont bien utilisées, pouvant à la fois servir de tampon social. Deuxièmement, vu la crise du logement, le regroupement de la cellule familiale concerne une grande fraction de la population et les charges sont payées grâce au revenu familial global. Mais il faut faire attention : résoudre la crise du logement sans relancer la machine économique prépare à terme l'explosion sociale. Troisièmement, l'importance de la sphère informelle employant plus de 40% de la population active notamment dans le commerce, les services, certains segments de l'industrie, et l'agriculture et contrôlant selon la Banque d'Algérie dans son rapport de 2020, une masse monétaire circulant en dehors du circuit bancaire, de 6140,7 milliards de dinars (au cours de fin 2020 près de 48 milliards de dollars) à la fin de l'année 2020, soit une hausse de 12,93% par rapport à 2019. Le président de la République en mars 2021 a annoncé même 10.000 milliards de dinars soit au cours actuel d'avril 2021, 75,19 milliards de dollars écart énorme étant dû à un système d'information non fiable. Elle freine le développement à moyen terme mais sert comme dans bon nombre de pays d'Afrique de tampon social à court terme. D'ailleurs nous assistons au phénomène égyptien ou bon nombre de fonctionnaires en retraite ou après les heures de travail s'adonnent à d'autres emplois notamment chauffeur de taxi dénotant la détérioration de leur pouvoir d'achat. Quatrièmement, l'Etat, malgré des tensions budgétaires qui iront en s'accroissant, dans les dispositions de la loi de finances 2021, les subventions et transferts sociaux représentant 23,7% du budget général de l'Etat et 9,4% du PIB et certainement ces dispositions seront reconduites dans la loi de finances 2022. Cela concerne les carburants, l'électricité, l'eau, les aides au logement, à l'emploi et les principaux produits de première nécessité. En revanche, à terme il s'agira de cibler les subventions qui généralisées sont insoutenables pour le budget. Ces subventions ont permis aux ménages algériens de réaliser une épargne. Cependant, il suffit de visiter les endroits officiels de vente de bijoux pour voir qu'il y a «déthésaurisation» et que cette épargne est, malheureusement, en train d'être dépensée face au processus inflationniste, en raison de la dévaluation du dinar, de la corruption, des restrictions des importations et de la faiblesse de la productivité interne avec comme incidences la détérioration de leur pouvoir d'achat. Ces ménages sur le fil du rasoir peuvent tenir encore un an, maximum deux ans. A la fin de cette période tout peut arriver. 2- L'Algérie a un répit seulement d'une année à deux ans, ne pouvant restreindre sans relance la machine économique en panne, les importations où entreprises privées et publiques fonctionnent à plus de 85% à partir de matières premières importées, sans compter certains biens de consommation quitte à aller vers la dérive économique et sociale. Il s'agit d'avoir une vision stratégique à moyen et long terme pour éviter les vives tensions sociales que l'on diffère dans le temps, nécessitant entre 2021/2030 un taux de croissance par des entreprises innovantes compétitives au niveau du marché international de 8/9%. Certes, à court terme, cette situation peut être maîtrisable, sous réserve d'une plus grande rigueur budgétaire et d'une lutte contre les surcoûts, le gaspillage et la corruption. Avec la baisse des recettes de Sonatrach qui avec les dérivés représentent 98% des recettes en devises, il est indispensable d'accroître la fiscalité ordinaire : c'est là un exercice difficile sans pénaliser les activités productives et les couches les plus défavorisées. Mais à moyen terme, la solution pérenne est l'accroissement de la production interne, qui permettra la stabilité de la valeur du dinar et la maîtrise du processus inflationniste. Pour cela, s'imposent de profondes réformes structurelles, évitant les replâtrages et les discours populistes, afin d'atténuer les tensions sociales à moyen terme, réformes qui provoqueront des résistances des tenants de la rente, déplaçant d'importants segments de pouvoir, les gagnants de demain n'étant pas forcément ceux d'aujourd'hui. Or gouverner c'est prévoir. La population algérienne qui était de plus de 44 millions d'habitants au 1er janvier 2021 sera d'environ 50 millions en 2030 avec une demande d'emplois additionnelle qui varierait entre 300.000 à 400.000 personnes par an, nombre d'ailleurs sous-estimé puisque le calcul de l'ONS applique un taux largement inférieur pour les taux d'activité à la population féminine, représentant pourtant la moitié de la population active. En projection, à horizon 2030, avec la très forte consommation intérieure, le risque est que l'Algérie sera contrainte de diminuer ses exportations d'hydrocarbures. 