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Kamel Landoulsi, PDG de Prima, est un des
leaders de l'immobilier en Tunisie. Un secteur qui marchait encore plus ou
moins bien avant l'étincelle de Sidi Bouzid. Il est écartelé entre son bonheur de
citoyen libre et son inquiétude de chef d'entreprise. Car pour lui «c'est
l'immobilier qui se cassera la figure en premier». Sans que le reste ne s'en
sorte mieux. Tant qu'une nouvelle administration efficace ne donne pas de la
visibilité à tout le monde. Révolution côté cour.
Kamel Landoulsi a repris au plus vite ses habitudes. Il est au bureau à sept heures du matin. «Tout le monde est là, mais personne ne travaille», lâche-t-il d'emblée avec un sourire entendu. La révolution ? «Comme un rêve, on ne sait pas si on est acteur dedans». Ou si on subit ? Voisin de la résidence de Ben Ali sur les falaises entre le palais de Carthage et Sidi Boussaïd, il a assisté, aux premières loges, au départ du président le vendredi 14 janvier «vers 16 heures». Un rêve aigre-doux au réveil. «Je ne regardais jamais mes échéances de paiement. Depuis hier je le fais. Je vois que nous avons des sorties de caisse, mais du côté des rentrées rien. La machine de l'économie tunisienne s'est arrêtée». Kamel Landoulsi a construit depuis 1978 un groupement d'entreprises qui intègrent tous les métiers de la promotion immobilière, de l'étude à la vente. Il est arrivé au groupe Prima de faire travailler 1500 personnes en même temps sur ses chantiers. Il a même lancé le SITAP, un salon de l'immobilier tunisien à Paris très couru. Il connaît son secteur mieux que quiconque, ses bases de données privées servent à la planification du gouvernement et aux banques. Aujourd'hui, il ne veut pas passer pour le prophète de l'Apocalypse mais il est réaliste. «C'est l'immobilier qui va se casser la figure en premier. Les prix vont chuter. Ils étaient légèrement au-dessus de la valeur réelle, ils vont descendre en dessous de cette valeur. Ce sont les spéculateurs qui vont en profiter. Ils vont acheter dans le creux pour revendre plus tard quand le marché va repartir». Mais ce n'est pas là le plus grand souci du PDG de Prima. «Nous n'avons plus aucune visibilité. Dans mon métier c'est vital. J'avais préparé un planning sur les 5 prochaines années juste avant le début des évènements. J'allais commencer à déposer mes dossiers pour les autorisations administratives. Maintenant, je n'ai aucune idée sur comment cela va se passer». Kamel Landoulsi espère toutefois que le créneau sur lequel il s'est redéployé depuis quelques années va moins souffrir du ralentissement attendu de l'activité économique pendant, au moins, le premier semestre de 2011. «Il y a une bulle dans le logement de standing. Cela est excessivement cher». Trop de spéculateurs sont venus sur ce créneau «pour faire un coup». «Nous sommes quelques-uns, des professionnels de l'immobilier, à avoir opté pour le logement économique. Il y a là une vraie demande et une meilleure vision pour nos entreprises». «Les banques vont devoir supporter le creux» Kamel Landoulsi espérait passer les commandes de son groupe à ses filles, spécialistes dans le management de projets, et partir «profiter un petit peu de la vie». C'est raté. «Je travaille depuis l'âge de18 ans. Je suis fatigué de devoir prendre des décisions tous les jours». Le Benalisme ? Il s'en accommodait péniblement, comme une majorité de chefs d'entreprise qui ont repris la parole depuis une semaine, pour raconter, eux aussi, leur «bagne à peine doré». Kamel est sarcastique devant le débordement exubérant de l'expression populaire, «nous étions dix millions de lâches, nous devenons dix millions de Tarzan», dit-il en riant. Les scènes de travailleurs chassant leur directeur dans les entreprises publiques le désolent. Mais, le sourire narquois, il ironise sur la situation : «J'ai dit à mes employés : qu'allez-vous faire? Vous allez me chasser moi aussi ? Quel bien vous me feriez !». Un patron à l'ancienne, paternaliste, chaleureux avec ses équipes, protecteur : «La première question que j'ai posée le jour de la reprise, c'est : ?qui n'a pas assez de liquide pour tenir ?'» Pour Kamel, de nombreuses entreprises ne vont pas pouvoir assurer les paiements de la fin du mois. Et cela ne s'arrangera pas les mois suivants, si le peuple continue d'occuper la rue plusieurs semaines. « Ce sont les banques qui vont devoir pallier le creux. Au bout d'un moment, elles vont se retourner vers la banque Centrale et mettre l'Etat en difficulté. Nous sommes une économie fragile. L'Etat n'est pas riche comme en Algérie ou en Libye. Le prochain ministre des Finances tunisien risque de faire la manche auprès des bailleurs de fonds». Mais alors, et les atouts de l'économie tunisienne qui étaient ternis par l'affairisme mafieux du clan présidentiel ? Difficile de dérider le patron, pourtant jovial, de Prima, lorsqu'il s'agit des perspectives. «Toute la question est de savoir si l'administration tunisienne va être efficace. Tout le reste, l'emploi, les revenus, le dynamisme, c'est notre affaire. Or lorsque je regarde bien, je vois que les relations hiérarchiques ont volé en éclats. Le temps qu'un nouvel ordre s'établisse, l'administration sera un frein pour l'économie». |
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