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Algérie : Ce qui a manqué à la révolution-bis
par Kamel Daoud
Nicolas
Boileau-Despréaux : «Ce qui se conçoit bien s'énon ce clairement - Et les mots pour le dire
arrivent aisément.» L'Art poétique (1674). C'est une piste pour expliquer
pourquoi la «Révolution-bis» n'a pas encore eu lieu
chez nous. Les mots n'y étaient pas et cela voulait dire que c'était mal conçu
dans la tête. Un politologue US l'a dit au chroniqueur : «Chez vous, l'opposition
n'a pas trouvé les mots et ne sait pas dire ce qu'elle propose». En clair, le
Pouvoir ne sait pas ce qu'il va faire mais il le dit bien, l'opposition sait ce
qu'elle doit faire mais le dit mal. «C'était la force du FIS par exemple : cette
capacité à trouver les slogans, les mots, le chant et le rythme», dira un
journaliste. «Autant pour le printemps berbère qui a inventé ses mots et la
capacité de les crier en 2001». La règle veut que quand les idées sont claires,
la Révolution
est juste et trouve les mots simples, fédérateurs, capables
d'être retenus par tous et de faire basculer la masse vers le poids de la masse
critique. C'est donc ce qui a manqué dans la révolution-bis
pour faire la révolution : le chant qui vient du cœur et qui se voit dans les
yeux et s'entend par les vibrations du sol qui le porte. «Dès le début, le 12
février, j'étais sûr que ce n'était pas là le moment de basculement : les gens
chantaient mal, avaient de la peine à trouver la voix et les slogans partaient
dans tous les sens», expliquera un ami. Et cela est vrai : l'un des débats les
plus longs dans la coordination pour la démocratie et le changement a été sur
le slogan «Lequel ?». Dans la liste, le «Dégage» était insuffisant dans le cas
algérien où le Pouvoir a plusieurs têtes. Le «Dégagez»
était approprié mais trop flou, sans noms et sans cibles. «Le peuple veut faire
tomber le régime» était insuffisant, car on ne savait pas sur quelle branche de
l'arbre était perché le mauvais oiseau et personne n'avait la possibilité
d'offrir une alternative. D'ailleurs, le maître mot de la situation algérienne
est «alternative». Les Algériens détestent ce système dont ils font partie mais
veulent un homme qui leur dise clairement par quoi on va le remplacer et que va-t-on
faire après.
C'est ce qui a fait la force de la révolution
tunisienne, égyptienne ou actuellement en Syrie ou au Yémen : les gens savent
ce qu'ils veulent, et ceux qui ne le savent pas ont fini par écouter les mots
simples, clairs et précis de ceux qui les appellent à participer au changement
qui tient en deux ou trois mots. C'est donc ce qui nous manque : les mots, la
langue claire et le visage facilement reconnaissable. Une révolution se sent au
volume de la poitrine et à la sincérité du chant et de l'hymne. En Algérie, ce
qui manque ce n'est pas la dictature, mais son contraire qui est encor flou, n'a
pas de visage, ni de langue et encore moins de chanson.
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