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"Le monde
arabe a moins besoin du parfum du paradis que d'un grand vent de liberté".Bourhane Ghalioun, écrivain et
politologue syrien
Sauf miracle, le tyran libyen sombrerait inéluctablement dans le même destin que ses pairs égyptien et tunisien. Pour différents qu'ils soient, les despotismes finissent souvent accroupis sur le billard de l'histoire car leurs temps bénis seront comptés dès que l'horloge des changements populaires sonnerait son tocsin. Le conflit libyen est on ne peut plus à l'heure actuelle rentré dans une phase de banalisation inimaginable. Mais ce qui est inquiétant est que cette forte impression de normalité qui s'en dégage tend à devenir un postulat inébranlable au niveau international. Les médias européens et américains n'en parlent que très peu contrairement aux premiers temps et la gravité de la situation est reléguée en second plan des préoccupations du monde occidental. En effet, la crise libyenne est dans son épure et ses distorsions d'une complexité inédite, les configurations révolutionnaires régionales au moment actuel sont en rupture de prédictibilité dans la mesure où d'une part, la multiplication de foyers de tension au Proche Orient plus particulièrement en Syrie et au Yémen et la dernière liquidation du leader d'Al-Qaïda ont changé le cours des choses, déstabilisé l'équilibre de forces et décentré les centres d'intérêts des puissances occidentales. D'autre part, plus rien ni personne ne pourrait prédire ni encore moins garantir la fin de la crise libyenne sans entrevoir entre ses plis le fantôme de la partition du pays, schéma classique qu'emprunte généralement ce type d'intervention militaire au forceps. Ce constat est en premier lieu saisissant puisqu'il nous révèle le sens et le mystère des sorties fracassantes du guide libyen, son outrecuidante assurance et son défi solennel à l'O.T.A.N en dépit des dommages collatéraux causés par le bombardement de ses troupes, ses sites militaires et le mort de son fils cadet "Saif-al Arab" dans l'un deux en début du mois de mai. Le gîte de la famille Kadhafi à Bab Al-Azizia semble être ciblé par les forces de l'Atlantique même si des démentis catégoriques ont été fournis à l'appui du sens contraire car le guide s'y trouve et n'a pu sauver sa peau qu'à la dernière minute et à la grande surprise générale. En fin tacticien, le despote libyen a compris que sans intervention terrestre intensifiée, les forces de l'O.T.A.N n'iraient pas loin dans leur mission. Or ces dernières le savent pertinemment mais n'ont toutefois pas le droit de transgresser la résolution onusienne de 1973 interdisant toute tentative de redéploiement militaire terrestre en vue d'occupation du sol car les bourdes des forces américaines et anglaises qui ont agi en dehors de la légalité internationale pour envahir l'Irak en 2003 restent toujours ancrées dans les esprits. Dans un autre contexte, l'union africaine et la ligue arabe, deux organisations régionales défaillantes à plus d'un titre en raison de leur échec à résoudre des conflits de basse intensité qui les concernent directement au niveau interétatique et continental, ont juste au tout début des opérations militaires soutenu sous réserve l'instauration de zone d'exclusion aérienne afin de préserver la vie des civils et permettre ainsi l'isolation et la neutralisation du clan Kadhafi, mais ces derniers temps, elles ont manifesté une certaine volonté de se rétracter du fait du vacillement de la position des occidentaux et l'ambiguïté de leurs intentions. Plus inquiétante encore est cette rente énergétique, source de toutes les malédictions du monde arabe; un atout régalien de taille dont dispose le tyran libyen qui fait craindre le pire dans la mesure où elle lui a permis, par le passé de financer ça et là ses expéditions militaires dans les confins de l'Afrique noire et mettre en branle sa machine de guerre et qui, dans les circonstances actuelles l'aide à lutter, survivre et continuer de sévir contre les populations civiles. Il y a cependant fort à parier que le contrecoup révolutionnaire subi par le clan Kadhafi diminue à moyen terme ses capacités de nuisance même si le général major des forces coalisées "Mike Mullen" aurait déclaré en début de mois d'avril dernier que la force de frappe du tyran n'avait réellement été réduite que de 20 à 25%. C'est dire, les ressources énergétiques gigantesques et les dépôts d'armes que recèle le cartel Kadhafi ont incontestablement paré aux 200 missiles Tomahawks et aux 12 Scalp lancées par les forces de l'Atlantique jusqu'à fin avril. D'où il découle que, dans ce climat de turbulences, la stabilité relative du voisin algérien est de mise dans le dessein apparent de mettre le grappin sur toute la région et garantir de la sorte une certaine harmonie régionale surtout que la phase de transition en Tunisie risque de prendre encore du temps, les accusations larvées du soutien logistique au régime Kadhafi par le pouvoir d'Alger qu'ont proférées les membres du C.N.T sont à cet égard révélatrices de la suspicion générale qui règne sur tout le Maghreb à l'ère du déboulonnement des oligarchies gouvernantes. Notons au passage que les autoritarismes des pays du sud ont, de tout temps, été