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La
crise financière qui a éclaté en 2008 n'est toujours pas dépassée. Malgré les
formidables injections monétaires opérées par la Réserve fédérale américaine
(Fed) que l'on peut assimiler à la Banque centrale des Banques centrales du
monde, contrairement au surnom donné à la Banque des règlements internationaux
(BRI), puisque c'est la Fed qui a donné, par ses programmes d'assouplissement
monétaire non conventionnel ou «quantitative easing»
(QE1, QE2, QE3, et l'opération Twist), le feu vert aux autres Banques centrales
occidentales d'opérer leur QE.
C'est ainsi que la Banque centrale européenne (BCE), la Banque d'Angleterre (BoE) et la Banque du Japon (BoJ) ont, à leur tour, procédé au lancement conjoint de quantitatives easing. Les dénominations certes diffèrent, mais le principe de lutte contre la crise financière est pratiquement le même. Le programme QE pour le la BoE, le SMT, LTRO, OMT et QE (depuis 2015) pour la BCE, les Abenomics pour la BoJ. Pourquoi, malgré ces formidables injections, l'économie mondiale peine, depuis 2008, à sortir de cette situation de stagnation ? D'autant plus que la Fed a mis fin au dernier programme QE3, en septembre 2014. La fin du QE3 américain a coïncidé avec le retournement du marché pétrolier. Le prix du pétrole est passé de 115 dollars le baril, en juin 2014, à environ 60 dollars, en décembre 2014. Comment comprendre cette évolution de l'économie mondiale ? Quels sont les facteurs macroéconomiques qui ont commandé ce double retournement depuis la crise financière, et les sept années d'injections monétaires par les QE, et depuis l'été 2014, la crise pétrolière ? Y a-t-il une relation de causes à effet entre ces deux crises ? Comment comprendre cette évolution ? Et surtout quand commencera-t-il le cours du pétrole à remonter ? D'autant plus que les plans d'austérité en Occident depuis 2008 et qui s'étendent au reste du monde, conjugués à la chute des cours du prix du pétrole sont en train d'affecter fortement la demande mondiale, et donc la croissance mondiale. Les années 2018-2019 nous apparaissent une période charnière pour l'avenir du monde. Le scénario à venir d'emblée nous pouvons le formuler. Soit des crises économiques qui se suivent sur deux ou trois années, comparables aux crises en cascades des années 2001 à 2002, et ensuite une forte remontée des cours pétroliers, soit une crise économique qui part de nouveau des États-Unis et s'étend au monde. Et de nouveau une forte remontée du prix du pétrole ? Se rappeler que le Brent a atteint 125 dollars, au mois d'avril 2011 et l'once d'or a atteint cinq mois plus tard, en septembre 2011, un sommet historique à 1921, 15 dollars US -pour contrecarrer la dépression qui ne manquera pas de souffler sur le monde, dans les deux années à venir. C'est à ces questions que l'auteur, dans cette analyse qui reprend l'histoire économique du monde, tente d'apporter des précisions sur la situation économique à venir. Qu'il faudrait qualifier en «puissance», i.e. qu'elle a toutes les chances pour se réaliser. 1. Historique des dettes publiques de la France, des États-Unis et du Japon de 1870 à 1950 Prenons pour les besoins de l'analyse un pays d'Europe, la France. Une estimation de sa dette publique en % du PIB (1) donne des ratios d'environ 50% en 1870, 110 % en 1880, 120% jusqu'à 1895, pour baisser, à compter de cette date, et atteindre 60% en 1914. La dette publique remonte à 90% en 1915, 175% en 1922, pour baisser à 70% en 1926. De nouveau, elle remonte à 80% en 1930, 200% en 1937, pour descendre à 95% en 1940. En 1945, elle culmine à 200%. La fin de la guerre entraîne une chute de la dette qui atteint 60% en 1947, 35% en 1950. Qu'en est-il de ces fortes hausses et baisses de la dette publique de la France, de 1870 à 1950 ? La première cause de la forte augmentation de la dette publique de la France fut la guerre franco-prussienne en 1870. La défaite française, les réparations de guerre à verser à la Prusse (5 milliards de francs or) -l'Unification de l'Allemagne, il faut le rappeler, a été proclamée au château de Versailles (France), le 18 janvier 1871- et le réarmement