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«Les passions ont
beau se croire indomptables, elles ont un maître ; c'est la raison. La raison
est lumineuse, elle connaît son but, elle éclaire sa propre marche, elle sait
la place et le rang de toute chose. Elle porte en elle le sceau divin du
commandement. Quand elle s'applique aux actes de la liberté humaine, son nom
est la justice ; ce qu'elle ordonne est le devoir. Chaque fois qu'elle parle,
la passion même la plus ardente, doit se taire, doit céder» Citation de Jules
Simon ; le devoir (1854)
C'est dans les plus vieilles marmites que l'on fait de la bonne soupe nous ont appris nos grands-mères. Nos enfants nous rappellent à la raison. Le monde change et nous stagnons. Nous sommes au XXIème siècle, le siècle de la vitesse. Nous n'avons pas de temps à perdre. «Un bon mot dit à temps vaut mieux qu'un long discours». Les discours les plus courts sont toujours les plus longs. C'est l'ère de la cocotte-minute, de l'information instantanée, elle se propage avec la rapidité de l'éclair. La planète Terre est devenue un village africain. Le temps de cuisson est minuté. Le texte est millimétré. Son contenu est mémorisé. Ses origines sont lointaines. La Constitution américaine fût rédigée en 1787, à l'époque des années «lumière». Elle a été influencée par des théoriciens politiques comme Locke et par des scientifiques comme Newton. Cette analogie entre la physique et la politique au XVIII siècle peut avoir une signification réelle. En effet, selon Don K Price, «il y a une correspondance entre le système constitutionnel des contraintes et des compensations et le système mécanique de Newton où l'univers s'ordonnait par un équilibre des forces opposées mises en mouvement par un grand horloger mais travaillant ensuite pendant l'éternité suivant un ordre naturel des causes et d'effets» (1). Du haut des pyramides d'Egypte, Napoléon Bonaparte clamait à la face du monde «Ma vraie gloire n'est pas d'avoir gagné quarante batailles, Waterloo effacera le souvenir de tant de victoires ; ce que rien n'effacera, ce qui vivra éternellement c'est mon code civil». Pour les Africains, le pouvoir est assimilé à un œuf. «Ainsi parle l'œuf, je suis le pouvoir, si vous me serrez trop fort, je me casse ; si vous ne me serrez pas suffisamment, je tombe et je me casse». Ce proverbe africain pose un redoutable dilemme aux détenteurs du pouvoir, ils ne doivent ni serrer trop fort, ni trop peu car dans les deux cas, le pouvoir leur échappe. En Occident, le pouvoir créateur de la mort a donné naissance à un pouvoir organisateur de la vie. La Constitution traduit la vision qu'a une société d'elle-même et de son avenir. Aux Etats-Unis, la Constitution est la tête du monarque, elle est fixe comme la statue de la Liberté, elle est imperturbable dans ses fondements. En France, elle est la couronne du monarque, elle est circulaire, elle tourne tantôt à droite, tantôt à gauche, elle porte l'empreinte de Napoléon Bonaparte et le cachet du Général De Gaulle. En Afrique, elle est l'habit du monarque, elle colle à sa peau et prend ses dimensions. Une fois la souveraineté recouvrée, l'Algérie va opter pour un régime présidentiel à parti unique s'inspirant, à la fois, de la France gaullienne et de la Russie stalinienne, dans un contexte de la guerre froide entre le bloc de l'Est et le bloc de l'Ouest. Comme la voiture, l'Algérie va clignoter à gauche pour tourner à droite et se retrouver en fin de parcours, dans le décor ne disposant ni de freins, ni de rétroviseur avec le pied sur le champignon. Pour la France, la stabilité du régime garantit la pérennité de ses intérêts en Algérie. Les premières constitutions datent des indépendances. Et depuis, on ne les compte plus. Il y a eu autant de constitutions que de présidents régnants, autant de périodes sans constitutions que de constitutions sans application. Cela se traduit soit par une présidence