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Depuis la
victoire du Qatar pour l'organisation de la Coupe du Monde de 2022, tous les
yeux du monde sont tournés vers ce pays. Alors que certains célèbrent ce
développement comme une plate-forme pour le Qatar (et la région en général)
d'opérer sur la scène mondiale, d'autres s'interrogent sur la légitimité de ce
(micro) pays à accueillir de grandes manifestations sportives, telle que la
Coupe du monde de football.
Les soupçons se posent sur sa méthode de lobbying dans le sport, le monde de la finance et la politique ; son conservatisme religieux ; et, bien sûr, son climat estival accompagné de hautes températures hostile à la pratique sportive. Pourtant, l'augmentation de la visibilité du Qatar dans le sport n'est pas un phénomène nouveau ou une simple coïncidence, mais plutôt la preuve d'une approche stratégique qui utilise le sport comme un vecteur de développement et de relation internationale. Cette stratégie peut être divisée en quatre grands piliers: 1) l'investissement direct dans l'industrie du sport ; 2) l'accueil de grandes manifestations sportives; 3) le développement du sport de haut niveau, et 4) la diplomatie part le sport. L'INVESTISSEMENT DANS L'INDUSTRIE DU SPORT Les dernières années ont vu le Qatar s'engager dans une campagne agressive d'investissement dans le sport par l'intermédiaire de son fond souverain, Qatar Sport Investment (QSI), une filiale de Qatar Investment Authority (QIA). QSI, qui a été fondé en 2005 à travers une initiative conjointe entre le Comité Olympique du Qatar et le Ministère des Finances , est à l'origine d'importantes acquisitions dans le monde du sport, comme par exemple celui du club de football de la capitale française, le Paris Saint- Germain (PSG), une marque de vêtements de sport (Burrda Sport), divers droits de télévision pour Al-Jazeera Sport , ainsi que le sponsoring de grands clubs européens tels que FC Barcelone (estimé à 30 millions d'euros par an de 2011 à 2016 ). Le Village Olympique des Jeux Olympiques de Londres 2012 a été vendu à une autre filiale du QIA, Qatari Diar, pour la somme de 557 million de livres sterling. Le but de ces investissements, comme souligné/rappelé par les dirigeants politique et chefs d'entreprises, est de contribuer à promouvoir d'autres secteurs économiques, tels que la grande distribution, l'immobilier, l'hôtellerie et le tourisme, dans le cadre d'une stratégie plus large de réduction de la dépendance au pétrole et gaz, et ainsi d'explorer à travers le monde, d'autres sources de revenue pour l'économie nationale. Jusqu'ici, la stratégie a été fructueuse avec comme exemple la chaîne sportive qatarie, Al- Jazeera Sport, qui aujourd'hui domine les droits de diffusion des compétitions sportives majeures pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord. La chaîne a récemment étendu son accord de droits de diffusion avec la FIFA pour les Coupes du Monde de 2018 et 2022. L'accord porte sur le câble, le satellite, le terrestre, le mobile, et la transmission haut débit par Internet, pour vingt-trois pays du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord. La valeur de l'accord est estimé à 1 milliard de dollars. La chaîne a également étendue son marché en Europe et aux États-Unis, en concurrence avec d'autres puissantes chaines de TV telles que Canal + en Europe et ESPN aux États-Unis. Al-Jazeera Sport (BeIN Sport depuis le 1er janvier 2014) a récemment lancé quatre chaînes payantes : BeIN Sport 1 et 2 en France, et BeIN Sport en anglais et en espagnol aux États-Unis. ORGANISATION D'EVENEMENTS SPORTIFS ET DEVELOPPEMENT DU SPORT DE HAUT NIVEAU L'organisation des Jeux Asiatiques de Doha en 2006 a été un tournant dans la stratégie du Qatar pour l'organisation des grands événements sportifs. Dans le cadre de la préparation de la Coupe du Monde de 2022, qui sera le premier méga-événement sportif dans le monde arabe, le Qatar a réussi à obtenir l'organisation de diverses compétitions sportives internationales, telles que le championnat du monde de natation en 2014, le championnat du monde de handball en 2015, le championnat du monde de cyclisme sur route pour 2016, et en 2018, le championnat du monde de gymnastique artistique. En analysant les déclarations des dirigeants politiques, les responsables sportif, et dans le contenu des articles dans la presse locale, le discours dominant qui émerge par rapport à la stratégie du Qatar pour l'organisation des manifestations