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«On devient cuisinier mais on naît rôtisseur.» B. Savarin
Que ceux qui manifestent pour un quelconque changement d'ordre politique ne soient pas algériens, on le sait depuis qu'un ministre préposé à la nationalité l'a déclaré haut et fort, mais quid de ceux qui manifestent pour tout et n'importe quoi ? Aucun syndicat, aucun ministre, aucun chef de parti officiel ne s'avance à ce jour. Le garde communal, l'enseignant, le médecin, le chômeur, le résident d'un bidonville, le fonctionnaire, l'étudiant, le greffier qui contestent, manifestent, exigent un logement, un reclassement et une augmentation du salaire sont-ils algériens ou moitié-moitié ? Sans aucun risque, n'importe quel officiel peut y aller de son pronostic, retirer ou accorder la nationalité comme un simple visa ou bien envoyer la police au point que chaque jour les rues et ruelles d'Alger peuvent servir de décor naturel à une fiction sur un coup d'Etat, une guerre civile ou une attaque extérieure. Il paraît que l'alignement spectaculaire de voitures blindées et de policiers calme les esprits, attire les touristes, sachant que l'état de siège est levé ! Dès que la rue arabe a pris la colère, dès les premières statues arrachées de socles qui ont résisté à l'usure du temps, des humains, des constitutions «royales», des partis uniques où les dirigeants n'affrontent jamais un scrutin, fût-il dans leur douar de naissance, il a fallu des paroles et une musique. Les artistes du sérail, copieusement rémunérés pour de petits efforts, ont trouvé l'exercice banal, routinier et tellement facile. Les rues arabes font ce qu'elles veulent sans notre ingérence, dès lors que nous ne leur ressemblons en rien. On a liquidé en un tour de main «la communauté de destins», la langue et la religion partagées, «la solidarité fraternelle» du temps de la guerre de libération, «le front du refus» et les guerres anti-Israël, l'appartenance aux clubs de rentiers vieillissants (la Ligue arabe et l'UA), l'utopie du Grand Maghreb uni. On a tout soldé dès que Ben Ali s'est évanoui loin de ses palais des mille et une nuits. Le chœur a répété rapidement pour chanter la berceuse qui fait mourir de rire. L'Algérie n'est pas la Tunisie sœur, ni l'Egypte grande sœur et encore moins le Yémen frère. Si aucun Algérien n'a été consulté pour faire entrer dans la famille un frère ou une sœur, la jeunesse arabe a tranché dans la confusion. Chaque régime gère comme il peut les troubles, les émeutes, les grèves, le chômage et les partis. Dès les premières concessions prises à la hâte, sans débat, sans négociations (le mal est la-yadjouz), dans une superbe improvisation, les Algériens ont reçu le message 5 sur 5. «On demande tout, on prend ce qui vient et on avisera par la suite». Ces mots d'ordre simples, en dehors des partis qui gouvernent, de l'UGTA sont suivis à la lettre par toutes les catégories sociales. Croyant que le syndicat et les partis officiels avaient de la légitimité, de la représentativité, de l'écoute citoyenne et pouvaient être des liants et des négociateurs, le pouvoir s'est trouvé seul. De proche en proche, d'une wilaya à un lieudit, on s'est mis à «monter» sur la Présidence pour deux raisons essentielles. La première, pour engranger de justes gains, puisque le gouvernement qui ne veut ressembler à aucun autre «confrère» arabe ouvre la chasse au trésor. La seconde, pour signifier à qui de droit la vacuité, l'inutilité politique et la répudiation des partis et syndicats officiels. Les messages ont-ils été reçus ? En apparence non, puisque la Suisse n'est pas l'Espagne, qui n'est pas l'Algérie, qui n'est pas la Tunisie, qui n'est pas l'Egypte, etc., etc. La preuve ? Dans les grandes nations, de larges courants veulent sortir du nucléaire alors qu'en Algérie, pays parmi les plus ensoleillés du monde, on s'y accroche sans l'avis de personne. Mais la chasse est ouverte, sur tous les fronts. L'élection présidentielle prochaine, le départ et/ou le remplacement de M. Bouteflika sont de plus en plus évoqués, commentés. On fait appel à la zaouïa, au destin, aux échecs reconnus, consommés et reconduits. On y rêve, à juste raison, tout naturellement parce que l'ambition est humaine, trop humaine. Et parce que le refus d'élections propres et honnêtes est inscrit définitivement dans le système national et parce que le seul vote qui fait que l'Algérie n'est ni la Tunisie, ni la Libye et pas l'Egypte ou le Yémen, est celui de la cooptation de nuit, à huis clos. Cela ne fera que retarder des échéances inéluctables, faire prendre des retards fort coûteux à l'Algérie. La négation de la négociation, de syndicats responsables, représentatifs, de formations politiques crédibles et formatrices de citoyens conscients, d'associations réellement au cœur de la société, d'universités libres et performantes, de médias concurrents qui font respirer toutes les représentations, des libertés, ont abouti à ce qui se passe aujourd'hui. La chasse est ouverte, les chiens sont lâchés, les appétits sont démesurés, les trottoirs dispensent du registre de commerce, le policier (qui a été augmenté) ne peut rien contre le motard sans casque, le conducteur qui le nargue et le commerçant qui érige ses propres défenses. L'Etat se fait tout petit, les institutions régaliennes consomment leur budget et regardent ailleurs. C'est la saison de la chasse, de toutes les chasses durant lesquelles le pays se trouve avoir un pouvoir, des milliardaires, peu d'agriculture, un urbanisme barbare mais peu d'Etat et aucun espace de concertations et de débats. La chasse est ouverte, les fauves sont lâchés, se «redressent» et la société se défend seule, comme on ne le lui a pas appris, puisque la chasse est ouverte et que le coffre-fort déverse. L'art de la politique, c'est de la haute cuisine : la boulitique ressemble à ce que fait le chaouaï. |
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