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L'idée initiale
de ce papier était de reprendre en le réaménageant en fonction du temps présent
un long article intitulé: «Mythes et croyances populaires au Maghreb», que
j'avais publié à la demande de mon défunt ami Mohammed Arkoun lequel était
chargé du Tome II (consacré au monothéisme) pour le compte de l'Encyclopédie
des Mythes et Croyances du Monde (Editions LIDIS - BREPOLS , Paris-Londres,
1985)).Pour des raisons liées au contexte, n'est livré ici que le texte
préliminaire.
Il s'agissait alors pour moi de traiter le sujet sous l'angle d'une monographie historique et ethnographique tout à la fois, consacrée à l'Ouest-algérien avec l'antique médina de Tlemcen pour «épicentre». Le sujet ne manquait pas d'intérêt à un moment où, déjà à l'orée des années 70, on assiste un peu partout, notamment en milieu urbain, à la réouverture d'anciennes Zawias, interdites sous Benbella qui ne manifestait pas plus de sympathie pour les Islahistes (souvenons-nous en effet du limogeage inopiné de feu cheikh al-Bachir al-Ibrahîmi). La gouvernance d'alors, qui continuera sous le règne de Boumediene, consistait en une chasse aux sorcières, au profit d'une DOXA Collectiviste aux couleurs locales, prenant ses distances , tout au moins en apparence avec les courants religieux du cru et leurs ayants-cause , qu'ils fussent de fervents citoyens tenant leur sacerdoce d'une culture initiatique puisée dans le mouvement confrérique, mais qui n'ont jamais fait de vagues, ou des intellos de l'après-guerre, ayant rapporté leur savoir érudit des universités d'Al-Azhar, de la Zitouna ou d'Al-Qarouiyne de Fès, qu'ils avaient fréquentées durant la guerre de libération. Un tel contexte était patent au moment où l'article me fut confié. Ce que je constatais alors relevait d'une distanciation radicale, au travers des déclarations publiques émanant de l'Etat à l'égard de toute forme » d'activisme religieux «. La donne sera tout autre avec l'arrivée de Chadli qui, avant octobre 88, a cru devoir ne pas laisser le monopole de la raison coranique à la rue (c'était l'époque de l'édification des grandes mosquées sous l'égide de l'Etat) et même après octobre, mais c'était peine perdue. Si je reprends ce dossier, c'est parce que nous assistons aujourd'hui à une situation inversée. L'Etat réhabilite, depuis l'avènement de Bouteflika, le milieu confrérique, renouant ainsi avec le soufisme dont les ancêtres éponymes furent chronologiquement Al-Hallaj, Abû-médiane, Ibn-'Arabi, et l'Emir Abd-al-Qàder (d'obédience qadiriya), sans oublier Messali Hadj (réhabilité post-mortem) lui-même imprégné de la même «Tariqa» que ce dernier. Le contexte qui succède à la « décennie noire» est celui du retour à une pratique fondée sur la piété dans laquelle se reconnait la société profonde, celle de nos parents et grands-parents, toutes couches sociales confondues .Même si le réformisme musulman (fondé par Al-afghani, Mûhammad ?Abdû, et chez nous par Abdelhamid Ben Badis ) a pu apparaitre comme antinomique de la tradition confrérique , une telle opposition ne concernait que quelques adeptes minoritaires proches de l'œuvre coloniale .Les universitaires de ma génération avaient tendance, à tort, à juger sévèrement le mouvement confrérique dans son ensemble pour ses prétendues compromissions avec l'acteur colonial, ce qui relevait de la méconnaissance des faits et donc de l'exagération. Face à ce renouveau pour ma part tout à fait salutaire, le rigorisme malikite, dont on ignore s'il constitue aujourd'hui l'héritage de l'islahisme ou du wahhabisme, voire d'une confusion syncrétique entre les deux postures (une sorte d'islamisme «savant» formant avec l'islamophobie de Gugguenheim les deux faces de Janus) semble imprégner le citoyen ordinaire, notamment les jeunes générations. Rigorisme passif ou inoffensif certes, mais dont les effets