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La sécurisation juridique des musées et collections en question

par Mourad Betrouni*

Nous nous sommes toujours demandés pourquoi notre pays n'a pas été doté d'une loi sur les musées et les collections, pour assurer la sécurité juridique de son patrimoine culturel mobilier. D'aucuns croient, toujours, que la dimension muséale est régie par la loi n°98-04 portant protection du patrimoine culturel, ce qui est totalement faux -Nous l'avons fait savoir à différentes occasions, mais en vain-. Un petit rappel historique permet de circonscrire cette problématique et suggérer une conduite à tenir.

A l'indépendance, sous le règne de la loi du 31 décembre 1962, de «reconduction de la législation en vigueur au 31 décembre 1962, sauf dans ses dispositions contraires à la souveraineté nationale algérienne», l'Algérie avait endossé, pour des considérations d'urgence, l'«ordonnance n° 45-1546 du 13 juillet 1945, portant organisation provisoire des musées des beaux-arts», dont l'article 2 définissait le musée comme «toute collection permanente et ouverte au public d'œuvres présentant un intérêt artistique, historique ou archéologique». Les effets de cette ordonnance se sont progressivement estompés, pour disparaître totalement en 1967, lorsque fut adoptée l'ordonnance n° 67-281 du 20 décembre 1967 relative aux fouilles et à la protection des sites et monuments historiques et naturels. Un dispositif législatif qui avait repris l'essentiel de l'arsenal juridique français, à l'exclusion des dimensions musée et collections. Etait-ce un oubli ou une décision réfléchie ?

Cette situation, que nous qualifions de hiatus juridique, relève d'une conjoncture assez singulière, liée au processus de transfert de souveraineté, en 1962, entre la sous-direction des Beaux-arts, relevant du ministère français de l'Intérieur et la Direction des affaires culturelles (DAC), sous tutelle du ministère algérien de l'Education nationale. La DAC était structurée en quatre services : le service des bibliothèques et des archives, le service des arts et des monuments historiques, le service des théâtres, de la musique et de la production littéraire et artistique et le service des échanges culturels avec l'étranger. La dimension musée n'apparaissant pas encore dans cette première formulation institutionnelle.

La DAC est donc l'héritière organique de tous les biens culturels meubles et immeubles (sites, monuments, musées, mobiliers, collections) et des attributions correspondantes. Pour rappel, l'essentiel des musées, hérités de la colonisation, ont été créés entre la deuxième moitié du XIXe siècle et la première moitié du XXe siècle. Ce sont, essentiellement des musées archéologiques et historiques, qui étaient régis par l'ordonnance n°45-1546 du 13 juillet 1945. Ces musées se répartissaient en quatre catégories (Voir tableau I) : Les musées nationaux, qui relevaient directement de la tutelle de l'Etat, ils sont tous établis sur les hauteurs du Mustapha, à Alger, le Musée des arts populaires, qui dépendait des services de l'artisanat, relevant du ministère du Tourisme, est établi au cœur même de la Casbah d'Alger, les musées communaux, gérés par les municipalités et les sociétés savantes privées, étaient contrôlés par le Service des antiquités. Ils sont au nombre de 15, les musées des circonscriptions archéologiques et lieux de dépôts, qui relevaient à la fois du Service des antiquités (gestion des biens mobiliers) et du Service des monuments (gestion des biens immobiliers). Ils émargeaient au budget de l'Etat, selon les disponibilités et l'importance du site.

Contrairement au domaine des fouilles archéologiques, des monuments et sites historiques et naturels, qui ont continué à être régis par les lois françaises, dans le prolongement de l'ordonnance n° 67-281, le domaine des musées et des collections n'ont bénéficié d'aucune protection légale, la loi française sur les musées ne sera ni reconduite ni remplacée. Les musées et les collections allaient, désormais, relever du seul champ de l'administration, sans support légal.

En 1985, l'administrateur algérien avait cru avoir surmonté ce vide juridique, en créant, par décret exécutif, un statut-type des musées nationaux qui, dans son article 1er définissait les «musées nationaux» comme «établissements publics à caractère administratif, dotés de la personnalité morale, et de l'autonomie financière». Ce texte n'a donné aucune signification à la notion paradoxale de «Musée national», car le musée d'Etat, colonial était également un «Musée national». Huit (08) «musées nationaux» algériens, seront créés en vertu de ce statut-type. A l'exception du Musée Etienne Dinet, nouvellement créé, les sept (07) autres musées ne sont que de simples transferts de propriété et d'attribution (voir Tableau I).