sportives internationales insiste sur les aspects suivants (voir Amara, Mahfoud (2005), 2006 Qatar Asian Games: A 'Modernization' Project from Above?, Sport in Society, 8,3, pp.493-514 ): la réponse positive du Qatar aux effets de la mondialisation qui allie traditions avec modernité; l'adhésion du Qatar aux valeurs universelles de la démocratie, solidarité et des droits humains ; le respect du Qatar pour les différences culturelles, et le Qatar en tant que point de rencontre entre l'Orient et l'Occident. Dans le cadre de sa stratégie, le Qatar a l'ambition d'être la plaque tournante de l'excellence sportive dans la région. Des ressources financières considérables sont consacrées à la construction d'installations sportives et de centres pour le développement du sport de haut niveau. Joueurs et entraîneurs arabes et étrangers sont recrutés afin de contribuer à hausser le niveau des ligues locales et la performance des équipes nationales dans les sports olympiques, notamment dans les sports collectifs comme le football, le handball, le basket-ball et le volley-ball. En outre, des chercheurs scientifiques dans le domaine du sport (oui, le sport est une science) sont recrutés partout à travers le monde pour soutenir le développement d'un système de sport de haut niveau dans le pays. Aspire Sport Academy et ASPITAR (le centre de la médecine du sport) sont les deux piliers de cette stratégie de développement. Ils sont tous deux situés dans " Aspire Zone ", qui est le nouveau centre de l'industrie du sport, sport de haut niveau et sport pour tous à Doha. La devise de la Fondation Aspire comme indiqué clairement sur son site web «d'ici 2020, nous serons la référence dans le sport d'excellence dans le monde». En plus de l'importation des migrants qualifiés dans les sports, le Qatar encourage également, via sa politique de Qatarization, l'émergence d'entraîneurs, d'athlètes d'élite et d'administrateurs sportifs nationaux. Mutaz Essa Barshim, médaillé de bronze en saut en hauteur lors des Jeux Olympiques de 2012 et formé à l'Académie Aspire, a été le premier national à avoir remporté une médaille olympique. Les données récentes publiées par Qatar Statistics au sujet des fonctionnaires qataris travaillant dans les fédérations sportives montrent que dans un certain nombre de sports comme notamment le handball, le football et le volley-ball, les nationaux sont maintenant en concurrence (Qatar Statistics Autority, 2011). MARKETING ET DIPLOMATIE PAR LE SPORT Le sport fait partie intégrante de la diplomatie du Qatar à travers un jeu d'alliances avec le monde de la finance et de la politique. Le but est de façonner son image de marque et sa présence sur la scène internationale. Le Qatar est présent dans les conseils administratifs des organisations sportives régionales, continentales et internationales. Le Centre Internationale de Sécurité du Sport (CISS) et le laboratoire antidopage nouvellement créés, font la promotion du Qatar en tant que chef de file international dans la protection de l'intégrité du sport international, la lutte contre la corruption, l'exploitation et le dopage dans le sport. Le forum annuel international Doha Goals est devenu une occasion de réunir les dirigeants du monde (politique, le monde des affaires, médias, et l'industrie du sport) à Doha afin de discuter du pouvoir du sport dans «le rapprochement des cultures». Lors du discours inaugural du forum l'an dernier, l'ancien président français, Nicolas Sarkozy, avait présenté le Qatar comme un pays où il est possible de concilier la foi, la tradition et la modernité (Le Nouvel Observateur, Qatar: Sarkozy ambassadeur? du sport, 11 Décembre 2012). À cette fin, le Musée Olympique au Qatar a récemment lancé un projet pour promouvoir et sauvegarder le patrimoine de la culture sportive arabe. Lors des Jeux Olympiques de 2012, le musée avait organisé une exposition (dirigée par la photographe Brigitte Lacombe et la réalisatrice de documentaires Marianne Lacombe) au cœur même de Londres, sous le thème "Les femmes arabes dans le sport ". Ce faisant, ce devait être un message fort à la communauté internationale que le Qatar, tout en étant un pays arabe et musulman jaloux de son patrimoine, est ouvert aux femmes dans le sport. La participation pour la première fois des femmes qataries aux Jeux Olympiques a été saluée par le mouvement olympique. La présidente de Qatar Fondation, Sheikha Mozah bint Al-Missned, épouse de Cheikh Hamad bin Khalifa Al-Thani, ancien