
F aut-il en parler ? Oui, car
c'est un devoir moral et de témoignage devant l'Histoire. Le sujet: les
déclarations du député MSP abderrazak Mokri, sur les ondes de la chaîne III, la
semaine dernière à propos de ce qui se passe au Sahara Occidental. Interrogé
sur la tiédeur sinon le silence des islamistes sur les évènements d'El Ayoune,
le député a eu la réponse la plus tragique et la plus lourde de sens: il n'a
pas dit que c'est un problème de décolonisation, ni une crise qui concerne le
Maroc et le Polisario, ni qu'il faut faire passer les intérêts de l'Algérie
avant tout engagement. Il a seulement dit, avec colère contre le journaliste
qui insiste sur l'implication des islamistes pour la Palestine et pas pour la
RASD, que «Il ne faut pas mettre la question sahraouie et le problème
palestinien sur un pied d'égalité, parce qu'il s'agit de deux choses
différentes. Il y a lieu de signaler que le conflit palestinien est d'abord
religieux. Ce que les nations arabo-musulmanes ne peuvent ignorer. Elles
doivent défendre et soutenir le peuple palestinien». Rarement, faut-il noter,
les islamistes n'ont autant assumé et avoué l'usage qu'ils font de la question
palestinienne: un usage religieux et de commerce de propagande. La cause
palestinienne, autant qu'elle a été une cause pour les régimes nationalistes
arabes des années 70, est aujourd'hui prise au piège des propagandistes
islamistes de tout bord, sunnites ou chiites: Ahmedinejad promet de libérer El
Qods, autant que l'a promis Saddam ou que le fait Zawahiri ou Ben Laden.
Le reste des colonisations dans le monde ne les concerne pas. Ils
savent que la question palestinienne est porteuse, émotionnelle, passionnelle.
Cet usage concomitant entre l'offre «religieuse» et la Palestine est cependant
rarement admis, et il y faut de l'emportement et la perte de contrôle pour
qu'un islamiste vous avoue que ce n'est pas l'humain, le Palestinien, ou le
colonisé ou l'injustice qui lui importe mais seulement la «cause
palestinienne». C'est-à-dire pas les Palestiniens ou la Palestine car la
différence est celle qui existe entre le vivant et l'idée, la marchandise et le
drame. Du coup, la conclusion qui s'impose : il n'y a aucune différence entre
islamiste «arabe» ou algérien et Avigdor Lieberman et les ambitions
messianiques du parti raciste de Yisrael Beitenu: l'un veut la Palestine au nom
d'Allah, l'autre au nom de Jéhovah. Les deux insistent sur «le sens religieux»
du conflit, investissent «la cause» du point de vue de l'émotion religieuse et
«travaillent» à développer cette dimension de «guerre sainte» qui escamote
l'évidence d'une cause de colonisation et de décolonisation évidente. Si vous
enlevez aux deux ce commerce, ils n'auront plus rien à vendre et plus rien à
offrir. Les islamistes algériens, autant que leurs tuteurs dans le reste du
monde musulman, ont compris que c'est une de leur cause majeure de survie et
ils ont réussi à y imposer un monopole et à en faire une marque déposée: d'où
la colère du député Mokri: c'est celle d'un commerçant à qui on demande de
laisser tomber son principal produit de vente. Gênés, coincés dans des postures
de compromis permanent et renouvelable, les régimes arabes ont fini par
déléguer ce fonds de commerce aux islamistes qui, aujourd'hui, en investissent
le créneau avec bruits, médias, martyrs, produits dérivés et logos de partis.
Que le reste de l'Afrique retombe dans la colonisation, que le monde brûle, que
Mandela soit remis en prison ou que les derniers Indiens soient exterminés,
cela importe peu aux islamistes: leurs causes c'est la cause palestinienne pas
l'humanité. L'humanisme n'a jamais été un islamisme et l'inverse est aussi
vrai. La réaction de Mokri est importante: c'est celle d'une époque et
d'une industrie et d'un négationnisme encore plus sournois qui s'est mis en
place. Il fallait la signaler et la rappeler sans cesse aux consciences et au
reste du monde qui confond déjà la Palestine et la guerre contre les Mollahs.
La Palestine a été desservie par son titre «cause des Arabes», elle l'est
encore plus par sa transformation en «une cause religieuse». Les deux ne
veulent pas qu'elle soit une cause humaine.