Dans les faits, le statut-type des musées nationaux de 1985 n'a fait qu'organiser et administrer l'activité muséale dans le cadre d'un établissement public à caractère administratif (EPA), pour assurer l'exercice des deux missions essentielles de service public, la conservation et la présentation, mais il n'a aucune assise législative pour garantir l'intégrité de la collection et de l'institution muséale. Son article 2 stipulait que «les musées nationaux ont pour mission, dans le cadre du plan national de développement économique, social et culturel, l'acquisition, la récupération, la restauration, la conservation et la présentation au public, d'objets et de collections à caractère historique ou culturel ou artistique». Des dispositions qui ne relèvent pas du niveau règlementaire mais ressortissent d'un dispositif législatif, qui n'existait pas, hélas.

En 1987, un nouveau décret est pris, pour fixer les conditions de création des musées, leurs missions, organisation et fonctionnement. Outre la forme de l'établissement public à caractère administratif (article 1), le musée est défini comme «toute institution permanente disposant de collections culturelles et/ou scientifiques, composées de biens dont la conservation et la présentation revêtent un intérêt public et organisées en vue de la connaissance, de l'éducation, de la culture et de la délectation» (article 2). Ce texte réglementaire, qui reprend les définitions de l'Organisation mondiale des musées (ICOM), ne repose sur aucune assise légale, qui reconnaît la collection et le musée comme patrimoine national.

En 2011, un nouveau statut ouvrait de nouvelles perspectives pour la création d'institutions muséales à caractère national, avec ou sans collections. Le musée sera défini comme «institution permanente disposant de collections et/ou d'objets constitutifs de collections dont la conservation et la présentation revêtent un intérêt public et qui sont organisés et présentés en vue de la connaissance, de l'éducation, de la culture et du divertissement» (article 2). Cette nouvelle mouture réglementaire ouvrait le champ muséal aux collectivités locales et aux acteurs privés, en instituant, pour la première fois, le centre d'interprétation. Mais là, aussi, cette avancée règlementaire souffrait d'un ancrage légal.

En 1998, avec la promulgation de la «loi n°98-04, du 15 juin 1998, portant protection du patrimoine culturel», qui a remplacé l'«ordonnance 67-281», il était attendu que le musée et la collection soient reconnus comme patrimoine national, éligible au droit à la protection et à la conservation, hélas, il n'en fut rien. Le nouveau dispositif juridique n'ayant prévu comme mécanisme de protection, que le classement, l'inscription sur l'inventaire supplémentaire, les créations en secteurs sauvegardés et en parcs culturels. Seule la loi domaniale n° 90-30 avait consacré, jusque-là, un article (art. 16), qui dispose : «Relèvent du domaine public artificiel notamment : ...les monuments publics, les musées et les sites archéologiques; les parcs aménagés; les jardins publics; les œuvres d'art et collections classées...

Par ce bref rappel historique sur la sécurité juridique de nos musées et collections, nous voulions convoquer l'attention sur la nécessité d'une loi sur les musées et les collections nationales (loi sur les musées et collections ou chapitre sur les musées et collections dans la loi portant protection du patrimoine culturel). Nos inquiétudes ne se limitent pas, cependant, à la seule sphère de la procédure juridique, bien que fondamentale. Elles débordent sur d'autres terrains insoupçonnés, jusque-là, car non investis, par le fait même de l'absence de loi. C'est l'objet même de cette contribution, sur le thème du musée et de la collection archéologique, considérant que l'essentiel de nos musées est de nature archéologique.

Une série de questions se pose en préalable à notre examen : comment s'établit le passage de la fouille archéologique au musée? Quelle est la composante des produits de fouille ? Qui sélectionne les objets archéologiques ? Quel est le devenir des produits de fouille ? Dans quelles conditions sont-ils conservés ? Qui en a la responsabilité ? Quelle est la couverture juridique des produits de fouille ? C'est là un corpus de préoccupations qui doit renvoyer, nécessairement, à des réponses d'ordre juridique, notamment la relation entre la recherche archéologique, le traitement du mobilier archéologique et la destinée de ce mobilier, généralement les musées.

Or, dans le musée, la mission de service public commande de ne sélectionner que les objets emblématiques, les pièces rares, belles ou significatives. Dans cet entendement de l'intérêt public, la fouille archéologique est considérée comme simple gîte pourvoyeur d'objets. De là, un véritable hiatus entre la sortie des objets de la fouille et leur dépôt définitif dans un musée. Un véritable dilemme recherche/conservation. Qui fait quoi et comment ? En dehors des pièces archéologiques sélectionnées par le musée, quel est le devenir des autres produits de fouille ? Ces questions ont trouvé des solutions un peu partout dans le monde, notamment en France, où cet écueil a été surmonté par la création de dépôts de transit, qui assurent la transition entre la fouille archéologique et le musée.

