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Bonne année 1441 : les haltes temporelles dans les civilisations et religions (Suite et fin)

par Chems Eddine Chitour*

Pour les musulmans l'Hégire est un évènement qui marque le point de départ du calendrier musulman ou hégirien. Ce calendrier est fondé sur 12 mois lunaires, de 29 à 30 jours chacun. La tradition ? fixée plus tard par le calife Omar ? veut que les premiers départs aient eu lieu le 16 juillet 622. Cet épisode marque le début officiel de l'islam comme religion et comme communauté. La célébration du Nouvel An musulman, ou Raas Assana, ne rencontre qu'un écho limité, Dans l'islam, il faut souligner que les cinq fondements (arkane) de l'Islam segmentent pour le croyant le temps au temps. En effet, la ´´chahada´´ (déclaration de foi) est censée être répétée tout le temps, la prière est accomplie cinq fois par jour, le jeûne (Ramadhan) est exigé une fois par an, la ´´zakat´´ (don proportionnel aux biens) distribuée une fois par an, enfin le pèlerinage (Hajj) à La Mecque une fois par an à une période bien déterminée

«Dans le bouddhisme comme dans l'islam, écrit le pasteur Carl- Albert Keller l'expérience religieuse du temps contraste radicalement avec la perception spontanée du temps cyclo-linéaire. Dans l'expérience bouddhique, le temps n'existe pas au niveau de la vérité véritable, mais en vertu de la doctrine de la vacuité de toutes choses, le temps est, tout en étant inexistant, intégré au temps cyclo-linéaire de la vérité d'usage courant. Dans l'expérience islamique en revanche, le temps ordinaire, cyclo-linéaire, est ramené à son origine divine où, dans l'intimité de l'être divin, il est ponctuel et atemporel. (...) Y a-t-il des passerelles qui conduisent du temps ordinaire au non-temps de l'expérience religieuse? Il y en a: ce sont les actes religieux réguliers, les rites, les cultes qui égaient à des moments précis le déroulement monotone du temps cyclo-linéaire. Toutes les traditions religieuses connaissent l'acte religieux qui est passage de la vérité de surface à la vérité véritable, passage du temps cyclo-linéaire au non-temps de la vérité ultime.»(4)

L'indifférence des Musulmans envers un repère symbolique

La célébration du Nouvel An musulman, ou Raas Assana, ne rencontre qu'un écho limité, Deux facteurs expliquent cet état de fait. Le premier est la généralisation du calendrier grégorien sur l'ensemble de la planète au XIXe siècle, en raison de la domination scientifique technologique et militaire des puissances occidentales. Le deuxième frein est d'ordre religieux. Pour les Musulmans orthodoxes, les deux seules célébrations religieuses légitimes sont l'Aïd el-Fitr et l'Aïd el-Kebir. Awel Moharem est de ce fait fêté d'une façon clandestine dans les pays musulmans qui abdiquent leurs repères et s'en remettent au calendrier dit universel. Argument décisif s'il en est , l'Arabie qui se veut la locomotive de l'Islam, pour les grandes opérations de charme en direction de l'Occident au besoin donne la priorité au calendrier grégorien dans ses déclarations. Ainsi la vision du futur de l'Arabie Saoudite est présentée le 25 avril 2016 par le prince héritier Mohammed ben Salmane : The Council of Ministers endorsed during its session on Monday under the chairmanship of Custodian of the Two Holy Mosques King Salman Saudi Arabia's Vision 2030. Nulle part de date hégirienne ! C'est à croire qu'elle n'a jamais existé !

J'avais dans une contribution précédente parlé de cette démonétisation du sacré en enlevait la substance que peut revêtir cet évènement cultuel pour en faire, un évènement qui participe de la bombance créé par le marché néolibéral qui se joue des espérances pour en faire des évènements marchands. Nous l'avons vu avec l'invention du Père Noël ... Nous l'avons vu avec l'Aid au temps du Web 2.0 François Villon en son temps se plaignait avec nostalgie du bon vieux temps. Ce retour d'un passé jugé avec indulgence. Mais où sont les neiges d'antan ? ». Mutatis mutandis nous pourrions dire mais où sont les vœux d'antan ? Plus globalement s'agissant des fêtes religieuses. Les sociologues devraient se pencher sur ce phénomène nouveau, la substitution symbolique du pardon à l'occasion de l'Aïd par un ersatz virtuel les TIC qui permet de faire par paresse et peut-être par calcul, « le minimum religieux » sans la contrainte de la rencontre physique. (5)

