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Les armes à sous-munitions1 (ASM) ont causé, au cours des dernières décennies, de 50 000 à 100 000 victimes. 98% d’entre-elles sont des civils et plus du tiers ne sont autres que des enfants. Une trentaine d’Etats comme l’Afghanistan, le Cambodge, l’Iraq, le Kosovo, le Liban, le Laos, la Serbie, le Vietnam, parfois même plusieurs années après l’arrêt de conflits, demeurent pollués par ce type d’armes qualifiées de non discriminantes. C’est donc avec une impatience et un soulagement certains qu’une partie de la Communauté internationale (plus particulièrement de la Société civile internationale composée d’ONG) attend le 1er août 2010, date à laquelle, la Convention sur les ASM (CSASM) entrera en vigueur. De la seconde guerre mondiale au Vietnam en passant par la guerre froide Employées pour la 1ère fois lors de la seconde guerre mondiale, les ASM ont poursuivi une longue et prolifique carrière avec la guerre froide. Considérées comme un élément important de la capacité de défense, elles eurent comme fondement à leur doctrine d’emploi, la volonté de briser les concentrations de blindés et d’infanterie du bloc de l’est, au moyen de vecteurs multiples, divers et souples tant aériens que terrestres. A cela s’ajoutèrent deux autres qualités synonymes de succès pour un armement : une durée de vie ou de conservation extrêmement longue2 et la capacité de couvrir de grandes superficies rapidement, par saturation de zone. Présentées comme un système autorisant une économie de force, elles furent appréhendées comme un outil efficace pour tout corps militaire car lui permettant de triompher d’un adversaire supérieur numériquement. Aujourd’hui, elles constituent une arme particulièrement adaptée aux forces expéditionnaires projetées en territoire hostile (Afghanistan et en Iraq). Pour toutes ces raisons, les ASM furent massivement employées3 notamment par les Etats-Unis. 285 millions furent déversés sur le Vietnam, le Laos et le Cambodge, 20 millions sur l’Iraq et le Koweït lors de la 1ère guerre du Golfe ; 300 0000 sur le Kosovo (1999) ; 250 000 sur l’Afghanistan (2001); 1,8 million sur l’Iraq (2003). L’Union soviétique les utilisa en Afghanistan. Israël en usa également contre la Syrie (1973), le Liban (1978, 1982 et 2006). Le Maroc fit de même contre le Polisario au Sahara occidental de 1975 à 1988. Avec la fin de la guerre froide, elles connurent une nouvelle prolifération horizontale : en Asie centrale (Nagorny Karabakh (1992 – 1994), Tadjikistan (1992 – 1997), Tchétchénie (1994 – 1996), Géorgie (2008)) ; Dans les Balkans (Bosnie (1992 – 1995), Croatie ( 1995), Albanie (1998 – 1999)) ; En Afrique (Angola (1992 – 1994), Soudan (1996 – 1999) Sierra Léone (1997), Ethiopie /Erythrée (1998), République démocratique du Congo (1998 – 2003)). Des effets persistants et étendus Il n’est donc pas étonnant que chaque année, les ASM fassent de 15 000 à 20 000 nouvelles victimes directes (préjudice corporel). Il est vrai que les effets des ASM sont persistants dans le temps et étendus géographiquement. Le Laos est ainsi, 30 ans après la fin de la guerre du Vietnam, pollué par 75 millions d’ASM. Celles-ci se retrouvent sur le sol, dans le sol (jusqu’à 50 centimètres de profondeur), dans la végétation, voire à l’intérieur des bâtiments. Cette situation, que l’on peut généraliser à l’ensemble des théâtres militaires où ont été employées des ASM résulte de l’une de leur spécificité. Près de 15% à 40% d’entre-elles n’explosent pas lors de leur largage et deviennent de fait des quasi-mines. Au point que les troupes américaines4 furent gênées par leur propre ASM en 1991, en Iraq. 6% des pertes militaires US leur furent imputables. De ce point de vue, leur impact peut être considéré comme supérieur à celui de l’armée iraquienne. Il perdurera, d’ailleurs dans le temps. Les opérations d’élimination - neutralisation au Koweït se prolongèrent sur la période 1991 - 2002 avec un coût approchant 1 milliard de dollars, et permirent de récupérer près de 108 tonnes d’ASM. Leur usage en 2006 par l’Israeli Defense Forces au Liban donne également une exemplification précise de leurs effets. Les ASM israéliennes déployées, l’ont principalement été dans les 72 heures précédant le cessez-le feu, organisé par la résolution 1701 du Conseil de sécurité, ce verrou du monde selon les propos du professeur Jean-Pierre Colin. Leur efficacité tactique fut alors réduite à une simple action visant à ralentir le retrait du sud Liban des forces paramilitaires appartenant au Hezbollah, mais aussi à les gêner lors d’un inévitable retour. 