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L'intervention occidentale en Libye est très mal
vécue, y compris chez ceux qui n'ont aucune estime à l'égard de Mouammar
Kadhafi et son régime. Même un politicien roublard comme Amr Moussa le ressent
et il se trouve contraint de crier au viol de la résolution du Conseil de
sécurité. Le russe Vladimir Poutine parle de «croisade» et de résolution
«déficiente et imparfaite».
Faut-il s'étonner que la Russie, tout comme la Chine, n'ait pas fait usage de ce veto qui aurait empêché cette «croisade» ? On imagine sans difficulté la réponse des Russes et des Chinois : comment faire usage du veto contre une résolution qui avait l'onction de la Ligue arabe ! La boucle est ainsi bouclée. Mais face à ces enchaînements, il est salutaire d'en tirer quelques observations. Ce qui se passe en Libye devrait donner sérieusement à réfléchir. Jusqu'à présent, seuls les régimes avaient la possibilité de s'allier aux Occidentaux contre leurs peuples ou une partie de leurs peuples. On a toujours pensé que la méfiance ancrée et justifiée des peuples à l'égard des Occidentaux les pousserait à préférer le statu quo au changement. Cela a été le cas durant les cinq dernières décennies. Les Egyptiens et les Tunisiens n'ont pas eu besoin d'un soutien extérieur. Ils ont renvoyé leurs dirigeants ? à des coûts relativement bas ? et les Occidentaux, dépassés, n'ont fait que suivre le mouvement. Les choses changent désormais. Les Libyens, ou une partie d'entre eux, viennent de montrer que cette digue qui a longtemps tenu ? et a consolidé les régimes ? est rompue. Une partie de la société libyenne n'a pas trouvé hérétique et antipatriotique de solliciter un soutien occidental face au régime. Les Occidentaux, faisant preuve de leur sens établi de l'opportunité, n'ont pas hésité à s'adapter et à étendre ainsi leur capacité d'action. Ils continueront de jouer tant les régimes contre la société ? le Bahreïn par exemple ? que les mouvements de contestation contre les régimes. Dans tous les cas de figure, il s'agit pour ces régimes cyniques ? et prédateurs ? d'être des actionnaires des mouvements politiques dans les pays concernés et de s'établir en bonne place dans le conseil d'administration des rentes. Ainsi, après avoir été pris de court par la chute des «remparts», les Occidentaux découvrent qu'ils peuvent étendre considérablement leur marge de manœuvre et de manipulation dans les pays arabes. Le malaise diffus qui traverse actuellement les vecteurs d'opinion au sujet de ce qui se passe en Libye tient fondamentalement à ce constat implacable. L'enchaînement de la révolte-répression sur fond de refus du changement crée une situation inédite où les Occidentaux jouent à l'arbitre et au? tuteur. C'est en effet insupportable et humiliant pour beaucoup. Ce n'est pas choisir entre la peste et le choléra, c'est hériter des deux maux à la fois. Il faut pourtant bien prendre note que même une claire conscience de ces enjeux n'empêche pas les acteurs de mettre les Occidentaux dans la partie. C'est cela la nouveauté, et cela crée la plus immense des brèches pour la sécurité nationale des pays concernés. Mais il faut être précis. Ceux qui disposent du pouvoir sont infiniment plus responsables ? pour ne pas dire les seuls ? de cette évolution désastreuse, susceptible de se reproduire ailleurs. Ce n'est pourtant pas une fatalité. Des hommes de conviction et au sens politique affirmé, comme Abdelhamid Mehri, ne cessent d'inviter les régimes à aller vers un vrai contrat pour le changement de régime avec leurs sociétés. Le désastre libyen montre que tout le monde est perdant dans les logiques de confrontation. La responsabilité de ceux qui détiennent le pouvoir est de saisir clairement que la digue de l'autocontrôle patriotique, qui a longtemps évité les intrusions massives des intérêts néocolonialistes, a été minée par des décennies de turpitudes autocratiques. Aujourd'hui, il est clair que l'intérêt «personnel» des détenteurs du pouvoir est d'aller au changement politique. Kadhafi, après Ben Ali et Moubarak, découvre qu'il n'a pas d'amis occidentaux. Ces «zaïms» de régime, abandonnés, découvrent que les sociétés auraient pu être plus magnanimes à leur égard s'ils avaient su comprendre que le temps fait son œuvre. Et qu'il y a plus de dignité à partir à temps au lieu de bloquer le mouvement naturel des peuples vers l'émancipation et le progrès. |
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