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Le mois de mai fut riche, cette année, en commémorations, celle du 8 Mai
45 et celle du19 Mai, entre autres rappels de notre histoire nationale, ainsi
de nombreux hommages å nos compatriotes disparus, durant la guerre de
Libération. On ne saurait établir une hiérarchie des horreurs et des crimes
commis par la puissance coloniale, mais il n'est pas inutile d'évoquer un
épisode qui a marqué, å tout jamais, les citoyens de Tlemcen ; un épisode
néfaste pour les détenus des camps de torture, ceux du Dop ( ?Dar el genenar'
), la caserne du Mechouar (appelée caserne Gourmala , du nom de l'éponyme
ottoman), le camp de 'Attar' sur le Plateau de Lalla Setti (réservé, en partie,
å la Légion étrangère), la villa « Ghozi » å El-Kalaa supérieur , Dénommée
El-Jelissa pour les intimes ( fief de la DST), sans oublier le Deuxième Bureau
de Saf-Saf ( réservé å la police militaire). On peut imaginer le carnage qui
s'y pratiquait, de jour comme de nuit. Je n'évoquerai que l'un de ces lieux de
supplice, que je connais, particulièrement, pour y avoir séjourné (du 5 mai,
mon jour d'anniversaire, au 21 juin 1958) comme tant d'autres jeunes, dont une
bonne partie de lycéens du Collège de Slane et du Lycée franco-musulman de
Tlemcen. Au terme de notre « stage », nous pouvions rejoindre la Maison d'arrêt
(?habs-el-Qasba') après la parution devant le juge du parquet qui délivre le
procès-verbal d'incarcération. Pour ceux qui ont obtenu l'accès à la prison
civile, et qui relèvent, désormais, des instances judiciaires, c'est un
soulagement immense, car on échappe, désormais, aux griffes de la police civile
ou militaire, auprès de laquelle, jusque-là, vous n'existiez pas,
administrativement. Les tortionnaires pouvaient vous faire disparaître sans
autre forme de procès. Ceux qui avaient, comme moi, la chance de franchir le
seuil de la prison, n'avaient aucun état d' âme, quant au verdict å venir, car,
quelle que soit la sentence (sauf en cas de peine capitale, cas rarissime à
partir de la 5ème République, pour les détenus, sous contrôle judiciaire qui
relevaient de la juridiction des mineurs, information recueillie auprès de mon
avocat), on savait, qu'un jour ou l'autre, nous allions être indépendants.
En revanche, beaucoup parmi nous, qui n'ont pas connu le privilège de l'incarcération judiciaire, ont été sauvagement exécutés à l'occasion de la « corvée de bois ». Le motif officiel était la tentative de fuite durant une enquête de police extra-muros. Nombreux étaient exécutés, moins en raison de la gravit? de leur dossier, que parce que le flic chargé d'instruire l'affaire n'arrivait pas å boucler son rapport (par flemme ou par incompétence.....) car il y allait de son avancement professionnel. Il y a eu, cependant des contextes horribles d'exécutions collectives, qui ne relevaient pas du bon-vouloir du flic de service, mais étaient décidées, en haut lieu, notamment par l'Etat-major du Secteur. C'est ce qui s'est passé au cours de la nuit du 25 au 26 mai 1958. Tlemcen recevait la visite de Jacques Soustelle venu pour proposer la « Paix des braves » dans une conférence tenue au ?Grand Bassin' où le peuple a été ramené de force, à grand renfort, par l'armée pour l'écouter. L'écho des hauts parleurs parvenait jusque dans nos cellules, grâce å la proximité des lieux ( ?le Bastion 18' se trouve à 300 m, å peine, du ?Grand Bassin'). Une grenade lancée, à l'aveuglette, mais sans dégâts collatéraux significatifs, semble-t-il, est venue gâcher la fête... A la fin de la journée, 14 jeunes détenus parmi nous, furent mis dans la plus vaste des 25 cellules que comptait le ?Bastion 18' (cellule n° 13). Le soir les parachutistes sont revenus pour les ligoter et les jeter dans les GMC, stationnés å hauteur d'un portail, toujours fermé d'habitude, qui jouxte la piscine de l'ancien stade. Nous avons appris, par la suite, qu'il y avait 44 détenus, tirés au sort, pris dans les autres camps de torture de la ville et que les victimes ont été éparpillées sur plusieurs sites de la banlieue : au « Petit Perdreau, å Saf-Saf, à Beni-Boublène, à Sidi Boujemâa (au lieu connu, aujourd'hui sous le toponyme « Les Cerisiers »), å l' Agadir et à Sidi Saïd. Ces derniers ayant été ensevelis par leurs familles â l'ombre du santon ?Sidi-Othmane', près de ?Bab-Ezzaouia', dans la banlieue nord-est de Tlemcen. Une partie de mes compagnons de geôle y furent enterrés. Parmi les victimes qui se trouvaient au ?Bastion 18', il y avait 2 autres étudiants du Collège de Slane. Il s'agissait de Belkacem Sidjelmassi, qui était mon camarade de classe au collège, et Choukri Allali, qui était le plus jeune d'entre nous (né en 1941, il avait donc å peine 17 ans). Ces représailles, comme on le disait dans le langage convenu, ne se sont pas arrêtées å l'exécution canonique par la mise en joue et le tir de balle. Les victimes furent, ensuite, tailladées, charcutées, dénuclées, émascul?es, au point où les familles, après avoir retrouvé le nom des leurs sur les listes placardées å la mairie, n 'arrivaient pas à retrouver leurs morts, voire même à les identifier, tant ils étaient méconnaissables, d'où la pagaille mêlée au deuil indicible. J'ai retenu de cet épisode de ma vie, qu'en matière de barbarie, aucune nation, aucune civilisation ne peut se targuer du privilège de la vertu. Plus tard, en lisant la pièce d'Antigone, dans la version de Jean Anouilh, Créon raconte à sa nièce, la fille d'Oedipe, que si Polynice était mis au pinacle de la bravoure et Etéocle soumis å l'appétit des vautours, il reconnaissait qu'il ne savait pas qui était l'un et qui était l'autre, puisqu'on les a trouvés « en bouillie » après s'être entretués. Mais l'exemple s'arrête là. En voulant apporter ce témoignage sur un pan de notre histoire coloniale, mon voeu est d'inviter le milieu associatif pour, la main dans la main, oeuvrer auprès de qui de droit afin d'ériger, aux lieu et place du ?Bastion 18' qui n'a pas été démoli, en tous cas pas encore, un mémorial digne de ce nom. Merci pour la stèle édifiée à l'entrée de la Faculté de Médecine, mais c'est loin d'être suffisant. * Citoyen de Tlemcen |
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