4 millions (de types M-26/M-77, M-85, BLU-63) furent déversées sur le pays du cèdre, polluant 48 millions de m² de terre selon le bureau des affaires du désarmement des Nations Unies, dont 16 millions uniquement au sud Liban. 40 % (soit 1,6 million) n’ont pas explosé. Elles ont induit une perte économique dans l’agriculture d’environ 23 millions d’euros et des pertes économiques globales5 pour le Liban de 153 à 233 millions d’euros. Leur impact est également environnemental. En juillet 2008, lors de feux de forêts sis sur les localités d’Aley et de Souk el Gaharb, la sécurité civile libanaise ne put intervenir afin d’éteindre les foyers en raison de la présence d’ASM. L’explosion de celles-ci au sein des incendies aggrava la crise. Le bilan humain est également lourd, avec 350 victimes civiles libanaises de 2006 à 2008. Ce n’est donc pas un hasard si en novembre 2008, Beyrouth accueillit la 1ère Convention régionale sur les ASM au Moyen-Orient. Sous la pression internationale, Israël dû révéler aux autorités libanaises une partie de ses plans de largage de 2006. Ce geste s’inscrit, au demeurant, en application de la résolution 1701, dont le paragraphe 8 contient une disposition relative à la communication à l’ONU des cartes des mines terrestres posées au Liban. Des stocks qui se décomptent par centaines de millions Avec les stocks d’ASM dont disposent environ 85 pays « possesseurs » (par analogie avec les termes du TNP qui évoquent des Etats détenteurs de l’arme nucléaire), il y a de quoi reproduire en de nombreuses occasions l’espèce libanaise. En effet, selon l’OTAN6, l’arsenal mondial est constitué en 2010, de plusieurs milliards de sous-munitions. 90% de ce stock se trouve entre les mains de 6 Etats qui n’entendent pas s’en dessaisir : Chine, Etats-Unis, Inde, Israël, Pakistan, Russie. A eux seuls, les Etats-Unis détiennent 730 millions de sous-munitions dont 480 millions de modèles anciens. En 2009, Washington7 a déclaré que le respect des termes de la Convention sur les armes à sous-munitions (CSASM) entrait en contradiction avec sa sécurité nationale. Une trentaine d’Etats producteurs appartenant majoritairement à l’OTAN ou faisant partie de ses alliés 34 Etats ont produit ou produisent encore 210 types d’ASM. 85 sociétés les manufacturent. Elles sont majoritairement européennes (50%) et américaines (10%). Israël apparaît comme l’un des principaux producteurs. La firme Israeli Military Industries8, à elle seule, a produit plus de 60 millions d’ASM de type M-85. . La Convention sur les armes à sous-munitions, une 1ère avancée du droit international humanitaire et du Jus in bello (droit dans la guerre) L’adoption par 107 Etats lors de la conférence de Dublin, le 30 mai 2008, de la CSASM, puis sa signature officielle à Oslo, le 3 décembre 2008, par 94 Etats ont été rendues possible par l’action d’ONG agissant depuis de nombreuses années mais aussi par la dénonciation de l’usage israélien fait au Liban en 2006. Avec la 30ème ratification, seulement 15 mois après l’ouverture à Oslo à la signature, cet instrument deviendra le 1er août 2010, un nouvel outil normatif du droit international humanitaire et du Jus in bello. Cette Convention réaffirme trois principes essentiels : les moyens de la guerre ne sont pas illimités ; Les belligérants se doivent de respecter la distinction entre population civile et combattants ; Ils doivent une protection générale aux populations civiles. De ces trois principes découle la prohibition de la détention d’ASM, de leur production et de leur usage pour les Etats parties à la Convention. Ce système d’arme est défini comme toute munition classique conçue pour disperser ou libérer des sous munitions explosives d’un poids inférieur à 20 kilogrammes. L’œuvre des promoteurs de la Convention confère une protection relativement large aux populations civiles face aux ASM dont les victimes sont identifiées comme toute personne subissant de leur fait, un préjudice corporel, psychologique, matériel, social, direct ou indirect y compris par le biais de leur famille. Les Etats qui souverainement rejoignent cette nouvelle norme se soumettent volontairement à des obligations internationales (mais