Conclusion

En définitive, la doxa occidentale du Néolibéralisme impose son rythme au temps du monde. Cette hégémonie est vue de façon religieuse par ceux qui se lamentent sans rien produire et qui imputent aux autres leurs travers et leur ignorance. Par ceux qui font dans le délire de persécution une façon de mobiliser pour un nouveau djihad dont on sait qu'il est perdu d'avance du fait que le terrain choisi n'est pas le bon, la cause pour laquelle il faut se battre n'étant pas celle-là, mais celle du vrai Ijtihad (effort dans le sens du dépassement de soi) celui de la science de l'effort de la sueur des nuits blanches du travail bien fait, seule utopie qui peut faire retrouver à cette Oumma en panne de moteur, un rôle de phare qu'elle a eu dans les lustres passés. Les Musulmans ont abdiqué le savoir s'en remettent aux autres pour segmenter leur temps Pourtant l'Histoire retiendra que Haroun Er Rachid offrit vers l'an 800 à Charlemagne une clepsydre qui mesurait le temps. La première horloge pour mesurer d'une façon quasi-précise le temps. C'est dire, si ce fut une révolution technologique majeure pour l'époque. Charlemagne envoya comme cadeau au calife de Baghdad ce qu'il avait de mieux : des lévriers... Mesurons le temps perdu au lieu de nous lamenter. (1)

« Quel sera le temps de l'humanité ? Il semble que les calendriers d'origine religieuse ne sont pas près de mourir. Et il est bien qu'il en soit ainsi, car ces calendriers ont su créer et enraciner des fêtes, des coutumes et des valeurs d'une intensité et qualité extraordinaires En ce jour de l'an pas seulement pour les Musulmans mais pour toutes celles et ceux qui croient que l'humanité et ses valeurs ne doivent pas s'effondrer sous le coup de boutoir d'un néo-libéralisme qui se joue des espérances religieuses pour en extraire de la valeur , nous faisons le vœu pour la paix dans le monde, le vrai ennemi de l'homme c'est l'ignorance.

Le XXIe siècle qui aurait pu être le siècle de la tolérance, de la délivrance de l'homme est en train de sombrer dans le chaos identitaire. L'autre vrai ennemi de l'homme c'est sa boulimie d'avoir, tout est bon pour augmenter sa richesse au détriment des autres, de ceux qui n'ont rien et qui se réfugient dans le secours de la religion. L'Islam est à des degrés divers, le dernier rempart contre ce néolibéralisme ravageur, cette mondialisation-laminoir. Il est vrai qu'il est mal expliqué, mal représenté par ceux qui se disent musulmans, notamment dans le Monde arabe. Heureusement que l'islam est aussi représenté par plus de 1 milliard de musulmans non arabes.

Dans un monde de plus en plus anomique formaté par le gain, l'islam bien compris apaisé, apportera sans nul doute sa part d'empathie à cette humanité en souffrance qui veut sonder l'espace alors que tout se trouve au fond de son cœur. Il n'y a pas de pays où les libertés individuelles sont aussi bafouées que dans les pays arabes! Nous trouvons toujours le même atavisme des potentats arabes, plus égoïstes que jamais. Ce qu'ils savent faire c'est «écraser leurs coreligionnaires et s'aplatir devant l'Occident». La question qui se pose pour les Musulmans est la suivante: doivent-ils attendre d'une façon fataliste et résignée, un éventuel déclin de l'Occident pour refaire surface, au lieu de se mettre au travail, aller à la conquête de la science, de cesser de se lamenter et de reporter la faute sur les autres? Je crois profondément qu'il n'y a pas d'autres solutions que celle de s'arrimer à la science et permettre à chacun en toute liberté d'apporter sa part d'humanité.

