C'est
un slogan fataliste algérien : «Il n'y a pas de leaders pour mener le changement». Un autre faux proverbe veut que
«sans Bouteflika, qui pourra gouverner ce pays ?». D'où
la question de fond : est-ce vrai qu'il n'y a pas de leaders algériens pour
mener l'Algérie vers le meilleur ? Cette terre est-elle devenue stérile après
la génération 54 ? Sommes-nous coincés entre les vieux et le rien ? Réponse : non.
On ne fait que se fermer les yeux pour ne pas voir que ce pays a encore la
possibilité d'enfants qui peuvent enfanter d'un pays. De nouveaux leaders
légitimes propres et sincères existent. Sauf que, d'un côté, le Pouvoir ne leur
permet aucune visibilité et que, de l'autre, le peuple assis continue de dire
qu'ils n'existent pas parce qu'il ne les voit pas à la télé. Exemple : Qui a
bougé, mis à part quelques dizaines de personnes, quand deux leaders du
mouvement des étudiants algériens non affilés au régime, ni aux fichiers des
indicateurs, ni aux partis, de vrais leaders, se sont fait exclure de
l'université algérienne par pur abus de pouvoir, il y a quelques jours ? Qui a
bougé ou serré la main, mis à part quelques centaines, à Touat, la chômeuse de
Mostaganem quand elle s'est fait inculper pour avoir dénoncé sa condition de
chômeuse ? Qui dit un mot pour les représentants des chômeurs algériens
lorsqu'ils se font tabasser, arrêter, interpeller ou harceler ? Personne. L'Algérie
n'est pas un tuyau mais une âme : elle n'échappe pas au « printemps » ni à
l'histoire du monde. Il y existe des mouvements sociaux, des leaders sincères
et combatifs, des hommes de bonne volonté mais le confort de la paresse pousse
à ne pas les voir, les aider, les soutenir ou les suivre. C'est la solitude des
meilleurs hommes de 54, à l'époque où le peuple algérien était une hypothèse et
un espoir.
D'ailleurs,
le Pouvoir l'a bien compris : depuis quelques semaines, la chasse est ouverte
contre ces gens-là, contre les possibles leaders de demain. Arrestations, exclusions,
harcèlement et pressions. Le système tolère, avec calcul, les vieux opposants, déjà
sans poids, assimilés ou marqués par le compromis et la compromission, mais
surveille avec peur les nouveaux qui échappent à ses vigilances et ses
manipulations. Les « vieux » opposants sont connus, peu capables de mener à
bien la révolution, utilisables pour la « plomber », mais les nouveaux sont
dangereux, car ils sont crédibles, pauvres, intraitables et capables de
meilleures mobilisations. Le système veut de vieux opposants, de l'âge du
système lui-même et de sa gérontocratie : la plus grave menace vient donc de
l'âge de l'adversaire. Le système sait qu'un jeune peut chasser les colons ou
leurs remplaçants, avec courage, vigueur et sacrifice. Ce n'est pas le cas des
vieux, qu'ils soient élus, désignés, opposants ou de service. En Algérie donc, la
chasse est ouverte et la répression ne fait que
commencer. Pour reprendre une image que le chroniqueur a déjà utilisée, c'est
un vieux pharaon qui a fait le rêve de sa mort par les mains d'un nouveau-né. Du
coup, toutes les moukhabarates sont instruites de
surveiller les nouveau-nés et de les tuer au berceau. On connaît tous la suite et comment cela ne servit à rien. Tuer les
nouveau-nés n'arrête pas le destin. Emprisonner des jeunes à Ouargla parce
qu'ils ont voulu s'immoler en est un aspect des plus surréalistes de cette
chasse. Un jour ou l'autre, un Algérien réussira à réveiller ce peuple et à
chasser, encore une fois, les colons.