aussi nationales) inédites. Ainsi, tout Etat partie doit assurer la destruction des stocks d’ASM, sous sa juridiction, au plus tard huit ans après l’entrée en vigueur de la Convention pour cet Etat, avec la possibilité d’une dérogation de 4 années supplémentaires. Il doit procéder à la dépollution des zones contaminées sous sa juridiction ou son contrôle dans les 10 ans au plus tard (avec là aussi une possibilité d’une dérogation de 5 années supplémentaires). Il doit assistance aux victimes d’ASM sous sa juridiction, coopération et assistance aux Etats touchés par des sous-munitions. Au titre de mesures de transparence, il doit adresser au Secrétaire général des Nations Unies, des rapports détaillés sur ses stocks et ses actions de dépollution, dans les 150 jours au plus tard qui suivent l’entrée en vigueur de la Convention puis chaque année. Enfin, il doit prendre des mesures nationales d’application et de transposition et promouvoir l’universalisation de ce nouvel instrument destiné pour reprendre les termes de Raymond Aron, à limiter le volume de violence dans les relations internationales. La CSASM permet donc de stigmatiser le comportement d’Etats qui se caractérise par l’emploi de cette arme et par sa justification. A l’exemple d’Israël qui tirera des ASM sur des villages libanais ou sur des zones urbaines à forte densité de population à Gaza, lors de l’opération « Plomb durci », en affirmant qu’elles constituent une « arme légitime soumise au droit international humanitaire »9. Le cas de la France A l’opposé, la pratique étatique française semble un modèle. Depuis, 1991, la France n’a pas employé d’ASM. En 1986 – 1987, sous la présidence de François Mitterrand dont le 1er ministre était alors Jacques Chirac, elle n’avait pas hésité à en faire usage à Waid Doum au Tchad contre les forces libyennes. Mais cette époque est révolue, depuis 2002, la France ne produit plus d’ASM. En 2006, elle a décidé de ne plus utiliser sur ses Lanceurs de Roquettes Multiples (LRM) la roquette M-26 dotée de 644 sous-munitions M-77. Sur cette lancée, la France a donc rejoint la CSASM et s’est soumise à l’interdiction de leur mise au point, de leur fabrication, de leur production, de leur acquisition, de leur stockage, de leur conservation, de leur cession, de leur importation, de leur exportation, de leur commerce, courtage, transfert, et de leur emploi. Elle a aussi fait adopter par la représentation nationale, le 6 mai à l’unanimité des sénateurs et le 6 juillet à l’unanimité des députés, un projet de loi transposant en droit interne la nouvelle norme internationale et prévoyant des sanctions pénales pour tout national violant la CSASM. En application de ces deux textes, elle devra donc procéder à la destruction de ses stocks d’ici 2018, en dehors d’un stock maximum de 500 sous-munitions préservées pour l’apprentissage des démineurs. La France sauvegardera, au demeurant, ses obus BONUS anti-char constitués de 2 sous-munitions de 6,5 kilogrammes chacune, et ses missiles SCALP délivrant chacun 10 sous-minutions anti-piste KRISS, de 5,1 kilogrammes chacune. L’élimination de 22 000 roquettes M26 (stockées à Neubourg et Manière-les-Verdun) et de13 000 Obus d’artillerie à GRenade ou OGR (entreposés à Salbris, Miramas, Brienne et Le Rozellier) coûtera 35 millions d’euros, dont 6 millions destinés à la construction d’un incinérateur (hypothèse de Bourges Subdray). Autour de celui-ci est adossé le projet d’une filière industrielle qui pourrait sous-traiter pour l’OTAN, la destruction des ASM des 20 Etats (sur 28) membres de cette organisation qui sont parties à la CSASM. En effet, les stocks sont imposants : Royaume Uni 38,7 millions, Allemagne 33 millions, Pays-Bas 26 millions, France 15 millions, Norvège 3 millions. Or, il n’existe à ce jour en Europe que deux installations, l’une en Allemagne l’autre en Italie, dotées de la capacité de détruire des ASM. L’incinérateur français serait donc le 3ème pole européen. Après s’être fait une réputation dans le retraitement des déchets nucléaires, l’hexagone pourrait s’en tailler une autre. Parmi les différentes techniques de destruction des ASM, (explosion à l’air libre, explosion confinée, cryofracture, immersion en mer enfouissement terrestre), la France a choisi l’incinération. Or, celle-ci entraîne une production de monoxyde d’azote, qui n’est autre qu’un des principaux polluants atmosphériques, auquel