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Subrepticement,
comme à ton habitude, presque sans crier gare - à peine nous as-tu laissé le
temps d'envisager un instant, sans trop y croire d'ailleurs, l'irréparable
comme une funeste possibilité -, tu décidas de t'en aller. De te retirer de ce
monde corrodé par l'ingratitude et l'indifférence des hommes. Pour ne déranger
ni la file d'attente qui bouffe, insouciante, ses heures et ses jours, ni les
disparus pris dans les nasses de l'inconnu, tu es parti sur la pointe des pieds
sans faire de bruit. Tu es parti en solitaire explorer l'ailleurs, l'au-delà. Cela
fait neuf ans, une éternité tantôt, tantôt l'instant d'avant, que ton cœur,
pourtant si costaud, si grand pour avoir eu à supporter l'insupportable, le
dénuement, les misères du monde, la froideur des caches, des masures, la vanité
des sots, leurs viles suffisances, les angoisses du doute?, et à étreindre
frénétiquement, passionnément, toutes les espérances, des plus simples aux plus
folles, a décidé de décrocher. La maladie, insidieuse, fourbe, a eu raison de
ce cœur, de toi et de nous tous. Depuis, Kader, tu nous manques terriblement,
affreusement. Tu manques à tes proches, à tes amis, à tes compagnons. Tu
manques à ta ville qui, depuis, s'est dépeuplée. Ta frêle mais altière
silhouette qui a cessé d'arpenter ses rues hante ses lieux combien familiers. Les
cafés où tu aimais tant deviser avec tes amis d'un jour ou tes amis de
toujours. Miramar, ce quartier où tu déambulais. Es-Seddikia où tu te
réveillais à tous les petits matins. Le Plateau et tous ces espaces ouverts sur
la vie, ouverts à la vie. Ces espaces de la cité où laborieusement tu préparais
demain.
Kader, depuis ce maudit avril 2002, nous avons - la vie est ainsi faite, n'est-ce pas ? - appris à vivre sans toi ou plutôt désappris à vivre avec toi. Non pas qu'on t'ait oublié, mais? tu sais, habiter l'absence ne facilite pas les choses ! On finit forcément par ne plus faire attention. Par se laisser prendre aux pièges d'une routine crasse drapée des solennités dérisoires des vrais-fausses urgences. C'est vrai, on s'est assoupi un peu. Heureusement qu'il y a ce bruit sourd de l'absence pour nous rappeler, le temps d'une évocation, à la plus facile de nos obligations, la moins coûteuse aussi. Au plus sommaire de nos devoirs, le devoir de mémoire. Ne pas oublier ! Ne pas t'oublier ! Ciao ! Et à plus, l'ami ! |
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