Envoyer à un ami |
Version à imprimer |
Version en PDF
L'université
algérienne est en déclin continu, elle périclite, sombre dans la médiocrité,
l'intelligence y est étouffée. Elle est entrée depuis longtemps dans la trappe
de la mauvaise gouvernance, gouvernance menée à la petite semaine.
L'Etat est défaillant, les universités sont livrées à elles-mêmes, l'absence d'évaluation périodique (audit interne, de contrôle de la gestion, de l'assurance qualité) et de redressement subséquent dénote un défaut de politique claire voire un renoncement caractérisé. Sans projet de société les pouvoirs publics naviguent à vue. Avec la massification de l'enseignement supérieur les universités sont entrées dans une crise durable de performance exacerbée par une crise des valeurs sociales (éthique professionnelle bafouée). Sans institutions idoines l'investissement dans la ressource humaine est resté de faible efficacité hypothéquant l'avenir du pays. Dans cette contribution nous montrerons d'abord l'importance du capital humain dans le développement économique ensuite nous mettrons en exergue les problèmes et autres fléaux qui rongent l'université algérienne et qui l'atrophient. 1: L'investissement dans le capital humain et le développement économique La ressource humaine et le savoir scientifique dont elle est dotée sont la vraie richesse des nations. L'éducation en général et l'université en particulier qui est à son sommet sont la source de la prospérité économique. Le savoir est un facteur essentiel à la croissance économique et à l'amélioration du niveau de vie des populations. Les civilisations se construisent par le savoir. Si la connaissance a été de tout temps au cœur des systèmes de production, fût-elle rudimentaire et organisée de façon informelle ; de nos jours elle est méthodiquement ordonnée et a pris une telle dimension que les pays développés et émergents ont pour attribut «sociétés du savoir». L'économie du savoir est «un stade particulier du développement du système capitaliste, basé sur la connaissance, succédant à une phase d'accumulation du capital physique» (UNESCO, 20051), couplée aux technologies de l'information et de la communication». La contribution du savoir scientifique à la croissance économique est mesurée par les économistes par le biais de la productivité des facteurs productifs (équipements et travail) qui reflète l'effet du progrès technique sur les systèmes de production. Aux Etats-Unis entre 1971 et 1980 sur une croissance annuelle moyenne du produit intérieur brut de 3,2% on a calculé que 1,1% revient à la productivité globale des facteurs (PGF) qui est un indicateur du progrès technique, soit une contribution de 34%. En Europe, sur la même période, sur 3,2% de croissance économique 2,4% incombent à la PGF (contribution de 75%). La Corée du Sud est un exemple probant à citer, son revenu par habitant était environ le même que celui du Ghana à la fin des années 1950, à la fin des années 1990 il était six fois plus élevé, ceci est pour une bonne part le résultat des progrès de l'enseignement dans le premier pays2. Ce sont des ressources institutionnelles adéquates qui ont conduit à la valorisation des ressources humaines, ce qui a engendré le miracle économique sud-coréen qui, en l'espace d'une trentaine d'années, s'est hissé au rang de douzième puissance industrielle du monde. L'investissement en capital humain, l'accumulation et l'application du progrès technique sont donc de puissants moteurs du développement des pays anciennement industrialisés et des pays émergents. L'éducation entretient un rapport vertueux avec le développement économique par sa qualité. C'est la compétence technique et scientifique réelle qui est source de progrès et non une inflation de diplômes sans réelle valeur. 