pervers ne sont pas à écarter, même si les auteurs d'un tel rigorisme n'en sont pas toujours conscients .Il arrive en effet, par ces temps troublés, qu'un tel rigorisme ne vienne pas des mosquées, mais des universités prestigieuses de l'Europe ou des Etats-Unis ! Il est l'émanation d'une intelligentsia rompue à une rhétorique de haute voltige, et qui entend stigmatiser une autre intelligentsia formée aussi à la langue de Voltaire, mais pas pour le même usage : moins docte sur les lois du sacré mais plus attentive à l'herméneutique du fait religieux, cette dernière est conspuée parce qu'elle se revendique d'une conception sécularisée du vivre-ensemble, en vertu de quoi l'islam, en tant que praxis ( dhîn ) ne recouvre pas ce qui relève du profane (dûnia), sachant que ce principe d'autonomie ne constitue en rien un déni de la foi, laquelle constitue un acte personnel et privé qui n'est ni à démontrer ni à mettre en scène . L'exemple qui me vient à l'esprit pour illustrer ce propos, valable pour toutes les religions du Livre, est celui du paléontologue Teilhard de Chardin (fin 19eme), Jésuite de surcroit, qui a contribué à populariser la théorie darwinienne de l'évolution (cf.»L'origine de l'homme», Ed.Payot) sans renier pour autant sa foi. Les hommes de cette modernité ont existé chez nous bien plus qu'on ne le pense, dans l'histoire passée, à une époque où la civilisation musulmane était à l'avant -garde du savoir et de l'art, et où elle ne trainait aucun complexe face à l'Occident chrétien, même si cette époque a connu des hauts et des bas. Pour ce qui est des nouveaux prédicateurs formés à l'école de Fichte, de Shakespeare ou de Molière, nous voila face à un discours plus dangereux que celui des imams activistes et autres banlieusards s'auto-intronisant comme détenteurs du droit à la fetwa. Je pense tout particulièrement à un intellectuel de haut vol, signant deux articles dans le quotidien d'Oran au cours de ces dernières semaines, qui ne daigne pas interpeller le tout venant, mais ceux qui sont généralement considérés comme des islamologues sans préjugés à l'endroit des trois religions monothéistes, et loin de tout classement normatif (cujus regio ejus religio), ayant tenté tout au plus de retrouver le fil conducteur fédératif des «Trois religions d'Abraham». L'une des cibles visées est précisément l'auteur d' «Al-Hallaj» Louis Massignon. Autrement dit, l'ennemi juré, ce n'est pas Renan dont l'antisémitisme est avéré, ce n'est pas Sylvain Gugguenheim qui dans un ouvrage polémique («Aristote au Mont Saint-Michel») dresse un réquisitoire contre la «prétendue» primogéniture des penseurs arabes dans l'introduction en Occident de a philosophie grecque, ouvrage qui a fait depuis l'objet d'une publication collective réfutant ses thèses («Les Grecs, les Arabes et nous. Enquête sur l'islamophobie savante, Ed.Fayard), ce ne sont pas les auteurs de cette trempe qui sont visés, mais Louis Massignon, chez qui monsieur Abdehamid Charif ne trouve que manipulations et haine larvée envers l'Islam. Dans un article précédent, il a élevé au pinacle Malek Bennabi (pourquoi pas, sauf que les étudiants que nous étions au tout début de l'indépendance avions du mal à comprendre le pseudo-concept de «colonisabilité» rabâché à satiété par Malek Bennabi dans son ouvrage culte), et, à l'inverse, formula la même invective au même Massignon et à son supposé «porteur d'eau» Mohammed Arkoun. Ce dernier est ravalé au rang de «harki» de la pensée occidentale, n'ayant eu cesse de vouloir, en quelque sorte, évangéliser l'Islam! On peut, mutatis mutandis, reprocher à Ibn-Rûchd d'avoir tenté, bien avant lui, d'helléniser l'Islam, et qui plus est, d'avoir révélé à la conscience de l'Occident chrétien, notamment chez Saint Thomas d'Aquin, la dialectique d'Aristote ! Notre maître à penser, s'adressant forcément à un lectorat réduit compte tenu d'une phraséologie