La solution du passage de la fouille archéologique au musée a été assurée, en France (cas illustratif) dès l'année 1952, par la création du dépôt de fouille, mis sous la responsabilité des archéologues. Il s'agissait de créer deux responsabilités : celle des archéologues fouilleurs et celle des conservateurs de musées Ces derniers n'avaient pas vocation à conserver l'ensemble des mobiliers archéologiques issus de la fouille, mais seulement à en présenter au public une sélection. L'équation recherche/conservation a permis de créer des dépôts de fouille, conçus comme des lieux de stockage et d'étude du mobilier, placés sous la responsabilité des archéologues.

Le dépôt de fouille a été défini comme «endroit où sont mis à l'abri des objets découverts dans une ou plusieurs fouilles afin d'être classés, inventoriés et étudiés en attendant d'être déposés dans les salles d'exposition ou les réserves d'un musée» (Poinssot, Inspecteur général des musées, 1967, In Bulletin des musées et collections publiques n° 101). Le dépôt est un «sas» permanent, dans lequel les objets ne doivent que transiter. Après étude, les objets doivent être transférés dans les musées. L'expression «dépôt-sas» fera désormais partie du langage des archéologues. Poinssot utilisera également l'expression «dépôt-silo» pour envisager la construction de grands dépôts régionaux ou départementaux pour recevoir les produits de fouilles là où les musées ne pouvaient pas accueillir des collections entières.

Plus près de nous, en 1982, M. Roger Delarozière, sous-directeur de l'archéologie, proposait une nouvelle conception des dépôts français : «les centres archéologiques». Devant la multiplication des petits dépôts de chantiers, très vulnérables et peu adaptés aux nécessités d'une recherche moderne, il avait proposé l'idée de constituer, plutôt que des dépôts, des «complexes archéologiques» se situant au niveau régional, départemental ou de grandes agglomérations et chantiers, qui le justifient. Ces complexes archéologiques seront constitués essentiellement d'un dépôt pour le stockage de mobilier, le temps nécessaire à son étude avant son transfert dans un musée, des espaces de travail (lavage, marquage...), d'un lieu de documentation ouvert au public, d'une salle d'exposition temporaire consacrée aux recherches en cours, de lieux d'accueil pour les associations locales.

Dans cette configuration institutionnelle, les «dépôts archéologiques» sont organisés autour des fonctions suivantes : stockage des objets (conservation différenciée), mise à disposition du public spécialisé des collections (consultation, étude, exposition...), traitement du mobilier (lavage, marquage, stabilisation...), étude du mobilier archéologique, base logistique de chantiers de fouilles (hébergement des fouilleurs et locaux de travail), gestion administrative, logement (personnel d'administration et de surveillance). En Algérie, la catégorie dépôts archéologiques, dits «Lieux de dépôt» était consacrée dans le contexte colonial, pour assurer la gestion des collections épigraphiques et dont la surveillance était conférée, par le Service des antiquités, à un personnel local. Le dépôt archéologique ne sera pas reconduit dans l'Algérie indépendante.

Le sujet des «dépôts archéologiques» a été évoqué il y a quelques années et un projet avait même été conçu, dans le cadre d'une réflexion plus globale, sur le musée et la collection. Il serait utile de le reprendre, dans le cadre des politiques et stratégies de conservation, de transmission, de diffusion et de valorisation du patrimoine archéologique, au regard des difficultés rencontrées dans la gestion de la documentation archéologique, répartie un peu partout, en dehors des musées (sites archéologiques, laboratoires universitaires, centres de recherche, institutions ayant hérité de mobiliers archéologiques de la période coloniale).

L'idée consiste, dans un premier temps, à créer un dépôt central de la documentation archéologique, avec des unités régionales, définies selon l'importance et la spécificité des contextes archéologiques. Ce dépôt ainsi que ses unités régionales seront le réceptacle des biens mobiliers récupérés ou restitués par les citoyens ou récupérés par les services de sécurité, dans le cadre de la lutte contre le trafic illicite. Une opportunité pour la création d'emplois à nos archéologiques. Cette démarche opérationnelle préside au rétablissement de la cartographie muséale, dans toutes ses composantes, dans la perspective d'une loi sur les musées, en revisitant le système muséal, tel qu'hérité de la colonisation, pour garantir la sécurité juridique de tout le patrimoine muséal algérien.

*Docteur