Le prophète (Qsssl) à a tracé une règle, ce ne devrait pas seulement être une segmentation du temps comme il en existe dans les autres religions et cultures (Noël, Rosh Shanna, Nourouz), mais un nouveau départ, une nouvelle vision de l'humanité, une transcendance qui a d'ailleurs vu toute son application à Baghdad (Dar el Hikma) où dit-on le calife donnait son poids d'or au traducteur d'un ouvrage, ce sera aussi le miracle de Cordoue où toutes les religions révélées s'épanouissaient à l'ombre de l'islam où par exemple, le grand maître juif Maïmonide écrivit son ouvrage majeur Dalil al Haïrine «Le Livre des égarés» dans la langue scientifique de l'époque: l'arabe. Cette lumière au patrimoine de l'humanité apportée par la civilisation islamique s'éteignit graduellement à partir du XIIIe siècle. La porte de l'effort «bal el Ijtihad» fut fermée par Ibn Thaymya et ce sont ses petits, enfants qui sont maintenant l'exemple de ce que c'est l'Islam, voulu, espéré et entretenu par les pouvoirs occidentaux avec la complicité des dirigeants installés dans les temps morts. Non! l'Islam des lumières ce n'est pas cela!

Naturellement, les médias occidentaux, selon un agenda bien étudié, ignorent d'une façon ostentatoire ce non -évènement et la doxa occidentale a réussi à étouffer la symbolique d'un milliard et demi de Musulmans Dans ces conditions de conditionnement permanent et de matraquage d'informations fausses, tendancieuses, il n'est pas étonnant que les citoyens occidentaux rejettent l'Islam d'autant que des intellectuels paléo-musulmans installés confortablement en ces lieux font assaut de diabolisation pour être bien en cours. La religion musulmane bien comprise est un problème de foi, personnel. Cependant, il serait injuste d'incriminer les Occidentaux car le mal est en nous, ce sont les Musulmans qui s'étripent entre eux, où le fort tue le faible comme plus fort de la période antéislamique.

Plus globalement , ce XXIe siècle est le siècle des déconstructions tout azimut ! Chacun à sa façon déconstruit à tout de bras ce que les civilisations ont sédimenté. A titre d'exemple, l'ouvrage de Yuval Harari : « Sapiens » est un modèle de déconstruction. Pour lui, les récits religieux sont des constructions humaines que l'homme s'invente pour traverser le temps. En clair il se berce tout au long de sa saga, d'histoire. Il n'y a rien d'intemporel ! Seule certitude l'inexorabilité de la flèche du temps et de l'augmentation de l'entropie en terme de désordre qui nous atteint. Malgré l'inanité de l'avoir devant l'être le néolibéralisme et les coups de boutoir de la postmodernité, font que la civilisation telle que nous l'avons connue risque de disparaître rapidement. On ne devrait cependant, jamais oublier que des civilisations millénaires avec leurs espérances diverses peuvent s'éteindre en quelques lustres.

La dictature du temps, ce temps que nous segmentons pour traverser la vie avec des repères temporels, nous fait injonction d'être prêt du fait de l'impossibilité d'arrêter le cours du temps et l'inéluctabilité du destin. On se souvient, des mots attribués à Alexandre le Grand qui conquit le monde et qui fut terrassé par une bactérie: Je veux que mon cercueil soit transporté à bras d'homme par les meilleurs médecins de l'époque, que les trésors que j'ai acquis (argent, or, pierres précieuses...) soient dispersés tout le long du chemin jusqu'à ma tombe, et que mes mains restent à l'air libre se balançant en dehors du cercueil à la vue de tous », afin que « les médecins comprennent que face à la mort, ils n'ont pas le pouvoir de guérir, que tous puissent voir que les biens matériels ici acquis, restent ici-bas, et que les gens puissent voir que les mains vides nous arrivons dans ce monde et les mains vides nous en repartons quand s'épuise pour nous le trésor le plus précieux de tous : le temps ».

*Professeur - Ecole Polytechnique Alger

Notes :

1. http://www.lexpressiondz.com/chroniques/analyses_du_professeur _chitour /251120-un-temps-ignore. html

2. https://fr.wikipedia.org/wiki/Pr%C3%A9histoire

3. http://www.carl-a-keller.ch/temps_dans_les_religions.php

4. Carl-Albert Keller http://www.carl-a-keller.ch/temps_dans_les_ religions.php

5. Chems Eddine Chitour https://oumma.com/laid-au-temps-du-web-2-0