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LA PLACE AL-TAHRIR A PARLE, GHAZA EST MOINS SEULE

par K. Selim

Certaines images sont tellement chargées de sens qu'on saisit instantanément la vibration extraordinaire qui en émane. Hier, la place Al-Tahrir nous a donné celle d'une nation unie avec ses musulmans, ses Coptes et tout les «ismes» que l'on peut imaginer? Tous réunis en train d'écouter le vieux Youssef Al-Qaradhaoui parler comme un jeune de 20 ans et tancer ces dirigeants arabes qui, en ce vendredi-là, avaient encore réprimé dans le sang à Bahreïn, au Yémen et en Libye.

 «Je m'adresse aux dirigeants arabes : n'arrêtez pas l'Histoire ! Le monde a changé, le monde avance et le monde arabe a changé de l'intérieur». Et dans un accent qui n'est pas sans rappeler l'appel pressant de M. Abdelhamid Mehri, il adresse un conseil aux dirigeants en place : ne faites pas des discours creux, dialoguez sérieusement avec les peuples.

 Pas besoin de trop décoder. Ceux qui ne s'aveuglent pas et qui écoutent auront compris qu'on leur signalait qu'il y a encore une opportunité de faire à leurs pays l'économie des violences inutiles qui n'arrêteront pas l'Histoire. Dans cette place Al-Tahrir, si bien nommée et qui est devenue l'épicentre d'un séisme vertueux pour la liberté, on pouvait voir, de nos télévisions, une nation émerger à nouveau.

 Beaucoup d'Egyptiens avancent aujourd'hui dans la vigilance, voire dans la crainte, car ils savent que leur pays est trop important pour qu'on les laisse tranquillement s'occuper de leurs affaires. Mais s'ils ne peuvent pas encore dire ce que sera l'Egypte dans cette géopolitique des fractures, ils savent aussi ce qu'elle ne sera plus. C'est cela qui fait actuellement la force des Egyptiens et fortifie leur moral. Ils ont acquis une détermination absolue à ne plus accepter qu'on les dépossède de leur volonté. Aucun pouvoir, quelles que soient sa couleur et ses références, nationaliste, islamiste?, ne pourra plus éviter la place Al-Tahrir s'il lui prenait l'idée de recréer les conditions de l'autoritarisme ou de l'absolutisme.

 Rien n'est jamais certain dans la vie des peuples qui, comme les individus, connaissent des accidents et des régressions? Mais les Egyptiens ont été tellement nombreux à s'impliquer dans leur révolution que celle-ci est déjà un fait de leur culture. Ils ont bien changé de l'intérieur, ces Egyptiens.

 Quelque chose de profond qui ne sera jamais vraiment un passé mais un présent qui ne cessera de s'accumuler. C'est cela une révolution vivante qui se donne le moyen de rester jeune et orientée vers l'avenir.

 Qu'elle est affreuse cette présumée révolution libyenne qui tue ses jeunes enfants et qui leur promet des «réponses foudroyantes» pour avoir osé réclamer du changement ! Entourée de deux mouvements pour la liberté, cette présumée révolution est encore plus hideuse, plus accrochée sur ses pires démangeaisons. On ne pouvait pas ne pas penser à ces nouveaux morts sur l'autel des anachronismes arabes qui n'ont plus que leurs nuisances à faire valoir.

 Mais, de cette place Al-Tahrir qui nous coupait encore le souffle en ce vendredi, on a eu une parole claire de Qaradhaoui, acclamé par les centaines de milliers de personnes présentes, adressant un message à Ghaza. Oui, sur cette place Al-Tahrir, un vieux cheikh a dit ce que la révolution égyptienne n'a pas encore formulé et ce que les capitales occidentales appréhendent le plus depuis la chute de leur ami Moubarak. Il a dit que Rafah est autant égyptienne que palestinienne et que ce passage-là doit s'ouvrir. Toute la place El-Tahrir a acquiescé. Ghaza et les Palestiniens se sentaient moins seuls hier. Ils avaient peut-être un petit sourire.

 On s'est souvenu de ce vers de Mahmoud Darwiche : «Lorsque le camp (de réfugiés) sourit, les grandes villes froncent les sourcils».