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L'une des formules les plus saisissantes sur l'Algérie
ramassée dans les débris de l'explosion WikiLeaks est celle utilisée par
l'ambassadeur US en Algérie : « Un pays malheureux ». Pas un pays pauvre, pas
une dictature standard, pas un pays en guerre, pas un pays tout court. Non : un
pays malheureux, c'est-à-dire triste, souffrant de lui-même, sans amour pour sa
propre personne et où les gens, la terre et les murs sont la moitié d'une chose
qu'ils n'ont jamais eue et dont ils désespèrent dans l'enfermement et
l'immobilité du coeur. De mémoire de chroniqueur, c'est la biographie la plus
courte et la plus poignante d'une nation. Les raisons ? On les connaît toutes.
Un analyste a très bien résumé l'effet WikiLeaks en écrivant que ce site ne
révèle rien mais confirme presque tout.
Et pour revenir au télégramme de l'ambassadeur US sur l'Algérie vue comme veuve d'elle-même, les raisons sont admirablement résumées. 1°- Le décalage entre la terre et ceux qui lui marchent dessus : ici, dira-t-il, les gens s'occupent à longueur de journée de votes, constitution, mandats, dissidences et il n'y a rien qui est dit sur le pays, la peuplade, l'émeute, c'est-à-dire le réel. Tout le monde veut Alger, personne ne veut s'occuper du reste de l'Algérie, pourrait-on résumer. 2° - La seconde raison est la mentalité pipe-line : la seule politique économique connue est celle de la dépense, du ciment, de la rente. Le capitalisme y est sauvage mais le socialisme encore étatique. Les projets ne mènent à rien car le centre de la réflexion économique n'est pas l'entreprise mais le budget de soutien. La richesse n'est pas créée mais distribuée par un réseau sur-bureaucratisé d'administrations et avec la psychologie profonde de la méfiance, mère naturelle de la centralisation excessive. Le pétrole n'y est pas une richesse mais un argent de poche. 3° - L'hésitation systématique : cela tout le monde le sait quand il veut savoir au moins une chose sur l'Algérie : ce pays ne sait pas ce qu'il veut. On a eu droit au socialisme spécifique, puis au capitalisme socialisant, puis à l'économie de marché contrôlée, puis au néo-socialisme de souveraineté nationale. Il y a «un manque de vision au sommet», aurait écrit l'ambassadeur US, expliquant que « Bouteflika et son équipe ne savent pas s'ils veulent que l'Algérie intègre l'économie de marché mondiale ou si le gouvernement doit perdurer dans le contrat social des années 1960-1970». 4° - La méfiance. La base du système politique et social de l'Algérie est « la psychologie de la méfiance » et pas celle du « consensus gagnant-gagnant », a résumé un jour, au chroniqueur, un homme d'affaires algérien. L'ambassadeur US, lui, ne voit donc que cet aspect qui freine un peu la fameuse « coopération » sécuritaire entre son pays et le nôtre. Il touche cependant du doigt l'une des facettes de la psychologie algérienne la plus troublante : la paranoïa, fille cadette des indépendances obtenues par la lutte armée et le maquis secret. Les services algériens sont décrits par l'ambassade US comme étant «épineux et paranoïaques» et «pas pressés à coopérer avec le FBI» dans la lutte contre les réseaux terroristes, rapporte la presse. 5°- le décalage temporel entre le pays et ceux qui le gouvernent par la nostalgie et la sous-formation : l'ambassadeur remarquera avec pertinence que, pour la politique extérieure de l'Algérie, «Bouteflika est son propre ministre de l'Extérieur, et sa conception politique régionale n'a pas évolué depuis les années 1970». Notez le chiffre : 70. C'est l'année où le pays était jeune, beau, ministre des AE internationales, riche, reconnu, sans rides et bon danseur entre le bloc et le bloc Ouest au nom du non-alignement. Le chiffre 70 explique tout : pourquoi on y coince le pays et pourquoi on veut nous obliger à y retourner vivre. Comment donc survivre dans un pays malheureux comme le nôtre ? Que faut-il faire ? C'est quoi la solution pour marcher sur la Lune ? L'ambassadeur US n'y répond pas. Il n'est pas payé pour ça et ce n'est pas son rôle. La seule bonne nouvelle qu'il donne, selon ce télégramme « secret », elle est destinée au secrétaire d'Etat US qui devait visiter Alger à cette époque : « Durant votre visite, nous nous attendions à une grève dans l'enseignement. La fermeture des écoles facilitera vos déplacements grâce à la circulation plus fluide, Inchallah», a-t-il indiqué. Cela ressemble au rêve le plus secret du régime algérien : le pays n'est vivable que lorsqu'il se vide. |
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