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La filiale algérienne du cabinet Ernst
& Young est en place depuis septembre 2008. Le bon recul pour analyser
l'évolution du climat des affaires, les attentes des entreprises algériennes, et
pointer les points noirs du système. Philippe Ausseur, Associé à E&Y, le
fait sans détour. A la fois comme un chef d'entreprise immergé dans
«l'environnement national» et comme le porte-parole d'un réseau qui porte
autant qu'il contribue à façonner le regard du monde sur l'économie algérienne.
Ernst & Young a démarré son bureau le 1er septembre 2008. Depuis cette date, qu'est-ce qui a changé dans l'environnement des affaires en Algérie ? Beaucoup de choses ont changé. Les choses que tout le monde sait, notamment sur les nouvelles orientations économiques, sur tout ce qui a été décidé lors des deux précédentes lois de finances complémentaires. Globalement, il y a eu quand même une progression de l'économie algérienne sur un certain nombre de thématiques, comme les pratiques managériales, les investissements en technologie, tout ce qui a pu être fait sur les normes comptables, on voit effectivement que plusieurs chantiers ont été menés et beaucoup d'améliorations. Evidemment, est-ce que le verre est à moitié plein ou à moitié vide, je dirais qu'il y a une tendance ici de le voir plutôt à moitié vide. Moi je dirais qu'il faut regarder ce qui a été fait. Ça me permet de dire qu'il y a beaucoup de chantiers à mener, c'est ce qui explique d'ailleurs notre présence, et notre volonté de continuer à investir en Algérie. Si on revient au contexte législatif, je crois que ce n'est pas anormal qu'un Etat veuille contrôler ses importations, c'est même légitime. Ce qui est par contre important, c'est la clarté et la stabilité d'une législation. Et c'est probablement à ce niveau qu'il y a beaucoup à faire. Au-delà de la légitimité des décisions, ne trouvez-vous pas que leur caractère brusque a grandement déstabilisé les opérateurs économiques ? Pour un entrepreneur, le plus important c'est qu'il sache où il va, de bien comprendre le contexte dans lequel il évolue et il va évoluer. Effectivement, on a un petit peu de mal à anticiper un certain nombre de choses, parfois même, soyons clairs, à comprendre totalement ce qu'il y a derrière certaines annonces, puis certaines lois, en attendant les décrets d'applications. Si on avait un souhait à émettre, c'est qu'il y ait un petit peu plus de lisibilité et de clarté dans ce qui est décidé au niveau macroéconomique. Nous pouvons progresser à ce niveau. De la même manière, je crois que nous avons besoin d'avoir des bases de données plus fiables concernant, notamment, la consommation et la distribution des produits. Nous n'avons pas encore ces statistiques là en Algérie. Or pour n'importe quel entrepreneur, qu'il soit public ou privé, il est nécessaire de disposer de ces informations. Vous êtes certainement sollicité par des compagnies étrangères qui souhaiteraient investir en Algérie. Que leur dites-vous concernant le climat d'affaires dans le pays ? D'abord ce qu'on leur dit c'est de dépasser l'a priori et les effets d'annonce. Dépasser l'a priori qui continue sur l'Algérie, sur le fait qu'il est difficile de monter des affaires. Nous leur disons, aussi, qu'il est tout à fait possible, en s'organisant bien, de rapatrier les dividendes. En gros, «faites attention aux éclats de voix qu'il va y avoir, et inscrivez- vous plutôt dans la durée. Et nous sommes un acteur pour vous expliquer ce qu'il y a vraiment à faire». L'Algérie reste un marché à fort potentiel, elle a beaucoup d'atouts, c'est d'abord cela qu'il faut regarder. Parmi les services que vous proposez (conseil, audit, droit et finance), quel est celui qui est le plus sollicité par les entreprises algériennes ? En premier lieu, le conseil. Il y a une vraie volonté des entreprises algériennes, que je trouve très positive et saine, de se transformer, de s'améliorer, et de s'inscrire dans la course normale de l'économie. Concernant nos deux autres métiers, il y a le besoin de l'audit, qu'on ne résumera surtout pas, d'ailleurs, aux seuls commissariat aux comptes ou à l'expertise comptable, mais plutôt à tout ce qui va tourner autour de la communication financière, du reporting, des normes comptables, et de se dire qu'il ne peut pas y avoir une entreprise performante, bien organisée, et avec les bons outils de gestion et de management, si derrière il n'y a pas une bonne communication financière. Pour les entreprises étrangères, leurs points d'entrée portent plutôt sur le juridique et le fiscal. Ils nous demandent que nous leur explicitions ce que sont la loi et les conditions d'exercice en Algérie. Au lancement de votre filiale algérienne «Ernst & Young Advisory Algérie», vous vous étiez fixé comme objectif d'atteindre la centaine de collaborateurs algériens au bout de 3 ans. Où en êtes-vous ? Nous sommes pile à mi-chemin de cette ambition, puisqu'on est à une cinquantaine de collaborateurs. Nous continuons à recruter. Nous avons des besoins en ce moment sur le juridique et fiscal. Nous sommes très confiants pour atteindre la centaine de collaborateurs. Vous vous étiez également fixé comme objectif d'aider les entreprises algériennes à adopter les modes de gestion modernes. De par les expériences que vous avez menées, sentez-vous une réelle adaptation à ces méthodes ? Quand on est sollicité sur la Supply Chain (SC), sur le système d'information et organisation, c'est que