à vie soit une constitution sans vie. Les textes n'ont pour vocation de changer les mentalités mais de formaliser des projets de société. En effet, le droit n'a pas pour vocation de moraliser les mœurs politiques. Le droit légalise un pouvoir mais ne le légitime pas. A l'instar d'une filiation, la loi a pour charge de donner un nom et un prénom à l'enfant et non un père et une mère. L'enfant est la résultante d'un rapport entre deux personnes mâtures consentantes de sexes opposés. Il en sera de même des relations entre gouvernants et gouvernés. Elles équilibrent deux forces contraires. Elles allient la souplesse à la rigidité, la minorité à la majorité, le jour à la nuit. Elles obéissent aux lois de la nature. Elles sont atemporelles. Par contre la Constitution dans les pays du tiers monde n'est, en fait, qu'une technique juridique de camouflage destinée à donner aux régimes politiques les apparences d'un Etat moderne. Les experts du Droit fournissant la caution scientifique à une alchimie métaphysique. Contrairement à ce qui s'est passé à partir du Moyen-âge, la naissance de l'Etat post colonial est beaucoup moins la résultante des changements sociaux qui ont accompagné l'émergence des structures autonomes (division du travail, bureaucratie professionnelle, surplus agricole dégagé etc...) que le produit d'un bricolage institutionnel visant à introduire, dans l'espace politique des formes d'organisation parfaitement étrangères aux codes culturels (religion, ethnie, langue) et aux ressources de l'Etat (pétrole et gaz). Il est le résultat de contradictions externe que de changements internes. L'Algérie a été conquise par les armes, elle a été libérée par les armes. La légitimité historique s'amenuise sans disparaître. Une hérédité sociale semble se mettre en place et par laquelle se transmettent des positions de domination et se perpétuent des situations de privilèges. En imposant un schéma institutionnel dont la logique de fonctionnement était radicalement opposée à celle de la société indigène, et un modèle économique étranger aux réalités locales des populations, le colonisateur préparait en fait la société post coloniale à l'échec de la modernisation politique et au développement économique. L'Etat post colonial est le fruit de contradictions externes et non de facteurs internes. En effet, la formation sociale algérienne est aujourd'hui tributaire d'un double passé. Le passé colonial imposé à l'Algérie pendant toute la période de colonisation soit 132 ans et le vieux passé précolonial secrété, à travers des siècles, par la société algérienne elle-même encore qu'elle ait subi des influences extérieures avant la pénétration française. Ces deux passés ne s'excluent pas, ils coexistent dans le présent. La société algérienne est segmentée en clans dominés par des personnes physiques influentes privant l'Etat en tant que personne morale de jouer son rôle régulateur et planificateur. C'est la nature des ressources qui détermine le régime politique d'un pays. Dans le cas de l'Algérie, ce sont les hydrocarbures. L'image de l'Etat dans la conception moderne est un «costume trois pièces» (législatif, judiciaire et exécutif) et non une djellaba (une seule pièce ample) dans laquelle il est libre de se mouvoir sans passer par un tailleur. Dans les sociétés traditionnelles, les fonctions du chef du clan se confondent avec celles du chef de l'Etat. L'Etat n'étant pas une personne morale mais une personne physique celui qui investit l'Etat se comporte en véritable monarque. Il se confectionne une constitution dans laquelle il peut se mouvoir librement. Une djellaba ferait certainement l'affaire sans trahir ses intentions. Comme l'écrivait Pierre Corneille «Un véritable roi n'est ni mari, ni père ; il regarde son trône et rien de plus» (Pierre Corneille). Pour asseoir sa dynastie, le monarque n'a pas besoin d'un Etat mais d'une Cour, d'une clientèle et non