élitiste, ira jusqu'ã légitimer la peine capitale ( que des « esprits chagrins» chez nous entendent dénoncer ), en arguant du fait que des sociétés modernes, voire civilisées comme les Etats-Unis la pratiquent dans la quasi-totalité de leurs Etats ,faisant tabula rasa de ce que cette grande puissance admet, de jure, la prédation due au port d'armes à titre privé et, de facto, couvre le racisme à l'égard des Noirs. Nous voilà de nouveau face ã la dialectique du maitre et de l'esclave! Toute la question est de savoir qui est l'un et qui est l'autre. Le danger de ce type de discours, c'est qu'il se présente de manière « clean », résolument inattaquable, donc potentiellement prêt à l'emploi pour le législateur qui, dans certains circonstances difficiles, se trouve en mal d'inspiration. De telles circonstances donneraient lieu à une verbalisation sémantique régulationniste, une sorte de «feed-beack» entre la raison libérale (au sens économique, voire marchand stricto sensu) et la raison coranique, surtout lorsque des situations de crises anomiques donnent lieu à la fragilisation des institutions de l'Etat à l'avenant. C'est à l'aune de ce qui vient d'être rappelé que nous pouvons relever des faits à première vue distincts les uns des autres, anodins dans certains cas et virulents dans d'autres. Par exemple comment relier l'appel au châtiment suprême proféré récemment par un Imam sorti de nulle part en mal de médiatisation, à l'adresse de Kamal Daoud (dont je ne partage pas toujours le style truffé d'allégories, de tournures allusives, de demi-mots et autres clins d'œil, tournant le dos à la qualification des faits, le tout s'adressant à un public réceptif à l'ésotérisme. Mais c'est un point de vue de sociologue et non de littéraire : faut-il pour autant attenter à sa vie?...), avec une apparente impunité de la part des commis de l'Etat chargés de la protection des citoyens et de la sanction de la violence, fût-elle déclarative, ceci d'une part, et de l'autre, l'information donnée par un journaliste d'une chaîne publique nationale, qui s'étonne de voir des citoyens algérois acheter le sapin et les guirlandes pour fêter chez eux la fin de l'année, ne sachant pas si l «étonnement» est personnel ou s'il vient de la rédaction, autrement dit de la tutelle ? Apparemment, on peut arguer qu'il n'y a aucun rapport entre les deux faits. Et pourtant, le dénominateur commun est la banalisation : la banalisation de la sentence baptisée «fetwa» et qui présuppose, au plan du droit, qu'entre le juge et le justiciable, l'Etat est res nullius, vacuité, puisqu'un simple citoyen peut s'arroger le monopole de juger publiquement un autre citoyen et décider de son sort, sans que la puissance publique ,et les instances judiciaires en premier lieu interviennent, tout au moins rappellent que c'est à l'Etat souverain , émanation de la volonté populaire qui lui en a confié la mission, de détenir le monopole de la violence, donc de la justice. Même un appel symbolique ne serait pas de trop. Banalisation aussi de ce non événement concernant l'état d'âme de ce journaliste qui prend à témoin le téléspectateur algérien, voire étranger, sur un rituel festif réputé chrétien, connoté au sapin. Là aussi, le donneur d'ordre ne filtre pas, laisse faire, ou s'en fout face à l'accumulation de préjugés qui, dans le meilleur des cas passent inaperçus et, dans le pire des cas, sont reçus cinq sur cinq. Mais dans les deux cas , on assiste à un recul non seulement du sens critique ,mais encore de la culture au sens banal du terme, la culture basique, celle de nos ancêtres, citoyens ordinaires, babouchiers, coiffeurs, tisserands, épiciers, voire fellahs, et autres acteurs de la petite production marchande, le socle dur de la nation, celle qui détenait tout à a fois le savoir-faire, le savoir tout court (je pense aux textes érudits du hawzi, ?arûbi, melhûn et autres