pour protéger ses colonies d'outre-mer (Afrique, Asie, Amérique du Sud et Pacifique) face à la menace de l'empire allemand, ont été à l'origine du gonflement de la dette publique de la France. Si la dette a commencé à baisser, à partir de 1895, c'est suite à une consolidation de l'économie française durant les 25 années qui ont suivi la guerre avec la Prusse et une conjoncture économique favorable. La dette publique a atteint 60%, en 1914, le taux d'inflation était égal à 0%, à cette date. (2) Le déclenchement de la guerre à la fin du mois de juillet 1914 va bouleverser complètement la France. Le financement de l'effort de guerre devenu impératif imposera à la Banque de France de mettre toutes les liquidités nécessaires à la disposition de l'Etat français. La dette publique de nouveau augmente fortement et atteint 100%, durant les années de guerre. Evidemment l'usage prolongé de la «planche à billet» fera exploser l'inflation. En 1918, le taux d'inflation atteint 29,2 %, et 39,5 % en 1920. (2) En 1922, avec le financement de la reconstruction, la dette publique atteint 175%. Grâce à l'inflation et l'effacement de la dette (destruction des bons de Trésor français auprès de la Banque de France), la dette de nouveau baisse et atteint, en 1927, 80%. La crise de 1929 qui éclate aux États-Unis et s'étend au reste du monde, entraînant la Grande Dépression des années 1930, va changer les donnes en Europe. La dette publique de la France explose. Elle passe de 80% en 1930 à 200%, en 1937. Le recours à l'emprunt par les pouvoirs publics force la Banque de France de faire fonctionner la planche à billet pour fournir les liquidités nécessaires au soutien de l'économie. La Deuxième Guerre mondiale éclate en 1939, la dette publique s'envole. De 95% en 1940, elle passe à 200% en 1943, 60%, en 1947, 35%, en 1950. (3) Ceci étant pour la France, qu'en est-il de la dette publique des États-Unis. Un graphique d'un média français nous présente l'évolution de la dette publique américaine et du Japon. On constate pour les États-Unis, que si la dette publique américaine a explosé durant la guerre de Sécession, elle a ensuite fortement baissé pour atteindre 10% du PIB en 1880. En 1914, la dette américaine est nulle. En 1918, elle s'établit à 30% du PIB. De 20% en 1930, elle remonte à 40% en 1939. Durant la guerre 1940-1945, la dette publique explose pour atteindre 120%. Comme la France, la dette publique américaine sera réduite par l'inflation et l'effacement de la dette (destruction des bons de Trésor américains auprès de la Fed). Au milieu des années 1960, elle s'établit à environ 50% du PIB. Pour le Japon, la dette publique était de 30% du PIB en 1890, 20% en 1900, 70% en 1908, 20% en 1920, 60% entre 1930 et 1939. La première cause de l'augmentation de la dette dans les années 1900 est liée à sa militarisation et à la guerre contre la Russie. Quant à la seconde cause, c'est le financement de l'effort de guerre durant la Deuxième Guerre mondiale qui a fait exploser la dette publique du Japon. En 1945, elle était de 200% du PIB. Après l'occupation en 1945 par les États-Unis, la dette publique du Japon passe directement à 0%. L'économie japonaise est entièrement gérée par les Américains. Pour avoir une meilleure vision de l'évolution des dettes publiques occidentales, mentionnons une analyse de l'historien économiste Thomas Piketty : «La palme de l'amnésie revient quant à elle à l'Allemagne, avec la France en fidèle second. En 1945, ces deux pays avaient une dette publique dépassant 200% du PIB. En 1950, elle était tombée à moins de 30%. Que s'est-il passé, aurait-on soudainement dégagé les excédents budgétaires permettant de rembourser une telle dette ? Évidemment non : c'est par l'inflation et la répudiation pure et simple que l'Allemagne et la France se sont débarrassées de leur dette au siècle dernier. S'ils avaient tenté de dégager patiemment des excédents de 1% ou 2% du PIB par an, alors on y serait encore, et il aurait été beaucoup plus difficile pour les gouvernements de l'après-guerre d'investir dans la croissance. Ce sont pourtant ces deux pays qui expliquent depuis 2010-2011 aux pays d'Europe du Sud que leur dette