2 : La dévalorisation de la ressource humaine en Algérie La valorisation de la ressource humaine dépend de la qualité des institutions. Et les institutions sont les règles formelles (règlementations, lois) et informelles (valeurs et normes sociales). Les dirigeants de notre pays qui se sont succédé depuis l'indépendance ont investi dans des institutions inefficaces, stériles, les institutions du déclin permanent, source de mauvaise gouvernance à tous les niveaux. De mauvaises institutions générées par un Etat de non-droit donnent toujours de mauvais résultats. Le secteur de l'éducation y compris son palier supérieur n'a pas échappé à la loi d'airain de l'imperfection des institutions. La ressource humaine, véritable richesse des nations, est dévalorisée. Alors que le monde se transforme, l'Algérie et ses universités s'engourdissent. L'université est empêtrée dans de lancinants problèmes, devenant un creuset de la médiocrité. Elle croule sous l'effet de la massification de l'enseignement et de la mauvaise gouvernance, livrée à une destruction insidieuse. Le savoir est déprécié, mis à mal. Elle conjugue impéritie, corruption, népotisme et fraude fruits amers de l'incurie régnante. L'université algérienne fait piètre figure dans les classements internationaux ou alors elle n'est pas classée du tout comme dans celui de Shanghaï qui est l'un des plus crédibles. On dirait qu'elle est hors du monde alors que la mondialisation économique a induit la mise en place d'un nouvel espace éducatif, de nouvelles règles et de nouveaux référents. L'enseignement supérieur est partie intégrante de ce nouvel espace, son redéploiement spatial s'est reconfiguré, s'est élargi. Il s'est internationalisé avec la construction d'universités étrangères dans de nombreux pays, la mobilité croissante des étudiants à l'échelle du monde, etc. Dans notre malheureux pays, régenté par un Etat de non-droit générateur de mauvaise gouvernance, les fléaux tels que la tricherie prospèrent dans l'univers de la connaissance et ce qui tient lieu d'université se dégrade au fil des ans à tel point qu'on a atteint les abysses de l'échec. Dans nos universités la réussite veut être obtenue au détriment du savoir, sans peine, pourtant l'effort est consubstantiel à la science, le mot «études» dérive du latin studium qui veut dire «ardeur» dans son sens premier. Voilà où nous a emmené un semblant de gestion de la part du ministère de tutelle. Des milliers d'enseignants et d'étudiants ont soutenu leurs thèses de doctorat ou leur habilitation à diriger les recherches (qui les hissent au rang de maître de conférences A ou B) ou encore ont accédé au grade de professeur sur la base d'articles publiés dans de fausses revues scientifiques contre paiement (revues bidon électroniques qui pullulent sur internet - éditées par des délinquants d'un genre nouveau). C'est grâce à l'enquête menée par le courageux journaliste d'El Watan (11/11/015), M. Staïfi, sur les fausses revues scientifiques, que le ministère de l'Enseignement est sorti de sa torpeur, a réagi, en proscrivant ces pseudo-revues mais sans prendre de sanctions contre les professeurs faussaires. Le résultat de cette forfaiture est la présence de milliers d'enseignants dans nos universités ayant acquis les grades de maître de conférences A ou B et même de professeur grâce à des publications dans de fausses revues scientifiques. Ils enseignent en toute quiétude et dirigent des mémoires de master et de doctorat ! Le simple bon sens exige de sanctionner les faussaires, dans notre cas de les rétrograder. Honte à ceux qui dirigent le ministère de l'Enseignement supérieur ! Ils auraient dû démissionner après cette félonie, après ce crime commis contre l'intelligence. Face à ce scandale le CNES, ce soi-disant syndicat des enseignants des universités, est resté muet, pas une déclaration, pas un mot, et pour cause ! Sans doute beaucoup de ses membres sont eux-mêmes des enseignants faussaires. La publication dans les fausses revues n'a pas cessé pour autant, elle continue allègrement, on continue à soutenir des thèses de doctorat après avoir publié un article dans ce genre de revues bidon. Le fonctionnement du ministère de l'Enseignement supérieur et de ses universités relève du modèle de «l'anarchie organisée» élaboré par les théoriciens de l'organisation et qui se caractérise par l'incohérence des objectifs, des décisions contradictoires, par l'inaction, l'indifférence, l'absence de volonté de changement, etc. Le plagiat est l'autre fléau prégnant qui ronge l'univers universitaire. Le règne du «copier-coller» s'est généralisé, la grande majorité des mémoires et thèses sont plagiés. On pille sans vergogne le travail des autres. Ce n'est qu'au