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Réunion du Conseil de sécurité: Guéguerre au sein de la coalition

par Yazid Alilat

L'intervention militaire d'une coalition internationale contre la Libye, menée par les Etats-Unis, la France et la Grande-Bretagne, qui se poursuit toujours officiellement contre des cibles militaires, a soulevé lundi plusieurs protestations et interrogations officielles.

Des centaines de missiles ont été tirés samedi, dimanche et lundi à partir d'avions, de sous-marins et de navires de guerre contre des cibles militaires libyennes, ainsi que des installations administratives. Cette puissance de feu a fait intervenir plusieurs officiels européens notamment, qui se sont interrogés sur la finalité de cette intervention militaire, décidée pour faire appliquer la résolution 1973 du Conseil de sécurité de l'ONU.

Ligue arabe: une position ambiguë

Le secrétaire général de la Ligue arabe, Amr Moussa, qui avait critiqué dimanche les bombardements de la coalition sur la Libye en estimant qu'ils s'écartaient de la résolution du Conseil de sécurité de l'ONU, a affirmé lundi que ses propos avaient été «mal interprétés».

«Nous sommes engagés envers la résolution 1973 du Conseil de sécurité de l'ONU, nous n'avons pas d'objection à cette décision, surtout qu'elle n'appelle pas à une invasion du territoire libyen», a-t-il déclaré. «Ce qui s'est passé en Libye diffère du but qui est d'imposer une zone d'exclusion aérienne, et ce que nous voulons c'est la protection des civils et pas le bombardement d'autres civils», avait-il déclaré à des journalistes.

Mais, le ton le plus ferme contre l'intervention militaire internationale a été pris par le Premier ministre russe Vladimir Poutine, qui a vivement critiqué lundi la résolution de l'ONU autorisant le recours à la force en Libye. Cela « ressemble à un appel aux croisades et témoigne d'une tendance forte des Etats-Unis à recourir à la force contre des pays tiers», a t-il estimé. «Ce qui m'inquiète, c'est la légèreté avec laquelle sont prises aujourd'hui les décisions concernant l'utilisation de la force dans les affaires internationales», a-t-il déclaré, ajoutant que «cela devient une tendance forte et une constante dans la (politique) des Etats-Unis». Mais, il a été vite critiqué par le président russe Medvedev, qui a jugé inacceptable que Poutine utilise le terme «croisades».

De son côté, l'Allemagne qui avait refusé de rejoindre le rang des «militaristes», s'est sentie confortée, après les premier bombardements en Libye, dans ses fortes réserves à l'égard de l'opération militaire, a estimé lundi son ministre des Affaires étrangères Guido Westerwelle. «Nous avons dit très clairement depuis le début que nous ne participerions pas» à cette action de la coalition internationale«, a déclaré le diplomate allemand.

La Libye accuse la coalition de violer le cessez-le-feu De son côté le régime libyen a accusé lundi la coalition internationale et les insurgés de violer un cessez-le-feu annoncé à nouveau dimanche soir par les forces militaires du colonel Mouammar Kadhafi. «Les autres parties n'ont pas respecté le cessez-le-feu. Les bombes et les missiles continuent à viser la Libye, tandis que les terroristes d'Al-Qaïda continuent leurs attaques armées», ont déclaré des sources officielles. «Les bombes et les missiles des agresseurs ont tué des dizaines de civils, au moment où la Libye respecte un cessez-le-feu total», ont-elles ajouté.

Les insurgés soutiennent eux que l'armée de Kadhafi pilonne depuis trois jours la région d'Al-Jabal Al-Gharbi (sud-ouest de Tripoli), en particulier les villes de Zenten et Yefren sous leur contrôle. «Les forces de Kadhafi nous bombardent de loin avec des missiles Grad. Ca dure depuis trois jours. Les raids sont très intensifs», a déclaré un habitant de Zenten, à 145 km au sud-ouest de la capitale, joint par téléphone par l'AFP.»Les batailles étaient très violentes.    Les rebelles ont pu repousser l'offensive et ont empêché une avancée d'un bataillon du régime vers la ville» située en hauteur dans cette région montagneuse, a-t-il ajouté. Selon un témoin à Yefren, les forces loyales au colonel Kadhafi ont pu reprendre le contrôle d'un village à proximité de cette ville amazighe (berbère) située à 60 km à l'est de Zenten.       Dans l'Est, les forces de Kadhafi, qui avaient attaqué Benghazi samedi matin, ont reculé lundi jusqu'à Ajdabiya, à 160 km au Sud, sans pour autant abandonner le combat. Des dizaines de chars détruits par des frappes aériennes gisaient le long de la route entre les deux villes.         Mais les centaines d'insurgés qui se sont rassemblés dans l'objectif de reprendre Ajdabiya ont été dispersés par des tirs à l'artillerie lourde des forces gouvernementales retranchées dans la ville. Des obus sont tombés dans le désert le long de la route, et des colonnes de fumée noire s'élevaient dans la zone. «Nous demandons plus de frappes aériennes. Nous voulons qu'ils bombardent ses aéroports et ses chars», a déclaré Salman Maghrabi, un insurgé.