publique devra être remboursée jusqu'au dernier euro. Il s'agit d'un égoïsme à courte vue, car le nouveau traité budgétaire adopté en 2012 sous la pression de l'Allemagne et la France, qui organise l'austérité en Europe (avec une réduction excessivement rapide des déficits et un système de sanctions automatiques totalement inopérant), a conduit à une récession généralisée en zone euro. Alors même que l'économie est repartie partout ailleurs, aux Etats-Unis comme dans les pays de l'Union européenne restés au dehors de la zone euro. » (4) 2. Les crises monétaires des années 1970, un «tournant majeur» pour l'économie mondiale A partir de 1950, la dette publique de la France décroît presque sans interruption ; elle atteint 15% en 1970. Augmentant légèrement en 1974, elle passe à 20%, puis décroît à 15%, en 1975, croît de nouveau à 20% en 1980. (1) Evidement les fluctuations de la dette publique paraissent faibles, et on peut penser qu'elles n'ont pas un grand impact sur l'économie de la France. Que l'économie de la France se porte bien, comme d'ailleurs les autres économies européennes, l'économie américaine et japonaise. En réalité, les années 1970 ont constitué un tournant majeur tant pour l'Occident que pour le reste du monde. Mais comment le comprendre et quel impact a-t-il sur l'économie mondiale ? Il faut rappeler les accords de Bretton Woods de juillet 1944 qui avaient institué le Gold-Exchange Standard (GES) fondé sur une seule monnaie, le dollar américain : toutes les monnaies étaient définies en dollar et seul le dollar est défini en or. Les pays européens qui sortaient très affaiblis de la guerre ne pouvaient se prévaloir de convertibilité de leurs monnaies. Ils avaient besoin de se reconstruire et se mettre à niveau pour se rehausser sur le commerce mondial. Une tâche à laquelle les États-Unis ont beaucoup contribué, notamment par des aides matérielles et financières (effacement d'une partie des dettes), un plan Marshall généreux mis sur pied en 1947 a beaucoup aidé l'Europe. Le Japon a été beaucoup aidé surtout depuis l'avènement de la Chine communiste, en 1949, et la guerre de Corée (1951-1953). L'objectif était de faire barrage, via le Japon, la Corée du Sud et d'autres pays asiatiques, à la propagation de l'idéologie communiste. Evidemment, de toutes ces aides octroyées à leurs alliés, les États-Unis ont retiré aussi un grand profit. En effet, sans ces aides, ces effacements de dettes publiques, ce plan Marshall, la situation économique américaine aurait été catastrophique. Ce sont précisément les débouchés de leurs alliés et les aides octroyées que les États-Unis ont pu maintenir leur appareil de production en marche, évitant ainsi à des millions d'Américains le chômage. Mais la situation d'après-guerre va évoluer, les pays d'Europe qui se sont reconstruits ont rétabli, pour la plupart, la convertibilité de leurs monnaies en 1958. Le système Bretton Woods de 1944 qui faisait du dollar le centre du système, en tant qu'il était adossé à un prix fixe de l'once d'or, et librement convertible en or, a garanti la stabilité de chaque monnaie par rapport à cet étalon. Ce qui a permis des échanges internationaux équilibrés sans heurt sur le plan monétaire et une croissance économique occidentale et mondiale durable. Mais, la situation à la fin des années 1960 va se détériorer par une détérioration de la valeur or du dollar. Les États-Unis, ayant perdu beaucoup d'or, n'étaient plus en état de satisfaire la demande de conversion des dollars en or présentés par les pays européens qui détenaient de quantités considérables de dollars. En particulier, la République fédérale d'Allemagne qui enregistrait des excédents commerciaux incessants avec les États-Unis. Ce qui provoqua des dérapages dans la discipline monétaire et, à l'issue, des crises monétaires entre l'Europe et les États-Unis. Le 15 août 1971, devant la faiblesse de leur stock d'or et les persistances des pays européens pour convertir leurs dollars en or, les États-Unis annoncent la suspension complète de la convertibilité du dollar en or, la mise en place d'une surtaxe de 10% sur les importations et des allègements fiscaux pour des