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Egypte: Couvre-feu et l'armée dans la rue

par Salem Ferdi

Hosni Moubarak a été contraint de faire intervenir l'armée contre les nombreux manifestants qui réclamaient son départ

et la fin de son régime.

Le couvre-feu a été imposé à travers tout le pays de 18 heures à 7 heures du matin pour tenter de stopper une déferlante qui a dépassé toutes les prévisions du régime et toutes les attentes de l'opposition.

 Le «vendredi de la colère» se terminait d'ailleurs dans une certaine confusion puisque les policiers ont cessé de s'attaquer aux manifestants et ont commencé à se retirer. L'entrée en scène des militaires semblait accueillie avec une certaine satisfaction par les manifestants. Il était difficile de connaître encore l'intention des militaires alors que le président Hosni Moubarak, en retrait depuis le début des manifestations, devait s'exprimer dans la soirée, selon des sources non confirmées. C'était les derniers actes d'un «vendredi de la colère » historique qui a été une forte ruade des Egyptiens contre le régime. Le vieux ressort de la peur a sauté et l'Egypte a basculé dans un climat insurrectionnel. La place Etahrir au Caire, fermée toute la journée par les policiers qui la défendaient comme une bastille du régime, était envahie par les manifestants. L'objectif des manifestants a été en quelque sorte atteint. Les manifestants se rassemblaient, peut-être, pour y passer la nuit. Les Egyptiens, réduits à rien par un régime qui voulait être tout, se mettent à exister.

Déferlante anti-Moubarak

Au Caire comme dans de nombreuses villes, à peine la prière du vendredi terminée que la déferlante anti-Moubarak est descendue dans les rues. Ni les menaces lourdes proférées la veille par les autorités égyptiennes, ni l'extraordinaire déploiement des forces de la répression n'ont dissuadé les Egyptiens de sortir dans la rue pour réclamer la fin d'un régime infantilisant et méprisant. Le mur de la peur est vraiment tombé en Egypte. Malgré la répression qui s'abat et qui continuera à s'abattre sans doute, les choses ne seront plus comme avant au pays de Nasser. Une journaliste égyptienne entendue sur la chaîne Al Jazira a eu des mots simples et forts pour rendre compte de la situation en une seule phrase: «Je suis émerveillée par ce peuple auquel j'appartiens, j'avais cru qu'il était incapable de dire non ». Or, ce peuple, contrairement à ceux qui le pensaient définitivement soumis, sait dire «non».        Et il dit «non» au symbole même du régime, à Hosni Moubarak en personne. Les grandes manifestations du « vendredi de la colère » qui ont touché toute l'Egypte ne se limitent pas à des demandes sociales ou économiques. Elles sont devenues politiques. C'est le départ de Hosni Moubarak qui est réclamé et un changement de régime. Dans une tentative de diversion, le régime a tenté la veille de la manifestation « d'islamiser » la contestation en procédant à des arrestations parmi les Frères musulmans. Un stratagème qui ne fonctionne pas, les islamistes font partie comme d'autres courants de la contestation. Mais celle-ci sort des profondeurs de la jeunesse égyptienne et n'a pas besoin d'être inspirée. Les autorités ont également procédé au blocage total d'Internet et des téléphones mobiles. Sans résultat probant.

L'embarras des Occidentaux

Les moyens traditionnels ont suppléé dans un pays qui montre, depuis quatre jours, qu'il ne veut plus du système en place. Le Caire et de nombreuses villes du pays, et notamment Suez, demandaient le départ de Moubarak en avalant des quantités considérables de gaz lacrymogènes tirés par les policiers qui usaient également de balles caoutchoutées. Le «peuple veut la chute du régime», «A bas Hosni Moubarak». Les manifestants ont placé la barre haute et une révocation du gouvernement ou des changements au sein du parti au pouvoir - méthode traditionnelle utilisée par le président égyptien-ne suffiront pas. Pas plus que la répression des opposants. Le gouvernement égyptien qui avait procédé à l'arrestation de nombreux contestataires a décidé de placer Mohamed El Baradei en résidence surveillée.

L'intrusion de la société égyptienne qui bouscule un régime allié de Washington suscite l'embarras chez les Occidentaux. A l'image du président américain Barack Obama qui a estimé que la violence n'était «pas une solution aux problèmes en Egypte» et a qualifié M. Moubarak de «partenaire important». Washington ne va pas lâcher un allié si important pour leur politique au Moyen-Orient. Mais le régime fait désormais face à une population qui n'a plus peur. La perspective en est totalement chamboulée. On le savait avec les événements de Tunisie. L'histoire s'est remise en marche malgré les régimes et leurs soutiens occidentaux.