il faut ajouter d’autres contaminants de l’eau, de l’air et du sol. En la matière la CSASM10 est précise : l’élimination des stocks doit se faire dans le respect des normes de protection de la santé publique et de l’environnement. A ce titre, les opérations se déroulant en France devront respecter le règlement CE n°1013/2006 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2006, la Convention de Bâle, sans oublier au plan interne, le code de la défense, le code du travail et le code de l’environnement. Réduction du nombre d’Etats «détenteurs» sur fond d’évolutions technologiques La CSASM, nous l’avons écrit, constitue une avancée sérieuse du Jus in Bello et du droit humanitaire. Elle va conduire à une réduction sérieuse du nombre d’utilisateurs et détenteurs d’ASM. Pour autant, 90% des stocks de ce type d’armes détenus par 6 Etats, restent en dehors de ce dispositif normatif international arraché sous la pression des ONG. Ces 6 Etats sont engagés dans une prolifération verticale qui vise à améliorer la performance des ASM par le biais de sauts technologiques permis par une amélioration des capteurs (sensor fuzed weapons, les sous-munitions étant amorcées par un senseur), du système de guidage, des effets (antipersonnels et/ou antivéhicules), des capacités de vol et d’attente au-dessus de la zone de frappe. Il est possible de se demander si les Etats industrialisés qui, comme la France, ont rejoint la CSASM, ne l’ont pas fait uniquement car ils n’ont plus la capacité ou la volonté de disputer cette course technologique et industrielle. Au demeurant, sur les théâtres militaires en cours, leurs alliés en disposent et en usent. Qui plus est, le progrès technologique va jusqu’à la mise en œuvre de dispositifs d’autodestruction ou d’autoneutralisation comme pour la M-85 israélienne. Avec lui, les ASM de nouvelles générations prétendent perdre leur caractère meurtrier pour les populations civiles et gagner le label « d’arme légitime soumise au droit international humanitaire ». La population du sud Liban peut témoigner de l’inanité d’une telle affirmation. En définitive, ne nous voilons pas la face. Les ASM, ont de tout temps été utilisées en 1er lieu contre les populations. Elles visent les civils en les contraignant à évacuer leur habitat pour isoler, démarquer et priver de soutien les combattants qui s’opposent aux forces expéditionnaires, voire perturber et déstabiliser le fonctionnement de sociétés. Après les conflits, elles empêchent la reprise d’une ville normale et la reconstruction. D’autant qu’elles frappent l’avenir, à savoir les enfants qui constituent de 30 à 40% de leurs victimes directes. Evolutions technologiques et guerres contre les nouveaux barbares devraient donc prolonger la carrière prolifique des ASM et permettre au complexe militaro-industrel d’en développer une nouvelle génération, vendue comme une arme qui «sauvera des vies». * Docteur en droit international Diplômé du Centre d’Etudes Diplomatiques et Stratégique de Paris Ancien vice-doyen de la Faculté de Droit et de Science politique de Reims Animateur du Cercle d’Etude et d’Analyse Juridique Internationale et Stratégique Notes: 1 Rapport sur le projet de loi tendant à l’élimination des armes à sous-munitions, Assemblée nationale, n°2641, 22 juin 2010. 2 Hiznay Mark, « Aspects techniques et opérationnels des armes à sous-munitions », Forum du Désarmement, UNIDIR, 2006/4. 3 Rapport d’information sur les armes à sous-munitions, Assemblée nationale, n°118, 13 décembre 2006, page 20. 4 Hiznay Mark, « Aspects techniques et opérationnels des armes à sous-munitions », Forum du Désarmement, UNIDIR, 2006/4. 5 Landmine Action, « The ecconomic impact of cluster munition contamination in Lebanon », mai 2008, page 3. 6 [http://www.nato.int/cps/fr/natolive/news_62569.htm?selectedLocale=fr]. 7 Feickert Andrew et Kerr Paul K, “Cluster Munitions Background and Issues for Congress”, Congressional Research Service, 23 évrier 2010, page 8; 8 Human Rights Watch Briefing Paper, « Worldwide Production and Export of Cluster Munitions », 7 avril 2005, page 4. 9 Rouppert Bérengère, « La convention sur les armes à sous-munitions : un état des lieux », GRIP, 2009/9, page 23. 10 Bohle Vera, « Questions pratiques concernant la destruction des stocks (ASM) », Forum du Désarmement, UNIDIR, 2010/1, pages 16 et suivantes. |
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