encouragés par les pays occidentaux du nord parce que d'une part, ils servent leurs intérêts et d'autre part, ils écrasent les sociétés civiles émergentes, source de la réelle souveraineté populaire et parent aux fanatismes religieux menaçants à même de remettre en cause leur mainmise en garantissant une certaine "normalisation autoritaire". Outre ces données synoptiques sur la région, d'autres réalités attirent vraiment l'attention Il est à rappeler en ce sens que dans cette dernière campagne militaire, des divergences outrageantes ont vu le jour entre le couple franco-britannique et les forces américaines. Les français craignent les retombées financières d'une telle opération et se plaignent du manque de munition et de ravitaillement vu que les américains veulent s'en désengager à moyen terme, à ce titre, le vice président Joe Biden aurait déclaré au Finanacial Times le 19 avril dernier que l'O.T.A.N pourrait se passer des États Unis qui sont à ses yeux plus utiles sur d'autres plans qu'en Libye, c'est -à-dire en Irak, en Afghanistan, au Pakistan et en Corée du Nord. Les américains, paraît-il, ont les yeux partout mais ne pourraient pas se consacrer au seul cas de la Libye. Dans cette perspective, il convient de mettre en relief le fait qu'un certain départage d'espaces d'influence entre les américains et les européens semble se profiler à l'horizon. L'agitation du président Sarkozy pour drainer les foules à l'approche des élections présidentielles prévues en 2012 en redorant son blason et son intention de rendre visite en compagnie du premier ministre britannique David Cameroun à Benghazi foyer de dissidence à la tyrannie de Kadhafi, suite à l'invitation du président du C.N.T Moustapha Abdeljalil en fin d'avril dernier découle bien de cette stratégie. D'où la forte inquiétude de la France et de la Grande Bretagne d'être délaissées seules dans le bourbier libyen et surtout leurs appels incessants d'aide en direction de l'oncle Sam, chose que le président Obama aurait décrypté à temps en ordonnant aux forces de la C.I.A l'acheminement rapide d'armes via l'Égypte, désormais délestée de son despote, à la rescousse des révoltés de la Cyrénaique et de Benghazi. Déjà en même temps, les forces de la coalition, qui rappelons-le bien , sont fragiles vu que seulement 6 des 28 pays composant l'O.T.A.N participent à cette opération militaire contre Kadhafi, ont envisagé de livrer directement des armes aux rebelles libyens, un substitut astucieux de leur présence au sol, afin de créer, semble-t-il, un rapport de force favorable et avantageux entre les deux parties belligérantes, chose qui n'est, par ailleurs, pas incluse dans la résolution onusienne de 1973. En effet, les positions occidentales sont souvent ambivalentes, contradictoires et pleines de failles en tout ce qui a trait aux pays de sud et plus particulièrement les pays arabo-musulmans et africains, le philosophe français Régis Débray en laisse cette réflexion pertinente dans son ouvrage intitulé " un mythe contemporain: le dialogue des civilisations" "Ne voit-on pas le "deux poids, deux mesures" occidental, qui sait fort bien distinguer, parmi les résolutions obligatoires des Nations-Unies, celles qui doivent s'appliquer et celles qui doivent s'oublier, s'accompagner de sermons sur l'universalité des Droits de l'Homme ?". Ces grosses palinodies et ces graves dérives dans les positions des forces de l'O.T.A.N ont rendu de plus en plus inquiètes la Chine et la Russie deux puissances titulaires du droit de véto qui restent pour le moins que l'on puisse dire hostiles avec le Brésil à cette intervention militaire et qui doutent fort de volonté sournoise d'ingérence des occidentaux au Maghreb. Ainsi, le correctif fallacieux de la démocratie semble avoir pris un véritable coup de vieux suite aux nombreuses frasques qu'ont déjà commises les forces de l'O.T.A.N au Kosovo dans les années 90. En revanche, les lignes de fractures se dessinent entre le duo franco-britannique d'un côté et les américains de l'autre sur les enjeux stratégiques d'une telle campagne militaire qui, contre toute attente, a échoué de faire tomber l'indéboulonnable le dictateur du Tripoli de son piédestal après plus de trois mois de déclenchement des hostilités. Kadhafi s'est en fait paré des oripeaux du matamore infaillible à l'encontre de son peuple et menace toujours de recourir aux services des combattants tchadiens, touregs, maliens et soudanais pour installer un climat de terreur parmi la population, la face de dictateur reste jusqu'à l'heure actuelle à moitié raturée et le C.N.T fragilisé et déstabilisé est loin de prouver ses performances à l'oeuvre surtout que les forces rebelles reculent sur les terrains gagnés au début de l'insurrection, les temps des désenchantements et des déceptions ont apparemment commencé. On voit bien ce qu'il y a de commun entre toutes ces révoltes du monde arabe: "la rue" est en fait devenue plus chauviniste, plus nationaliste et plus enracinée dans la réalité que toutes les sphères dirigeantes réunies. En témoigne cette prise de conscience consensuelle sur la nécessité d'aller de l'avant, voir ailleurs, chercher des alternatives et baliser le terrain pour des transitions démocratiques qui, semble-t-il, sont