3- Il existe deux scénarios pour l'Algérie. Le premier scénario serait le statu quo, vivant de l'illusion d'un retour à un cours du pétrole supérieur à 90/100 dollars et des discours d'autosatisfaction, source de névrose collective, déconnectés des réalités tant locales que mondiales. Ce scénario préparera inévitablement à l'implosion sociale et une déstabilisation de l'Algérie ce qu'aucun patriote ne souhaite. Le second scénario se base sur les conditions favorables de développement de l'Algérie où l'on aura préparé l'après-hydrocarbures par une nouvelle gouvernance, fondée sur un langage de vérité, car l'annonce plus de 2 milliards de dollars d'exportations hors hydrocarbures durant le premier semestre 2021, sur ces 2 milliards de dollars 70% sont des dérivés d'hydrocarbures et des produits semi-finis. Et pour avoir la balance devises nette pour l'Algérie, l'on devra soustraire les matières premières importées en devises et toutes les exonérations fiscales. Dans ce scénario optimiste, réalisable, la politique socio-économique sera fondée sur les segments du savoir en évitant l'instabilité juridique et monétaire, le manque de cohérence et de visibilité. Car, nous pouvons investir autant de milliards de dollars dans les infrastructures ou dans les mines, sans connaître de développement véritable, voire régresser, car s'annonce la quatrième révolution économique dont le couple investissement dans l'immatériel (renvoyant à l'économie de la connaissance) et la protection de l'environnement, avec une transition énergétique et un nouveau pouvoir énergétique mondial horizon 2030. L'on aurait mis fin au gaspillage de la rente des hydrocarbures, de ces dépenses monétaires sans se préoccuper des impacts pour une paix sociale fictive. L'on aurait préparé un nouveau modèle de consommation énergétique reposant sur un Mix dont les énergies renouvelables. L'on aurait réhabilité l'entreprise publique et privée, loin de tout monopole, seule source de création de richesses permanente. Et l'on aurait misé sur l'investissement immatériel qui manque aujourd'hui cruellement à l'Algérie privilégiant la qualité et non la quantité, évitant des universités à fabriquer des chômeurs, non imputable uniquement à l'enseignement supérieur qui hérite du fonctionnement de l'école du primaire en passant par le secondaire et la formation professionnelle. La corruption, source d'une démobilisation générale, serait alors combattue par de véritables contrepoids démocratiques et non pas seulement par des organes techniques. La sphère informelle intimement liée à la logique rentière, produit de la bureaucratie et des dysfonctionnements des appareils de l'Etat qui favorise cette corruption, serait intégrée progressivement au sein de la sphère réelle. Le développement reposera alors sur les piliers du développement du XXIe siècle, tels que la revalorisation du savoir, de l'Etat de droit et une nouvelle gouvernance par la réhabilitation du management stratégique de l'entreprise et des institutions, et par une libéralisation maîtrisée grâce au rôle central de l'Etat régulateur. Le dialogue productif par une réelle décentralisation impliquant la société aurait remplacé les décisions autoritaires. En résumé, reconnaissons qu'avec la rentrée sociale 2021, la marge du gouvernement est étroite, se trouvant face à un dilemme du fait du retard dans les réformes structurelles depuis de longues décennies : soit augmenter les salaires via la planche à billets (financement non conventionnel), la théorie néo-keynésienne de relance de la demande globale à travers l'émission monétaire, résolvant un problème à court terme mais amplifiant la crise à moyen terme, étant inappropriée pour l'Algérie qui souffre de rigidités structurelles (léthargie de l'appareil de production) et se trouve en face d'une spirale inflationniste incontrôlable comme au Venezuela. Car sans réformes, le pays risque la régression, d'autant plus qu'en projection, horizon 2030, avec la très forte consommation intérieure, le risque est que l'Algérie sera contrainte de diminuer ses exportations d'hydrocarbures traditionnels. Ne pas augmenter les salaires, face à un processus inflationniste élevé et la détérioration du pouvoir d'achat, le risque est l'intensification des revendications sociales. La population face aux nombreux scandales financiers exige un sacrifice partagé, que l'Etat et les hommes chargés de gérer la Cité donnent l'exemple, pour la nécessaire cohésion sociale. Il s'agit d éviter de différer les problèmes afin de placer l'Algérie comme pays pivot au niveau de la région méditerranéenne et africaine. Car la structure des sociétés modernes s'est bâtie d'abord sur des valeurs et une morale qui a permis la création de richesses permanentes, comme nous l'ont enseigné les grands penseurs dont le grand sociologue Ibn Khaldoun qui, dans son cycle des civilisations, montre clairement que lorsque l'immoralité atteint les dirigeants qui gouvernent la Cité c'est la décadence de toute société. Ce qui renvoie à l'Etat de droit et à une démocratie dynamique. Il s'agit de revoir l'actuelle politique socio-économique, de rétablir la confiance entre les citoyens et les institutions de la République et de préserver les libertés individuelles et consolider la cohésion sociale. C'est alors seulement que les Algériens vivront leurs différences, accepteront le dialogue productif et auront l'envie de construire ensemble leur pays et d'y vivre dignement. *Professeur des universités, expert international |
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