De l’opération lancée par les Américains en 2001 pour capturer Oussama Ben Laden et chasser les troupes talibanes de Kaboul, le piège afghan a fini par aspirer les Occidentaux, leurs forces armées y compris celles de l’Otan ainsi que des alliés arabes, soit une large partie de la communauté internationale, dans une guerre sans fin. Pourquoi cette spectaculaire coalition internationale n’arrive-t-elle pas, après près de 10 ans de guerre, à en finir avec des »bandes» d’insurgés sans grande capacité militaire ?
Lorsqu’en décembre 2001, le Conseil de sécurité de l’ONU vote la résolution 1386 pour le déploiement de la Force internationale d’assistance à la sécurité (FIAS) en Afghanistan, il lui délimite ses missions et ses objectifs: appuyer la Mission d’assistance de l’ONU en Afghanistan (MANUA); assurer un environnement sécuritaire à Kaboul, capitale afghane, et enfin aider à la mise en place d’une autorité afghane transitoire. Le vote de l’ONU a suivi en fait les arguments des USA qui avaient, suite aux attaques terroristes du 11 septembre 2001, déclenché une vaste opération militaire en Afghanistan dès octobre 2001, pour faire tomber le régime intégriste des talibans et capturer leur leader Oussama Ben Laden. Les USA bénéficient du soutien et de la solidarité des pays membres de l’Otan, grâce à l’activation de l’article 5 de l’Organisation transatlantique. Article qui actionne la solidarité des Etats membres de l’Organisation lorsque l’un des leurs est agressé. Cependant, les responsables militaires sur le terrain des opérations alertent leurs dirigeants politiques sur l’immensité de la tâche et l’extrême résistance des talibans, particulièrement dans les régions montagneuses. Prenant conscience de la difficulté à en finir «vite et bien», comme le disait le président américain d’alors, George W Bush, les Occidentaux, Américains en tête, en appellent à une plus grande mobilisation internationale pour en finir avec les insurgés afghans. Et les seuls maîtres de la stratégie militaire (et politique) en Afghanistan, les USA, poussent, encore une fois, le Conseil de sécurité de l’ONU à mandater l’Otan pour la direction des «affaires» dans tout le pays en guerre. C’est le vote de la résolution 1530 adoptée le 13 octobre 2003. L’ONU a été mise devant le fait accompli, puisque l’Otan avait déjà pris la direction des opérations militaires de la coalition internationale depuis août, soit deux mois avant le vote de la résolution. Désormais, la guerre en Afghanistan prend une dimension internationale sans commune mesure dans l’histoire des guerres. Cinquante pays engagent, à des degrés divers, leurs forces armées dans le conflit. En plus des alliés de l’Otan, d’autres pays apportent leurs soutiens en hommes, finances et logistique. Des pays comme le Japon, l’Australie ou l’Allemagne, réputés pour leur aversion à la solution des conflits par la guerre, se joignent aux alliés de l’Otan. D’autres pays encore fragiles politiquement et militairement se lancent dans la bataille tels la Bosnie-Herzégovine, la Macédoine, l’Albanie, la Tchéquie, l’Ukraine et jusqu’à des pays à majorité musulmane comme les Emirats arabes unis, la Jordanie. Même une principauté, celle du Luxembourg, rejoint symboliquement la force internationale en Afghanistan en envoyant 9 militaires sur le terrain. L’Otan, qui dirige les opérations, affecte selon sa stratégie les uns à des tâches civiles, les autres à des missions humanitaires et d’autres, évidemment, à des opérations de combat. Aujourd’hui, près de 120.000 hommes se trouvent en Afghanistan. Le rappel de ces quelques faits et repères évoque comment d’une riposte, légitime par ailleurs, des USA aux agressions terroristes sur son sol, l’affaire afghane est passée d’une chasse à la secte des talibans et leur chef Oussama Ben Laden, à une crise politique et militaire qui embrase toute la région de l’Asie mineure et qui risque d’entraîner des pays comme le Pakistan et l’Iran dans le bourbier afghan. Le plus étrange est que les responsables politiques des pays engagés en Afghanistan n’arrivent pas à admettre qu’ils ont, en réalité, perdu la guerre. Parce qu’ils croient que seule la supériorité militaire et technologique compte dans une guerre. Ils ont sous-estimé les éléments historiques, culturels, idéologiques, religieux, humains… S’il faut trois repas quotidiens, bourrés aux protéines animales, pour un militaire occidental pour qu’il demeure debout et reste vigilant, un bol de riz suffit à un taliban pour tenir deux jours debout. S’il faut miroiter des avantages financiers ou de promotion sociale à un militaire occidental pour qu’il s’engage dans un combat, il faut juste un discours religieux et la promesse du paradis éternel à un taliban pour qu’il se fasse kamikaze. La foi dans le combat et la motivation ne sont pas les mêmes dans les deux camps adverses. En dehors des Américains, le reste des coalisés se battent pour une cause qui ne les concerne pas directement, alors que les talibans sont convaincus qu’ils mènent une guerre de libération de leur pays. Ce sont autant de raisons qui expliquent pourquoi l’armada sous commandement de l’Otan n’arrive pas à éradiquer les insurgés afghans. Il est symptomatique de constater qu’à mesure qu’augmente le nombre de troupes étrangères et de moyens militaires sophistiqués, les talibans gagnent du terrain et le soutien des populations locales, particulièrement dans les campagnes et dans les montagnes. Les talibans ont transformé leur combat en lutte de libération nationale. L’implication militaire de la communauté internationale se traduit sur le plan des décisions politiques par d’interminables désaccords sur la finalité de cette guerre. Les gouvernements des pays occidentaux font face à des opinions publiques révoltées par tant d’échecs, de crimes contre les civils afghans et de guerre dont ils ne voient ni l’utilité ni encore moins la fin. Preuve en est que des pays des plus proches des USA annoncent, à tour de rôle, des délais pour leur retrait de cette guerre. C’est le cas des Anglais, Italiens, Espagnols et jusqu’aux Américains qui annoncent le départ du dernier soldat fin 2014. Le constat est simple: la question afghane ne peu être résolue par la seule force des armes. Elle est tributaire d’un exploit politique où la communauté internationale se posera en «médiateur» diplomatique entre les différentes tribus et ethnies afghanes. La solution ne peut aboutir sans l’implication directe des chefs de tribus, «princes» régionaux et autorités religieuses afghans. Parce que dans les conditions actuelles, le gouvernement de Hamid Karzaï autant que le parlement (Jirga) sont aux yeux des populations afghanes des supplétifs des forces d’occupation. La guerre en Afghanistan est devenue un défi pour toute la communauté internationale. A cette dernière de prouver qu’elle peut faire triompher la paix et la sécurité par la diplomatie et la politique et que l’utilisation de la violence militaire ne peut être utilisée qu’exceptionnellement, pour des cas précis et limitée dans le temps.