corpus de nos chants populaires ), et un projet de société, s'enracinant dans la matrice de la corporation et de la zaouia avant de compter avec les premiers militants du PPA, cégétistes de surcroit pour quelques uns d'entre eux, quand le tisserand ruiné par la fabrique mettra la clé sous le paillasson pour se prêter de guerre lasse à la prolétarisation durant l'Entre-Guerres. Ces gens simples étaient cultivés au sens anthropologique du terme. Ils savaient que beaucoup de fêtes rituelles remontent à la protohistoire que notre religion, comme toutes les religions, ont canonisées. Celles provenant du récit biblique, comme le sacrifice d'Abraham, comme celles, toujours antérieures à l'Islam, héritées des rites byzantins, romains, ou out simplement berbères. C'est ainsi que Yanayar, qui est une fête païenne du solstice d'hiver (dédiée à la fertilité de la terre) est l'alter ego du rituel du sapin, qui remonte au deuxième millénaire avant Jésus-Christ, emprunté aux Celtes, par l'Europe occidentale à partir du XVe siècle, notamment en Alsace, où le rituel du sapin fut associé, comme chez les Celtes, à un symbole propitiatoire, notamment la naissance, et d'une manière générale à la fertilité de la terre et des hommes, à l'instar des rituels syncrétiques de ?Achûra dans nos villages de l'Atlas (admirablement étudiés par mon ami Abdellah Hammoudi) ,à l'instar des Saturnales connues en Méditerranée romaine, comme des rites agraires fêtés en Palestine par les cananéens, sous la protection d'Astarté déesse de la fécondité et de Ba'l dieu du grain), d'où le rituel de la nativité de Marie donnant naissance à Jésus, à une date incertaine, décidée trois siècles après en se calant sur le calendrier Julien lui- même tardif. Bref, les chrétiens ont emprunté aux Celtes un rituel de la naissance, lesquels connaissaient l'épicéa, le choix du sapin intervenant ã la suite d'une légende médiévale allemande sans importance pour notre propos. Au total, si le sapin symbolise tout simplement la fin de l'année pour le commun des mortels, peu importe de raccrocher cette date au réveillon chrétien, ou à l'antécédence celtique, car nos fêtes religieuses sont truffées de cultes hérités d'un passé lointain. Est-il besoin de rappeler que la circoncision chez nous est héritée de la religion juive, qui l'a héritée elle-même de l'Egypte pharaonique, laquelle n'avait rien à voir avec le monothéisme ? Après la sortie d'Egypte sous la conduite de Moise, le peuple juif fit souche avec les Madianites, peuple autochtone du Sinaï, qui avait pour dieu Yahvé, mais ont continué à pratiquer la circoncision pour se distinguer des autochtones ( le concept de «judaïté», où se trouve confondus religion universelle et peuple «élu», c'est-à -dire réservé à une ethnoculture singulière, est, parmi les religions du Livre, la seule à être fermée au prosélytisme, à l'exception de quelques exceptions, notamment africaines après la destruction du Temple) .Parmi les religions monothéistes , c'est le christianisme qui s'est le plus prêté au syncrétisme, c'est-à-dire l'association à la religion officielle de rites et cultes païens auprès des Gentils d'Asie Mineure. Le message de Jésus, dont la vocation initiale risquait de n'être qu'une énième secte juive à la suite de sa mort, un pharisien , Saint Paul, qui avait pourtant participé à la lapidation d'Etienne, premier martyre, quitta la Palestine pour Tarse ( le fameux « chemin de Damas» ) et entreprit de convertir les Grecs avec lesquels il consentit quelques concessions pour réussir à convertir le plus de monde. Il toléra le refus de la circoncision, considérée à l'époque comme une marque d'identification ethnique, sémitique en l'occurrence. La rupture d'avec le judaïsme sera désormais consommée, ce qui donna lieu à une nouvelle religion. Le mot «chrétien» est attribué pour la première fois aux nouveaux convertis d'Antioche, de