DIVERGENCES sur l'offensive militaire

Sur le front diplomatique, le Conseil de sécurité de l'ONU devait tenir dans la soirée d'hier une réunion à huis clos sur la Libye, selon des diplomates sous couvert de l'anonymat. L'Union européenne avait adopté des sanctions renforcées contre le régime de Kadhafi, mais dont les membres ne parviennent pas toutefois à dissimuler de profondes divisions sur l'opération militaire déclenchée samedi par la coalition internationale. Opposé à l'offensive, le Premier ministre bulgare Boïko Borissov a dénoncé une «aventure» motivée par des intérêts pétroliers.

Même au sein de la coalition -à laquelle participent du côté de l'UE la France, la Grande-Bretagne, l'Italie, la Belgique, le Danemark, la Grèce, et l'Espagne- des voix dissonantes se font entendre. «Cela ne devrait pas être une guerre contre la Libye» mais l'application stricte de la résolution de l'ONU, a jugé le ministre italien des Affaires étrangères Franco Frattini, à son arrivée à une réunion avec ses homologues européens à Bruxelles. Et il a plaidé, à l'instar du Luxembourg, pour que l'Otan prenne le relais de la «coalition de volontaires» en Libye, alors que la France ou la Turquie s'opposent elles à ce que l'Alliance atlantique soit en première ligne de crainte de s'aliéner l'opinion arabe.

TRIPOLI coupée du reste du pays

Sur le terrain des opérations, des bombardements de la coalition internationale ont touché le coeur de Tripoli dans la nuit de dimanche à lundi, et tentaient lundi de couper les lignes de ravitaillement de ses forces. Après le succès annoncé d'une première vague de frappes samedi et dimanche contre les défenses antiaériennes et des blindés près des lignes des insurgés, la prochaine étape consiste à attaquer ces lignes de ravitaillement pour limiter la capacité d'action des forces gouvernementales. «Ses forces sont plutôt éparpillées entre Tripoli et Benghazi (à 1.000 km à l'Est) et nous allons essayer de couper le soutien logistique», avait expliqué dimanche le plus haut gradé américain, l'amiral Michael Mullen, après avoir assuré que la zone d'exclusion aérienne était instaurée.

 Dans la nuit de dimanche, des missiles ont détruit un bâtiment administratif à l'intérieur du complexe résidentiel de M. Kadhafi dans le sud de Tripoli. Selon la coalition, il abritait un centre «de commandement et de contrôle». Ce bâtiment est situé à une cinquantaine de mètres de la tente où le colonel avait l'habitude de recevoir ses invités de marque, mais plusieurs responsables au sein de la coalition ont assuré qu'elle ne cherchait pas à viser directement le colonel Kadhafi.

Les habitants de Tripoli avaient pu entendre dans la soirée de fortes explosions, ainsi que de nombreux tirs de batteries antiaériennes. Plusieurs hauts responsables ont assuré que la coalition ne cherchait pas à viser directement le colonel Kadhafi. Mais le ministre britannique des Affaires étrangères, William Hague, a laissé entendre lundi que cela pourrait arriver.

L'intervention de la coalition internationale en Libye est pour le moment un «succès» et l'Otan est «disposée à venir en soutien» dans «quelques jours», a annoncé lundi pour sa part le chef de la diplomatie française, Alain juppé. «Le premier succès de notre intervention est clair», a estimé M. Juppé, en marge d'une réunion avec ses homologues européens, car «si nous n'avions rien fait, Benghazi», le fief de la rébellion libyenne dans l'est du pays, «serait un bain de sang». «Nous avons sauvé les civils de Benghazi», a-t-il assuré à partir de Bruxelles.

Enfin, la Turquie a déclaré avoir demandé des clarifications sur les plans de l'Otan en Libye et juge que la manière dont la coalition a été constituée pour attaquer ce pays n'est pas conforme aux normes internationales, a indiqué hier son ministre des Affaires étrangères.

 L'intervention militaire a débuté par une frappe aérienne française samedi à 16H45 GMT. L'Italie, la Belgique, la Norvège, le Danemark, le Canada et l'Espagne, le Qatar et les Emirats arabes unis ont annoncé leur participation.