derrière il y a une véritable prise de conscience sur la nécessité de s'améliorer, de se transformer, et d'être à ce rendez-vous de la performance. Au-delà du bien que ça nous fait en terme d'activité, nous sommes très satisfaits de voir que les entreprises et les organisations algériennes ont vraiment pris conscience qu'elles ne devraient pas rester en dehors de ces mouvements, mais plutôt s'inscrire dans la transformation. Comment évaluez-vous les réformes économiques menées en Algérie, particulièrement pour le secteur bancaire ? Beaucoup de choses ont été faites en Algérie, mais beaucoup de chantiers doivent êtres poursuivis et intensifiés, que ce soit sur les aspects industriels et des infrastructures, ou sur le monde bancaire. Il y a encore des marges de progrès. Elles sont indispensables, d'abord pour l'économie algérienne, pour susciter le développement de l'entreprenariat et l'existence d'un vrai marché dynamique. Pour le secteur bancaire, il reste un certain nombre d'améliorations à mener, ne serait-ce que dans le système de paiement qui reste encore long, fastidieux et compliqué. Il est nécessaire en Algérie d'avoir une chaîne de paiement efficace et répondant aux standards internationaux. Ça viendra, mais si l'on pouvait donner un petit coup d'accélérateur ce serait un plus pour tout le monde. Nous-mêmes en tant qu'entrepreneur ici en Algérie, nous constatons qu'il reste très compliqué de faire des mouvements de compte à compte, entre deux agences? etc. Dans une économie moderne qui a vocation à se développer, ce type de blocage doit maintenant disparaître. En matière d'infrastructures, beaucoup de choses ont été réalisées, mais il reste encore du chemin à parcourir, notamment dans la problématique de la logistique. Si nous prenons comme exemple le secteur portuaire, nous ne pouvons que constater que ça reste quand même un frein, et qu'il nécessite des investissements et des améliorations. La situation du secteur bancaire peut-elle constituer un frein aux investissements étrangers ? Oui, on en discutait dans notre Comité de direction, avant de commencer cet entretien. Les délais de paiement, par exemple, si on compare aux autres pays proches de l'Algérie, comme le Maroc ou la Tunisie, sont beaucoup plus longs. Ici, nous sommes entre 1,5 et 2 fois plus que chez les voisins. Il est clair que ça créé des tensions de trésorerie énormes. Il faut qu'il y ait une prise de conscience qu'un entrepreneur ne peut pas vivre avec de telles tensions de trésorerie. Et on n'encouragera pas les investisseurs, y compris locaux, si ce problème n'est pas résolu. On est sur des délais de règlement qui varient de 90 à 120 jours. Ça c'est un point noir. C'est l'ensemble des acteurs de la chaîne qui doivent progresser, y compris la puissance publique, le système bancaire et les entreprises publiques algériennes qui, il faut le dire, ne sont pas les meilleures élèves en la matière. Quel est le nombre d'entreprises algériennes que vous comptez dans votre portefeuille ? Nous avons, actuellement, 25 à 30 entreprises algériennes, publiques et privées, tout type d'activités (industrie, services? etc.). J'exclu les ministères et les sociétés étrangères. Nous sommes très satisfaits d'avoir atteint le positionnement qu'on cherchait, c'est-à- dire d'être à la fois sur les grands groupes publics mais également d'être sur l'entreprenariat algérien et les belles entreprises privées. Est-ce qu'il y a de très bons élèves qui émergent du lot ? On voit un peu partout de très bonnes pratiques. Evidemment, faire une liste nominative c'est toujours embêtant, parce que ceux que je ne citerais pas se sentiront peut être même blessés, mais je crois, par exemple, que le développement qu'a pu faire une entreprise comme Cevital est très intéressant. Au risque de paraître un peu iconoclaste, je dirais qu'un certain nombre de chantiers qui ont été menés par Sonatrach, notamment en terme d'organisation et de systèmes comptables et financiers, et des systèmes d'information, sont vraiment à mettre en exergue. Chez Sonelgaz également, Algérie-Poste, et j'en oublie plein d'autres. Il faudrait promouvoir ces exemples, parce que ça aura des effets d'entrainement, ça montrera que c'est possible, et qu'on peut passer de la théorie à la pratique. Quelle appréciation faites-vous de la stratégie industrielle algérienne ? Il est clair que le secteur industriel algérien reste dominé par les hydrocarbures, et par quelques industries lourdes. En dehors de quelques groupes publics, il manque des relais d'entreprises privées. J'ai cité tout à l'heure le Groupe Cevital, et bien le diagnostic est qu'il faudrait qu'il y ait dans le futur d'autres Cevital. C'est important, dans la mesure où cela permettra de rééquilibrer l'économie algérienne et de limiter les importations. Les efforts doivent être de diversifier l'économie plus qu'elle ne l'est actuellement. Comment a évolué le chiffre d'affaires d'E&Y Algérie en deux ans ? On est sur un taux de croissance à deux chiffres. Il était de l'ordre de 15 à 20% l'année dernière. On est très satisfaits, et on projette les mêmes taux pour les trois prochaines années. Nous n'avons pas d'inquiétudes à ce niveau. Je crois qu'il faut, par contre, comme pour d'autres entreprises, qu'on nous laisse faire notre travail d'entrepreneur, qu'on nous challenge, qu'on nous demande un certain nombre d'obligations. Je suis très confiant pour le développement du bureau algérien. |
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