Corinthe et de Tarse (Turquie actuelle : voir Peter Brown, «Le renoncement à la chair: Célibat et virginité dans le christianisme primitif, Ed.Gallimard). Trois siècles plus tard, l'empereur romain Constantin (édit de Milan, 313) mit fin au statut de «martyres» chez les chrétiens en, non seulement autorisant leur culte, mais en se convertissant lui-même. L'historiographie explique une telle libéralité par un souci de mieux tenir l'Empire, dans un contexte décadent, et où L'Eglise chrétienne a su tisser, même dans la clandestinité, un réseau de fidélité (fides) que l'Empereur voulait exploiter au profit de considérations politiques, ce qui explique la tendance au syncrétisme de l'Eglise romaine, notamment catholique, et cela s'accentuera avec les Francs et les Saxons aux siècles suivants, malgré l'Edit de Thessalonique (392) en vertu duquel l'Empereur Théodose Ier déclara le catholicisme religion officielle de l'Empire romain, et l'interdiction formelle du polythéisme. La tradition des rois thaumaturges et saints faiseurs de miracles connue au bas moyen-âge n'est pas étrangère à la libéralité de l'Eglise romaine, et ce jusqu'à l'Inquisition à la fin du XVe siècle , à l'égard du paganisme .L'Islam quant à lui n'a pas fait exception à la règle : en marge de la tradition biblique , certaines pratiques préislamiques connues chez les populations mecquoises ont été adoptées, toujours dans le but d'accueillir dans la nouvelle religion les Arabes de la Jahiliya, comme la polygamie par exemple, qui n'a pas été inventée par l'Islam. De même, en matière de droit immobilier et de droit successoral, la Chari'a a été elle-même enrichie par les coutumes (?urf) rencontrées aussi bien au Maghreb qu'au Machreq et en Asie. On peut même évoquer des régulations qui ont eu pour fin de contourner la Chari'a au profit du maintien de certaines coutumes , comme l'exhérédation des filles de l'héritage foncier en recourant au habûs qui permet de désigner les ayants-droits en lignée mâle et obtenir ainsi que le patrimoine n'aille pas , à terme , aux familles collatérales. Nous pouvons évoquer aussi la chefa'a (droit de préemption qu'on retrouve également dans les régimes de droit réel ailleurs qu'au Maghreb, chez les terroirs médiévaux français en marge des fiefs féodaux, par exemple. Notons à ce titre que le concept de «communisme», inventé par Grachus Baboeuf au 18eme siècle, tire sa signification générique de ces manses villageois d'avant la Révolution française). Il ressort de ces quelques rappels historiques que la norme canonique, pas plus que la religion ès qualités, ne recouvrent de manière exclusive les pratiques de la société réelle, sans que ces pratiques fussent considérées dans le passé comme une transgression à l'égard de la religion. Elles ne sont pas opposables à elles, mais l'accompagnent dans ce quelles recèlent, pour le meilleur ou pour le pire, de vivant, d'existentiel, de patrimonial, de charnel, de civilisationnel. La tendance au rigorisme qui ne retient, du reste que la lettre et non l'esprit, nous invite à la clôture, à la sécheresse, à la décadence enfin, et cela ne semble pas choquer, ni émouvoir la société civile .Cela se propage partout , à Nouakchott où un jeune «haddad»( appartenant à la caste des forgerons, connus sous le nom de «inaden» en milieu touareg, et qui avaient ou ont encore , suivant les régions, un statut d'esclave, s'est permis d'évoquer le fait que la religion n'a pas libéré, du moins dans son pays, les gens de sa condition. Il est condamné à mort pour propos blasphématoires .De même, dans l'Egypte de Sissi, une journaliste est condamnée à la prison à perpétuité pour avoir trouvé absurde d'égorger les millions de moutons à cause d'une histoire de sacrifice attribué à Abraham, dont on ne sait lequel d'Ismaël ou d'Isaac devait être sacrifié ( les communautés musulmane et juive ne se sont jamais entendues