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Quand les
historiens se pencheront sur les cinquante années d'indépendance de notre pays,
que retiendront-ils ? Des drames, des souffrances et beaucoup de misère
derrière une façade démocratique lézardée.
Des gourous politiques autoproclamés ont réussi à inoculer la désespérance à une jeunesse vigoureuse et pleine de vitalité. Aujourd'hui, cette dernière se révolte et on aurait tort de ne pas prendre ces colères au sérieux. Du terrorisme, de la harga, de la drogue, de la prison et des flammes, les jeunes d'aujourd'hui n'en veulent plus. Ils veulent mettre fin au reflexe suicidaire et à la morosité dans laquelle on les a confinés. Ils veulent vivre de manière décente, honnête et libre. Quoi de plus naturel ? Incapables de définir un projet d'avenir intelligent et de proposer un programme économique cohérent, les responsables actuels, accrochés avec la force du désespoir à leurs privilèges, usent et abusent de toutes sortes de stratagèmes pour se maintenir au pouvoir. Leur idéologie nauséeuse laisse apparaitre aujourd'hui des métastases. Inégalités, injustices et frustrations se multiplient. A ce cocktail détonnant s'ajoutent les interdictions de faire des grèves, de marcher, de se réunir, et même d'élever la voix. Tous ces interdits, selon les commentaires des analystes de la presse écrite, sont annonciateurs de crises inéluctables et d'explosions sociales. Ainsi, encore une fois, c'est à reculons et face voilée que notre pays s'achemine vers son destin. Malgré le calme apparent, le bouillonnement est perceptible. Quelques partis politiques s'agitent et tentent, non sans mal, de secouer la léthargie ambiante. La société civile disloquée et tétanisée essaie vainement de reconstruire ses réseaux. Malgré la gravité des crises multiples qui ont secoué et qui secouent toujours notre société, le gouvernement semble se complaire dans une certaine passivité. Son effarant immobilisme laisse perplexe. Rien ou presque n'est fait pour endiguer le chômage et relancer l'emploi. L'économie est toujours en pleine turbulence, l'Etat de droit toujours illusoire et la justice toujours aussi lente. Plaidoyer pour un Etat de droit On nous avait enseigné que l'Etat était d'abord l'organisation de la collectivité pour protéger et défendre l'intérêt général face aux intérêts particuliers. On nous avait aussi appris qu'un Etat républicain était représentatif et démocratiquement constitué. Nous avons cru en ces enseignements. Mais, une fois nos yeux décillés, nous nous sommes vite rendu compte que la réalité était toute autre. L'Etat ne joue pas le rôle qui est le sien. Ses organes (la justice, la police, la santé, les agents? ) disposent d'une armée d'individus anonymes dont le pouvoir absolu et les richesses soudaines et excessives ne sont jamais remis en question. Ces serviteurs zélés de l'Etat, cette nomenklatura omnipotente et omniprésente qui puise sans vergogne dans les caisses de l'Etat, constituent un danger potentiel pour l'intérêt général. Combien de fois nous sommes-nous posé la question de savoir pourquoi, lors des émeutes, les jeunes s'en prennent aux symboles de l'Etat ? C'est certainement dû au fait qu'ils considèrent que l'Etat est loin des citoyens. L'urgence, si l'on veut être efficace, est de le restructurer, de le réformer et de le décentraliser, afin de le rendre plus proche des citoyens et donc de défendre l'intérêt général. Même chose en ce qui concerne la démocratie, notion trop galvaudée qui mérite un approfondissement. Dans un Etat de droit, en principe, le citoyen est constamment consulté sur les sujets qui l'intéressent ou qui le concernent, directement ou par le biais des médias anciens et nouveaux. Encore faut-il que ces moyens de communication au service de la démocratie soient accessibles. Nous n'en sommes malheureusement pas là. L'instauration, depuis des lustres, de l'état d'urgence, a bloqué toute velléité d'échange et de concertation. L'affaissement de l'Etat est devenu irréversible, compte tenu du fait qu'il n'assurait plus ses fonctions. La gestion désastreuse des services publics est une évidence manifeste. Certes, cette situation chaotique n'est pas spécifique à notre pays. Nombreux sont les pays où les despotes à bout de souffle ont montré leurs limites. Accablées par mille et un maux, excédées par les criantes injustices, inquiètes quant à leur avenir, les jeunes générations sacrifiées ont surmonté leurs peurs et sont descendues dans la rue, seul endroit où elles avaient des chances d'être entendues. La Tunisie a dû sacrifier une centaine de vies pour faire entendre sa voix et faire respecter des droits de l'homme et l'Etat de droit. Est-il raisonnable d'attendre le bain de sang et de sombrer dans la spirale de violence pour réagir ? Il est plus que temps de mettre un terme aux frustrations croissantes, aux inégalités manifestes et aux déferlements incessants de scandales financiers qui provoquent chez les citoyens une rancœur envers la politique et un manque de confiance envers ceux qui l'exercent. L'histoire tend à prouver qu'un krach n'est jamais inattendu. Des signes annonciateurs existent pour qui veut bien se donner la peine de les décrypter. En ne s'attaquant pas aux problèmes de fond qui agitent notre société, l'Etat semble n'avoir pas tiré pour lui-même les conséquences des derniers événements survenus chez nos voisins. Tant que le pouvoir ne prend pas la juste mesure de la désespérance de la jeunesse, le risque demeurera grand que les dérèglements actuels perdurent. Véritable sujet d'angoisse ! Minces sont en effet les espoirs d'ouverture et de démocratie dans notre pays sans violence. Trois raisons nous incitent à penser cela : la première est liée à l'attitude intransigeante du pouvoir qui verrouille de plus en plus le champ de l'action politique tout en agitant la matraque. La récente interdiction musclée par des forces de l'ordre déterminées et en surnombre, d'une manifestation pacifique est, on ne peut plus éclairant et convaincant. La seconde raison est l'affaiblissement des acteurs du changement qui peinent à s'unir. Les querelles et rivalités entre partis constituent un véritable blocage. Résignée à l'inacceptable, la société civile de son côté semble complètement désarmée. La troisième raison enfin est que la jeunesse, qui a exprimé de manière assez retentissante son indignation, est résolue à faire entendre sa voix et à reconquérir une dignité bafouée. C'est elle qui contraindra la classe politique à tirer véritablement les leçons des désaveux successifs. |
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