d'institutions. Pour ce faire, il s'entoure de courtisans qui l'amusent et non de collaborateurs qui l'éclairent, de corrompus pour les tenir en laisse et non de vertueux qui lui échappent, de médiocres qui attendent les ordres pour s'exécuter et non des compétents qui débattent des idées avant de décider. Pourtant, «le roi a plus besoin des conseils d'un sage qu'un sage des bienfaits d'un roi». Le conflit dans les pays arabes est entre les poussées modernistes sociétales des gouvernés et les freins conservateurs des gouvernants. Des dirigeants ayant les pieds en ville et la tête dans le douar, le turban discret pour amadouer le peuple en s'adressant à lui avec ses mots (maux) et la cravate éclatante pour signifier aux Occidentaux nous sommes des vôtres (le complexe du colonisé). Le pétrole est une arme de corruption massive des sociétés et une assurance-vie des gouvernances arabes. Dans les pays arabes pétroliers, les monarchies et le clanisme diffèrent sur la forme et convergent sur le fond. L'avènement des revenus pétroliers a permis la concentration des ressources financières et la centralisation du pouvoir de décision entre les mains d'une seule personne ou d'un groupe de personnes. Cette centralisation du pouvoir de décision (l'exécutif) n'est que le reflet de la concentration des ressources des hydrocarbures. Les monarchies comme le clanisme ont survécu au nationalisme arabe et aux poussées islamistes grâce au marché pétrolier dominé par les Américains. Les régimes claniques et monarchiques sont confrontés à deux problèmes majeurs : l'impossibilité de comprimer les dépenses publiques sans perdre leur légitimité et l'incapacité de répondre positivement aux cris de révolte de leurs jeunesses les mettant devant leurs responsabilités, L'organisation socio-politique apparaît comme le moteur essentiel dans la détermination de l'attitude d'une nation. «...la souveraineté nationale qui implique un principe d'indépendance s'évanouit si économiquement, les gouvernants ne peuvent pas choisir une fonction d'objectifs et favoriser pour la mettre en œuvre un agencement des moyens à la disposition des nationaux et de l'Etat» (2). L'Algérie a connu plusieurs constitutions qui ont fait l'objet de plusieurs révisions : celle de 1962 (suspendue en 1965), 1976 (révisée en 1979, 1980 ; 1988), 1989, 1996 (révisée en 2002, 2008, 2016). L'histoire est un éternel recommencement et la géographie une source intarissable de revenus en devises. Depuis l'indépendance, ce sont les hommes au pouvoir qui se chargent d'écrire, eux-mêmes, les règles du pouvoir. La Constitution est comme la plaque pour le cabinet d'un médecin. Chacun grave son empreinte, sur une plaque en marbre, que son successeur s'efforcera d'enlever pour la remplacer par la sienne en renvoyant la clientèle de son prédécesseur et en se constituant sa propre clientèle. Le clientélisme a de beaux jours devant lui, du moins tant qu'il est rétribué en monnaie sonnante et trébuchante, provenant de la vente des hydrocarbures. Le clientélisme occupe une place importante dans les mutations sociales dont l'enjeu principal réside dans le contrôle de l'Etat. Le clientélisme ne peut être viable et notamment profitable que s'il se greffe sur les structures étatiques. Il perpétue une situation de domination basée sur un accès inégal aux ressources et au pouvoir. Comme le souligne, à juste titre, le jeune président noir américain Obama «l'Afrique a plus besoin d'institutions fortes que d'hommes forts». Il est vrai que l'Histoire ne peut se faire que par une alternance de sagesse et de brutalité puisque de toute façon, les régimes déclinants résistent à la critique verbale. Le pouvoir compris comme un contrôle plus accru des hommes et des consciences par une sorte de bureaucratisation et d'asservissement des individus et de la société ne s'est accompagné d'aucune efficacité réelle sur la technologie du savoir, de la