sur le sujet...), sous prétexte qu'elle a injurié toutes les religions du Livre, alors que son souci était probablement celui de la protection des animaux! Ce qui et sûr, c'est que de telles sentences sont prononcées par des instances gouvernementales qui, officiellement, n'ont pas d'accointance avec les islamistes, mais qui seraient enclines à faire de l'excès de zèle pour obtenir la paix avec la rue. Curieuse coïncidence, cette politique s'appelle : la loi du bouc-émissaire. Notre ancêtre Abraham ne pouvait pas être mieux servi... Il faut reconnaitre que ces épisodes de conservatisme ne sont pas propres au temps présent, ils y eut des intermèdes au cours de notre histoire ibéro- maghrébine. Au XIIe siècle, les Princes almohades ne furent pas tendres avec avec les savants et les poètes de Séville ou de Cordoue. Ibn Rûchd en a subi les épreuves, ses livres furent brûlés sur la place publique. Quelques uns ont pu être sauvés grâce à des passeurs pyrénéens .Le grand poète Ibn- al a'ma avant lui, aveugle de surcroit, a frôlé la mendicité avant de s'exiler au Caire. Le prince nasride Ibn-al-Khatib (milieu du XVe avant la chute de grenade en pleine décadence ) l'auteur d'un mûwachchah chanté à Alep, à Fès et à Grenade ( jadaka-l-ghaïtû idha-al-ghaïtû hama, ya zamàna-l-wasli lil-andalüsi, lam yakûn waslûka illa hulûma, fil-kara aw khilsata-almûkhtalisi ), sera mis en prison à Fès, exécuté, enterré , exhumé puis brûlé par ceux qui l'ont jalousé pour son art sous prétexte de propos hérétiques, et la liste est longue. Ceci pour l'histoire. Quant aux dérapages d'aujourd'hui, ils ne semblent pas déranger outre mesure ni la plèbe ni les instances publiques, à l'exception de quelques déclarations courageuses à la presse, d'une part du ministre des affaires religieuses et d'autre part de la ministre de la culture (appel à l'apaisement à propos de la sortie du film «l'Oranais», entre autres), qu'il faut saluer mais qui restent insuffisantes. Dans un tel contexte, les minorités qui ont le privilège de la plume et qui entendent être les gardiens de la sécularité, du vivre semble et de l'ouverture d'esprit, sont de moins en moins audibles. Elles passent pour autistes aux yeux de la ?amma (la raison majoritaire pour parodier Arkoun). Épilogue Ce long exposé aura gardé sa raison d'être, je l'espère, en marge de l'étude monographique annoncée plus haut et qui, en dépit de son utilité didactique ou tout au moins documentaire, pourra être reprise plus tard. Dans le contexte actuel en effet, une telle étude risque de paraitre bien dérisoire devant l'ampleur des évènements qui nous rattrapent, notamment le carnage survenu à Paris et en Ile-de-France quelques jours avant l'écriture de ce papier préliminaire. Mais il n'est pas inutile, en revanche, de reprendre l'étude sur les Mythes et croyances populaires au Maghreb dans une conjoncture plus propice, sachant que sur les aspects fondamentaux, ce travail d'enquête réalisé il y a trente ans n'a pas pris une ride. Par ailleurs cette réflexion a pour seule raison d'être de contribuer à un examen pédagogique et à une vision à la fois apaisée et distancié de notre patrimoine culturel et spirituel, avec ses hauts et ses bas bien sûr, car l'épopée spirituelle et culturelle d'une nation, sur la longue durée s'entend, n'est jamais un fleuve tranquille. Néanmoins, ce patrimoine remonte à pas moins de 5000 ans, et les peuples maghrébins, depuis l'avènement de l'Islam, ont su l'entretenir et s'y reconnaître sans perdre leur foi. Ils ont, chemin faisant, dans la mesure du possible, un héritage plurimillénaire basé sur le Culte des Saints, des imaginaires et des légendes qui fondent notre identité, en parfaite symbiose avec le sens du sacré. * Professeur Émérite en anthropologie juridique Chargé de la Maison des Sciences Humaines Université de Tlemcen |
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