investissements internes. La guerre monétaire et commerciale, à cette époque, était à son sommet dans le monde occidental. Face à l'offensive américaine, les gouvernements européens, pour la plupart, laissaient flotter leurs monnaies sur les marchés et lorsque, la baisse du dollar menaçait trop les exportations nationales, ils faisaient intervenir des «fonds de stabilisation». Les statuts du FMI n'étaient plus respectés. Des négociations s'imposaient pour les modifier et mettre en place un nouveau système monétaire international. Les plus touchés par la surtaxe de 10% furent les deux plus importants partenaires commerciaux des États-Unis, i.e. le Japon et la RFA. Menacés de récession par la baisse de leurs exportations, ils étaient particulièrement sensibles aux pressions fiscales américaines. A l'entrevue des Açores (le 13 et 14 décembre 1971), les présidents Nixon et Pompidou fixent les bases d'un accord que le club des Dix (les Six d'Europe, la Grande-Bretagne, les États-Unis, le Canada et le Japon) entérine et précise quatre jours plus tard, lors de la Conférence de Washington, les 17 et 18 décembre 1971. Cet accord dit aussi du Smithsonian Institute rétablit le dollar dans sa fonction de monnaie d'intervention généralisée. Mais le dollar est dévalué de 7,89% par rapport à l'or -l'once d'or fin est à 38 dollars-, la convertibilité du dollar en or n'est pas rétablie. Toutes les autres monnaies sont réévaluées par rapport au dollar. Le système des parités fixes est rétabli, mais la marge de fluctuation autorisée est portée de 1% à 2,25% en plus ou moins par rapport au dollar. Et la marge de fluctuation des autres monnaies par rapport au dollar au sein du SMI est portée de part et d'autre à 2,25%. Simultanément, les écarts entre deux monnaies autres que le dollar peuvent atteindre 4,5%, et d'un jour à l'autre 9%, par référence au dollar (cumul des marges). Les nouvelles marges de fluctuation autorisées ne pouvaient satisfaire l'organisation interne de la communauté européenne, dont les écarts risquaient de se creuser entre les monnaies européennes et menacer tout le système des échanges, en avantageant, par les variations trop importantes des parités, les exportations des uns par rapport aux autres. C'est ainsi que, pour maintenir le système des prix agricoles communs et assurer une situation d'égale concurrence entre les pays membres de la CEE, et après avoir consulté les quatre pays qui devaient entrer dans la Communauté le 1er janvier 1973 (Royaume-Uni, Irlande, Danemark, Norvège), les six États de la CEE créent au printemps 1972, par les accords de Bâle, le «Serpent monétaire européen». Celui-ci réduit de moitié les marges de fluctuation entre les monnaies européennes, faisant passer les 4,5% autorisés à 2,25% en tout, i.e. plus ou moins 1,125% entre deux monnaies (écart qu'elles ne doivent pas dépasser). Le 24 avril 1972, tous ces accords sont appliqués. Le serpent évolue à l'intérieur du tunnel imposé à l'ensemble des monnaies du monde occidental. Les accords de Bâle retirent aussi au dollar son rôle de monnaie de compte dans la CEE. Il est remplacé par l'unité de compte (UC) définie par 1/3 d'once d'or fin. Il apparaît vite que les décisions prises à Washington et à Bâle ne peuvent stabiliser la situation monétaire. La livre sterling et la lire sont hors du «serpent monétaire». Dès 1972, la livre sterling est attaquée par la spéculation, les prix intérieurs montent plus rapidement que ceux des autres pays, la balance commerciale s'est détériorée et le Royaume-Uni ne peut rembourser ses dettes au FMI ni ne peut se maintenir à l'intérieur du tunnel. Le 23 juin 1972, le gouvernement britannique décide de laisser flotter la livre sur les marchés de change. En janvier 973, l'Italie, se trouvant dans une situation analogue à celle du Royaume-Uni, institue un double marché des changes, avec une lire commerciale qui respecte les marges de fluctuation autorisées, mais une lire financière qui flotte, sortant à la fois du serpent et du tunnel. A suivre... *Auteur et chercheur spécialisé en économie mondiale, relations internationales et prospective. |
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