mois d'août 2016 que le ministre s'est réveillé en promulguant un arrêté qui interdit le plagiat avec une injonction de procéder au contrôle à l'aide de logiciels prévus à cet effet. Récapitulons et dressons le profil d'un enseignant universitaire sans foi ni loi. Il a plagié son mémoire de magistère (ou de master), sa thèse de doctorat, publié deux ou trois articles bidon dans de fausses revues et le voilà maître de conférences ou professeur des universités ! Un parcours «intellectuel» jalonné de fraude. C'est le triomphe des fraudeurs ! Pauvre «université» et pauvre pays ! Dans les facultés où l'enseignement se fait en français, la non-maîtrise de cette langue par les étudiants en fait un handicap sérieux. La majorité de nos étudiants écrivent dans un charabia incompréhensible. Face à cela, on a trouvé une parade, élevée au rang de contrôle privilégié des connaissances, c'est le questionnaire à choix multiples (QCM). L'étudiant mémorise et fait des croix. C'est un pis-aller, il n'élève pas la capacité de l'étudiant à conduire un raisonnement, à faire une synthèse, etc. Dans un monde ouvert et en grande compétition économique où le système de l'enseignement supérieur s'est diversifié (universités privées, universités publiques) l'évaluation de la qualité de l'enseignement s'est imposée et a pris une place particulière. En Algérie la mise en place d'organes d'évaluation de l'enseignement supérieur et de la recherche qui n'ont pas encore entamé leurs actions ne changera rien tant ils sont inféodés au pouvoir politique en place. Il faut des agences d'évaluation indépendantes. Ce n'est pas pour demain. Quant au projet d'auto-évaluation confié aux universités, on peut d'ores et déjà imaginer son devenir dans un Etat autoritaire qui n'a d'autre souci que le maintien et la glorification des dirigeants politiques du moment. L'évaluation des enseignants dont le ministère vient de nous soumettre un canevas (décembre 2016) va-t-elle prendre en compte la fraude avérée qui a gangrené les universités durant près de deux décennies ? Rien n'est moins sûr, l'université va rester un sanctuaire pour ces trafiquants. La rigueur est étrangère au régime politique qui régente notre pays. Conclusion Pour un pays comme l'Algérie l'investissement dans l'enseignement et l'amélioration de son efficacité sont une condition indispensable au développement de son économie. Le rôle de l'enseignement supérieur est d'autant plus particulier qu'il constitue un appui à l'enseignement des premiers paliers (primaire et secondaire), il lui fournit les enseignants et il renforce ses effets économiques induits. L'université algérienne n'est pas totalement pauvre de talents, pour rester optimiste disons qu'il existe un nombre relativement important d'enseignants compétents, n'ayant pas succombé à la fraude. Ils sont souvent marginalisés, travaillant avec conscience et dans la discrétion, ce qui les honore, manifestant de temps à autre leur mécontentement. Ce qu'il faut regretter c'est le silence assourdissant des élites face à cette odieuse régression de notre système d'enseignement supérieur. La massification de l'enseignement supérieur a tout chamboulé, elle exige de nouvelles formes de gestion. On ne gère pas un monde universitaire peuplé de 1,5 million d'étudiants en 2016 comme en 1970 où il ne comptait que quelques milliers (13 800 étudiants). L'adoption du LMD ne restaure pas ipso facto la qualité de l'enseignement, ce système est issu du monde européen marqué par un environnement institutionnel efficient aux antipodes du nôtre. Ainsi sans une bonne gouvernance générée par des institutions adaptées et performantes, dans le cadre d'un Etat de droit, point de salut. Il s'agit d'une réforme en profondeur, une réforme systémique, la reconstruction de l'Etat, seule à même d'arrimer notre système d'enseignement aux conditions de notre temps et aux contraintes des principes de la morale. Sinon on ne sortira pas des marécages de l'exécrable gestion des affaires publiques. Les mêmes causes continueront à produire les mêmes effets. *Maître de conférences Notes: 1 UNESCO: Vers la société du savoir, Paris, 2005. 2 Banque mondiale: Construire les sociétés du savoir, Presses de l'université Laval, Montréal, 2003. |
|