plus dures que l'on imagine. D'où cette peur habituelle de régresser et de revenir à la période pré révolutionnaire. Le problème crucial dans le monde arabe; c'est qu'il n'y a pas des alternatives fiables et viables aux régimes en place, Kadhafi, Ali Abdallah Salah, Assad et consorts ont compris cette faille et l'ont savamment entretenu en leur faveur, les sociétés civiles sont phagocytées par le grippage des appareils parasitaires des oligarchies, l'image messianique, providentielle et irremplaçable du chef continue de saper l'idée de floraison de forces sociales parallèles, les masses ont pendant longtemps vécu sous nombre de poncifs tout autant réductionnismes qu'étriqués sur leur soi-disant incapacité à emprunter les chemins de la liberté sans les béquilles tutélaires des Zaims, guides ou chefs. On constate que l'usage du mot "rue" en lui-même n'est point hasardeux dans la mesure où dans la conception occidentale postcoloniale, les masses arabes sont des ensembles hétéroclites, désorganisés et atomisés à outrance. Le penseur Edward Said (1935-2003) dans ses différents ouvrages notamment "la culture de la résistance" y a fait plusieurs fois allusion. Dans ce contexte, les fameuses théories taillées de toutes pièces d'improvisation de la rue arabe, de son spontanéisme et de l'idée saugrenue du conspirationnisme international sont intelligemment mis en avant par les médias occidentaux afin de jeter le discrédit sur la maturité des élites arabes, l'hyperorganisation des révoltes et la force de proposition des masses l'ayant mené à bout. D'où ces comparaisons récurrentes et dénuées de fondement sociologique avec la révolution américaine et française, parallélismes dans lesquels les élites européennes refusent de donner le caractère original et exceptionnel au printemps des peuples en minimisant outrageusement ces soubresauts populaires. C'est en quelque sorte, comme si l'histoire s'était écrite en marge de ces peuples alors qu'actuellement la réalité sociopolitique dans toute l'espace arabo-musulman a mis en charpie tous les mythes discréditeurs et exogènes construits à leur insu, dans l'ignorance de leur biosphère politique et à son détriment. Les grilles de lecture fantaisistes, les représentations stéréotypées, empreintes de présupposés culturalistes réducteurs sont catégoriquement battus en brèche par cette mobilisation citoyenne énorme et ce brutal surgissement de l'action révolutionnaire concertée entre les masses et la société civile. On pourrait même dire, sans risque de tomber dans le lyrisme ou le panégyrisme que par ce printemps-là, le monde arabe a inauguré un nouveau cycle de l'évolution humaine. Comparaison n'est pas raison, dit-on car le modèle tunisien est unique en son genre, si l'Algérie fut la capitale des luttes anticoloniales au milieu des années 60-70, la Tunisie actuelle serait immanquablement la capitale mondiale par excellence de lutte contre les despotismes. Sa révolution est loin d'être spontanée, elle est savamment encadrée, l'intelligentsia y est engagée et les masses résolues à en finir avec les restes mortuaires du despotisme. En ce sens, elle n'est plus un décalque d'une quelconque révolution mais a puisé ses ressources dans les ressorts dynamiques de son bildung social. C'est une révolution somme toute, iconoclaste, une révolution-paradigme. Cela dit, en dépit de l'absence d'oppositions structurées, de défaillance de repères matriciels bien clairs et de leadership aussi apparent qu'expressif, le souffle révolutionnaire arabe a pu facilement gravir les cols inaccessibles des dictatures et aspirer leurs racines comestibles. En Libye, le climat de "bédouinocratie" pour reprendre le mot de "Luis Martinez", a été à bien des égards le cheval de Troie du trublion Kadhafi, ses fureurs de despote totalitaire ont dépassé les bornes de l'admissible et les derniers massacres qu'il a commis ne sont pas près d'entamer son règne de 42 ans. On pourrait sans doute en dire autant de tous les dirigeants arabes inamovibles, celui du Yémen 32 ans, de la dynastie de Syrie, du Bahreïn, et de l'Arabie Saoudite.etc. Mais ce qui est davantage significatif, ce sont ces ressemblances incroyables dans les dynamiques protestataires à l'issue desquelles quelques uns des fameux despotes ont été destitués au pied levé. On dirait une prophétie divine auto-générée qui s'est abattue d'un seul coup sur un espace vacillant en voie d'amortissement civilisationnel. Les événements de Tunisie et de l'Égypte ont selon le terme de "Lahouari Addi" détruit les conditions psychologiques de l'autoritarisme dans la mesure où les régimes gérontocratiques sont en total déphasage avec les réalités des pays arabes dont 45% de la population sont des jeunes de moins de 25 ans et ont perdu de la sorte la confiance en leur pouvoir répressif, régressif et destructif. Ce facteur essentiel de la jeunesse est une donnée mal digérée par les nomenclatures archaïques soudées à leurs lustres et avantages. Ce qui a réussi ipso facto à mobiliser toutes les forces vives à leur encontre. Ainsi pourrait-on dire que l'avatar libyen ne fait qu'attendre son déclin et son heure car les peuples ont décidé une fois pour toute " plus jamais ça!!!". |
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