science, du progrès technique et spirituel. C'est pourquoi, la société semble évoluer dans des directions inattendues, opprimantes et désespérées qui accentuent, quotidiennement, l'impression générale d'irresponsabilité, de passivité et d'impuissance. Le citoyen se perçoit de plus en plus étranger à sa propre histoire, à ses réalités, à sa société, à ses gouvernants, à lui-même. Il a la persistante conviction d'avoir été dupé, dépossédé, dénudé, privé de ce à quoi il avait cru pouvoir aspirer un jour : la liberté, la justice, le progrès. A tous les niveaux de la société, il y a, aujourd'hui, une conscience commune aiguë et quasi désespérée de l'échec de l'Indépendance. Pour le citoyen, l'indépendance lui apparaît comme une entreprise de mutilation, de destruction de la tradition et du patrimoine. L'état de délabrement de la Casbah en est un exemple poignant. Ce vent violent dévastateur n'a pas épargné la religion qui est entrée dans une phase de mimétisme qui n'a que peu de rapport avec la vie spirituelle elle-même. Le corps s'incline et le cœur reste droit. On a retenu de la religion que le rituel, de la modernité que les apparences, de l'économie que la consommation, de la politique que la jouissance, de la gestion que la dépense, du commerce extérieur que les importations, des importations que la commission. Heureusement que le jeune Algérien, qui n'a connu ni la France coloniale, ni le socialisme de la mamelle, ni la guerre civile, ni la corruption de masse, a un attachement viscéral à son pays. Ecoutez-le : «Ce n'est pas parce ma mère est tatouée au front qu'elle n'est pas ma mère, Elle n'a pas besoin de subir une opération de chirurgie esthétique dans une clinique parisienne pour se faire aimer. L'Algérie est née suite à une césarienne et non par voie naturelle. Les cicatrices ne se sont pas refermées. Le regard de la France sur l'Algérie est fantasmé. Hier comme aujourd'hui, c'est le même regard. Le regard d'une femme divorcée de race blanche et de culture gréco-romaine et de religion chrétienne (une blonde aux yeux bleus) qui veut à tout prix récupérer clandestinement «sa maison !» qu'elle a abandonnée, de guerre lasse, précipitamment en n'emportant avec elle qu'une simple valise à la main. Le couteau lui est resté à travers la gorge. Elle n'a jamais accepté que «sa maison !» soit occupée par une épouse «indigène» d'origine berbère, de culture arabe et de religion musulmane (une brune aux yeux noirs) descendant du maquis. Le mari se trouve écartelé entre les deux rives de la Méditerranée ne sachant quoi faire, ayant de nombreux enfants à charge après avoir dilapidé tout «son argent !». Son dernier enfant se révolte et réclame son indépendance. Le père ne l'entend pas de cette oreille. Il le gronde. Devenu adulte, il s'oppose à son père en le criant, haut et fort. le fils est viscéralement attaché à sa mère (n'ayant connu ni la période coloniale, ni la décennie noire, ni les années fric). Il lui tient à peu près ce langage : «je n'ai pas vécu comme toi au milieu d'une palmeraie, mais j'ai la grandeur, la droiture, l'humilité d'un palmier. Plus un palmier s'élance vers le ciel, plus ses palmes s'inclinent devant la volonté divine». Le père a vieilli, le fils veut vivre (un emploi, une maison, une femme). Par désespoir, il se jette à corps perdu dans la Méditerranée pour rejoindre «l'autre rive !». L'Algérie n'est pas la France et la France n'est pas l'Algérie. L'Algérie française, une illusion ; l'Algérie algérienne, une utopie ; l'Algérie socialiste, un blasphème ; l'Algérie musulmane, un refuge ; l'Algérie monarchique, une folie ; l'Algérie d'aujourd'hui, une salle d'attente, l'Algérie de demain, une boule de cristal. * Docteur (1) Don K Price - Science et pouvoirs traduit de l'américain par François Aubert - Edition Fayard 1972 (2) F. Perroux - indépendance de la nation - Paris 1969 p.9 |
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