Emir de l'Etat du Qatar, a participé activement à la présentation de la candidature du Qatar pour la Coupe du Monde. Cependant, l'influence grandissante du Qatar dans le sport n'est pas bien accueillie par tout le monde. Certains analystes vont même jusqu'à argumenter que l'investissement du Qatar dans le sport ne peut pas être expliqué en termes purement économique. Ils affirment que c'est plutôt un phénomène politique résultant de conséquence (perverses) de la mondialisation, qui permet " aux petits pays riches de la périphérie d'acquérir une énorme influence politique " ( sur le même sujet voir Borja, Garcia et Amara, Mahfoud (2013) Media perceptions of Arab investment in European football clubs: The case of Málaga and Paris Saint-Germain, Sport & EU Review, 5,1, pp.5-20 ). Conclusion Grace aux importants investissements dans le sport et l'influence croissante de la chaine Al-Jazeera dans le monde arabe et au-delà, le Qatar a réussi à se positionner comme un acteur influent dans le monde des affaires et la politique, et en tant que destination financièrement rentable pour le sport. Kamrava (Qatar: Small State, Big Politics, Cornell University Press, 2013) décrit le Qatar dans son dernier ouvrage comme un « petit état avec de grandes ambitions politiques». De même, le Qatar est devenu un «petit état avec de grandes ambitions sportives». Cependant, la stratégie de marketing par le sport a également exposé le pays aux critiques des médias internationaux et des organisations non - gouvernementales en matière de droits civils et de la protection de l'environnement. Le pays est confronté à un certain nombre de défis en ce qui concerne les préoccupations environnementales découlant de la construction d'installations sportives massives, tandis que les défenseurs des droits de l'Homme ont appelé à une amélioration des conditions des travailleurs migrants mobilisés pour la construction des stades pour la Coupe du Monde. Des préoccupations ont également été soulevées concernant les droits à l'emploi et la mobilité des joueurs professionnels étrangers. Certaines questions sont également posées sur la viabilité de la stratégie d'investissement du Qatar dans le sport, compte tenu du faible taux de participation au sport chez les qataris, l'énorme coût financier pour maintenir les installations sportives, et le faible rendement sur investissement par rapport à la performance sportive au niveau international. Cela étant dit, on peut affirmer que le Qatar, comme n'importe quel autre pays, a le droit d'être ambitieux et de protéger ses intérêts. Sur le plan sportif, le Qatar veut avoir sa part du marché du sport international, jouer un rôle actif dans l'organisation des événements sportifs internationaux, dominer la performance sportive, tout du moins dans la péninsule arabique, et ainsi améliorer son classement dans le monde arabe, au niveau asiatique, et international. Enfin, et pour finir, en tant qu'algérien, je pose la question suivante : quels sont les piliers de la stratégie de développement et de relations internationales par le sport de l'Algérie ? J'ai participé en 2009 à une conférence organisé par l'Institut de l'Education Physique est Sportive (Dely-Brahim, Université d'Alger 3) sur le thème générale de « la Professionnalisation du Sport». J'ai choisi d'exposé sur l'industrie du sport dans les pays du Golfe, comme un model émergent dans le monde arabe (voir mon article publié au Quotidien d'Oran, Mardi 31 mars 2009: Le sport entre «Modernité» et «Authenticité" dans la Péninsule Arabe). Un responsable du sport de haut niveau en Algérie présent ce jour la m'a un peu critiqué d'avoir présenté les pays du Golfe comme « un model ». Dans les jeux panarabes de 2011 organisé à Doha, le Qatar s'est classé en 4ème position (avec 32 médailles d'or) derrière l'Egypte, la Tunisie, et le Maroc, et devant l'Algérie. Peut-être il est temps de prendre au sérieux le proverbe Algérien qui dit : « Aned Ouala Tahssed ». * Maitre de Conférences en management et politique sportive, l'université de Loughborough, Grande Bretagne. Vice-président de International Society of Sport Sciences in the Arab World (I3SAW). Le texte originale en anglais sur le Qatar a été publié 29 Novembre 2013 a la revue en ligne e-Internationale Relations : http://www.e-ir.info/author/mahfoud-amara/. Je remercie mon ami Abdelkader Abderrahmane de m'avoir aidé à traduire le texte de l'anglais. |
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